La mort d’un homme d’État

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Le grand disparu






On le croyait presque éternel. Au soir du 1er juin dernier, l’ancien premier ministre Jacques Parizeau rendait l’âme au bout d’une vie exceptionnelle. Son décès fut sans contredit l’un des événements les plus marquants de 2015.




Pour un mouvement souverainiste fragilisé, la disparition de celui pour qui l’indépendance était avant tout une quête élémentaire de liberté politique et de justice sociale est une perte colossale.




Depuis sa démission au lendemain du référendum de 1995, ses nombreux rappels à l’ordre sur l’urgence de replacer la raison d’être du Parti québécois au centre de son action politique avaient le don de mettre ses successeurs en colère. Ils étaient pourtant essentiels.




Si la volonté venait encore à vacil­ler, qui, dorénavant, aura l’autorité morale ou même le désir de sonner l’alerte à son tour?




Pour le Québec, au moment où l’austérité s’abat jusque sur les plus vulnérables tout en préservant une caste de notables du moindre sacrifice, la voix de Jacques Parizeau manque aussi cruellement à l’appel.




Derrière l’image du grand «bourgeois» se trouvait en effet un social-démocrate. Il était de cette espèce politique devenue raris­sime sur la Grande-Allée.




Le sonneur d’alertes




Jacques Parizeau croyait au rôle social de l’État. D’où, de Lucien Bouchard à Philippe Couillard, ses autres rappels à l’ordre contre l’«obsession» du déficit zéro.




Économiste émérite, M. Parizeau dénonçait toute présumée «rigueur budgétaire» dont l’effet volontaire est de miner les services publics au profit du privé.




Dans une de ses dernières entrevues, il s’inquiétait à voix haute de voir au Québec autant d’hommes et de femmes qui, notait-il, se sentent de plus en plus abandonnés par leur propre État.




Cette voix porteuse d’un projet politique et social humaniste était celle de Jacques Parizeau.




Un des vrais bâtisseurs du Québec moderne, l’ancien premier ministre sonnait aussi l’alarme contre la déconstruction sourde du «modèle québécois» à laquelle on assiste sans trop en saisir toute l’ampleur.




Incorruptible




Incorruptible, il manque également par son exemplarité incarnée jusqu’au sommet de l’État.




Ni à vendre ni à louer, Jacques Parizeau était aux antipodes du spectacle navrant livré devant la commission Charbonneau par des «élites» pour qui la frontière entre la légalité et l’illégalité n’était plus qu’une vue de l’esprit.




S’il avait été médecin au lieu d’économiste, impossible non plus de l’imaginer capable de favo­riser sa propre profession à même les fonds publics. Son sens profond de l’équité et sa hantise des conflits d’intérêts l’en auraient empêché.




Bref, bien au-delà de la polarisation souverainiste-fédéraliste, tout manquera de Jacques Parizeau: l’homme d’État, le serviteur public, le militant, l’impénitent sonneur d’alertes.




Tout manquera de lui: l’intégrité, la droiture, l’intelligence redoutable, la passion, la ténacité, la courtoisie dans le combat, le courage, la clarté, la cohérence, la défense du bien commun.




Dans sa quête de liberté et de justice pour son peuple – les deux piliers indissociables de son œuvre inachevée –, son espoir de passer le témoin à une nouvelle génération était non moins réel. Jacques Parizeau détestait la nostalgie.




Le devoir de mémoire pour la suite du monde est heureusement d’un tout autre ordre.



 




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