La pieuvre

Enquête publique - un PM complice?


On en tombe de notre chaise. Même les policiers s'inquiètent maintenant de l'"intégrité" de nos institutions démocratiques. Les policiers! Mais pas le gouvernement. Machiavel lui-même en ferait une dépression nerveuse...
Dans ce monde à l'envers, pendant que Jean Charest s'entête à "prioriser les enquêtes policières", la Fraternité des policiers de Montréal, elle, demande une enquête publique sur l'industrie de la construction! Même le président de l'Association des policiers provinciaux affirme que c'est la seule manière de "vraiment modifier les façons de faire" et de s'assurer que les milliards dépensés en infrastructures "s'en vont dans les bonnes poches".
Une démocratie est gravement dysfonctionnelle lorsque ce sont des policiers, et non le gouvernement, qui se préoccupent de l'intégrité des institutions et de la gestion des fonds publics. Lorsque la police sonne elle-même l'alarme, c'est un sacré signal que rien ne va plus.
On croule depuis des mois sous une montagne de reportages et de rapports faisant état d'allégations de collusion entre entrepreneurs, de corruption et de copinage. Mais là, avouons que du moment où les policiers eux-mêmes se disent incapables d'en exposer le SYSTÈME - d'où la nécessité d'une commission d'enquête -, force est de conclure que le gouvernement craint justement de voir ce système exposé.
Sinon, pourquoi diable s'entêterait-il autant à rejeter une demande portée par une vaste majorité de Québécois, de leaders d'opinion et même par la police? De mémoire de femme, c'est du jamais vu.
Prend-on les citoyens pour des cruches? De toute évidence. Du moins, tant qu'une commission d'enquête publique et indépendante au mandat large n'aura pas été mise sur pied. Sinon, les citoyens comprendront que leur gouvernement refuse de nettoyer les écuries de la business de l'asphalte et de la construction. Et ils se demanderont pourquoi. D'où le constat de l'Association des procureurs de la Couronne: la "confiance du peuple est brisée" envers ses élus et son système de justice. Coudon, y a-t-il un pilote dans l'avion de la démocratie québécoise?
Pourquoi le gouvernement n'en veut pas
Pourquoi le gouvernement a-t-il si peur d'une commission d'enquête? Une hypothèse: parce que dans une petite société comme le Québec aux élites tricotées aussi serré, ce même "système" risque d'être quasiment tentaculaire. Dans le sens où on parle ici d'un système qui toucherait les niveaux municipal et provincial. Où on parle possiblement de syndicats, de fonctionnaires, d'élus, de crime organisé, de blanchiment d'argent, de collusion entre entrepreneurs pour éliminer la concurrence, de dépassement de coûts. Où on parle d'un système de financement des partis redevenu vulnérable aux retours d'ascenseur. Où on parle de firmes bien branchées qui récompensent certains "gentils" élus ou fonctionnaires en les embauchant. Etc...
Alors, croyez-vous vraiment, vraiment que le gouvernement a le goût d'ouvrir une aussi grande boîte de Pandore? Surtout lorsqu'elle risque de contenir une pieuvre!
Aucun hasard là-dedans
On parle aussi de modes d'attribution de contrats où on laisse de plus en plus souvent le privé "décider" où iront les fonds publics. C'est ce que [Pierre-André Hudon, un doctorant en administration publique, décrivait récemment dans Le Devoir->23625 comme "une situation de corporatisme de facto, un régime politique organisé autour des attentes de l'industrie privée".]
Relisez cette citation une ou deux fois. Je vous jure. Ça vaut la peine.
Il notait même que cette perte de contrôle "par les élus et les citoyens" est due en partie aux réformes néo-libérales "entamées par le gouvernement Bouchard et poursuivies par le gouvernement Charest".
Mais je vous entends me dire que cette tendance s'est tout de même vachement accélérée depuis 2003. Vrai. Et que le couple crime organisé & industrie de la construction ne date quand même pas d'hier. Ou qu'il n'est pas spécifique au Québec. Vous avez encore raison.
Il reste pourtant que dans les derniers 15 ans, les gouvernements ont fait ici certains choix politiques risqués au nom d'un préjugé favorable aux intérêts privés. Et que cela a contribué à affaiblir la responsabilité des élus dans la gestion des deniers publics, entre autres choses.
Dans le domaine des infrastructures, le résultat fut de laisser le secteur privé, et semble-t-il parfois même le crime organisé, plonger impunément la main jusqu'au coude dans la jarre à biscuits de nos impôts. Ce sont donc les élus eux-mêmes qui, petit à petit, ont laissé le loup gambader dans la bergerie des fonds publics.
Bref, comme l'explique P.-A. Hudon, il s'est installé une "dangereuse proximité des secteurs public et privé". Et cette proximité fut un puissant "catalyseur favorisant, à terme, les malversations et le copinage". Donc, le gaspillage des deniers publics.
Pourquoi pensez-vous que même la police demande une commission d'enquête pour qu'on "change les façons de faire" et qu'on s'assure de voir ces milliards aller "dans les bonnes poches"? S'il y en a qui voient ce qui se passe vraiment sur le terrain et pensent que de "mauvaises poches" ont été remplies, ce sont bien les policiers...
Leur problème étant que seule une commission d'enquête, et non la police, pourrait exposer la pieuvre qui se cache au fond de la boîte de Pandore que le gouvernement garde verrouillée à triple tour.
Mais en bout de piste, le danger ultime est que ce refus du gouvernement fasse que le fameux cynisme des électeurs passe de l'indifférence à un profond sentiment d'impuissance. Ce qui serait la pire des choses au moment même où la situation appelle une plus grande expression citoyenne. Et non son retrait pour cause de colère chronique...


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