Le besoin d’être protégé

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« Si la crise se prolonge et se radicalise, elle donnera un nouveau visage à ce qu’on appelait hier la lutte des classes. »


La ruée de centaines de milliers de personnes vers l’assurance-emploi en quelques jours confirme que notre société est entraînée dans une crise globale. 


Notre système de protection sociale ne peut supporter durablement une telle pression. Nous faisons comme jamais l’expérience de la fragilité d’un modèle de société que l’on voulait croire encore quasi indestructible. 


Il se pourrait bien, si la crise se prolonge, que l’on doive pendant un certain temps miser sur des formes de solidarité plus anciennes, fondées sur la famille et la communauté. Ce qui ne va pas de soi quand tout le monde est enfermé chez soi. 


Après l’hébétement des premières semaines, c’est une immense angoisse qui va gagner le corps social. 


Confinement 


Ils sont nombreux à vivre sans coussin de sûreté. Ils voudraient bien économiser : ils n’y parviennent pas. D’une paye à l’autre, ils surnagent, en ne parvenant jamais vraiment à se projeter au-delà du prochain contrat. On ne les en blâmera pas. Tel est le système dans lequel ils doivent évoluer. 


Depuis une trentaine d’années, on a célébré un monde où l’individu devait renoncer à la sécurité pour miser sur une mobilité professionnelle maximale. C’était le règne du travailleur autonome, qu’on disait maître de sa propre vie. 


C’est ainsi qu’on a maquillé en victoire de la liberté individuelle la précarisation massive d’une génération. 


Pour l’instant, c’est une guerre de survie que nous menons. Et comme c’est toujours le cas à la guerre, les troupes au front prennent la plupart des risques. 


On a beaucoup parlé, avec raison, du personnel de notre système de santé. Médecins, infirmières, préposés aux bénéficiaires, personnel d’entretien : leur existence est transfigurée en aventure héroïque bien malgré eux. 








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Il ne faut pas oublier les caissiers des commerces, payés un salaire de misère et n’ayant pas le choix de continuer à travailler pour vivre et manger. La crise frappe les plus fragiles en premier. L’histoire semble devoir se répéter. 


Si la crise se prolonge et se radicalise, elle donnera un nouveau visage à ce qu’on appelait hier la lutte des classes. 


Le confinement au chalet et celui dans un appartement trop petit n’ont pas la même signification. Dans un cas, on profite presque d’une pause bucolique dans une vie tumultueuse. Dans l’autre, l’enfermement chez soi aura vite une dimension concentrationnaire. 


Solidarité 


Nous compterons les jours pendant trois semaines, et nous savons que cette période s’étendra très probablement. 


Et pourtant, il faut trouver le moyen de ne pas se faire écraser par le confinement. Chacun devra prendre soin de sa santé existentielle en se livrant à une longue introspection qui pourrait malheureusement virer à la rumination. Nous serons amenés à méditer sur le sens de notre vie. 


Mais il faudra aussi, dès maintenant, penser à la manière dont nous réorganiserons notre société durablement, en tenant compte du besoin de sécurité économique des classes moyennes et de la situation des petites gens. 


Au sortir de cette crise, nous devrons prendre au sérieux un besoin négligé depuis trop longtemps : celui d’être protégé. 





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