Rappel

La médiocrité et le travail de sape

Il y a une logique dans la politique de la dépendance

Chronique de Robert Laplante


Ils sont médiocres, mais ils savent ce qu’ils font. Ils n’improvisent guère sinon en ce qui touche les alibis. Ils se défendent mal et ne parviennent généralement pas à changer de parade dès que se manifeste la moindre résistance. C’est dès lors à peu près toujours le même scénario d’enlisement en tentant une relance par diversion. C’est ainsi que de proche en proche à peu près toutes les institutions sont touchées, tous les repères souillés, les plus beaux héritages profanés.
Notre premier sous-ministre vise bas et il fait mouche plus souvent que les événements et le hasard ne devraient lui accorder: il a un talent rare pour le pourrissement. La morosité et la morgue qu’il sème au moins aussi souvent qu’il ne les utilise confèrent à sa politique et son gouvernement une efficacité redoutable. La déprime gagne en effet à un rythme effarant, mais c’est un effet recherché. Le seul projet politique possible dans les circonstances doit avoir un effet dépresseur, c’est une condition essentielle pour qu’il puisse se déployer. On ne peut travailler à réduire une aspiration nationale, à soumettre un peuple et le contraindre à régresser dans une résignation minoritaire consentie sans casser un à un les ressorts aussi bien symboliques qu’institutionnels de tout ce qui peut faire sa cohésion.


Le gouvernement libéral n’a pas de projet national pour diriger notre État national. Il n’a qu’un projet de normalisation de nos rapports avec l’État canadian. Pareille entreprise ne peut se réaliser sans un consentement actif à la régression. Québec n’a aucun rapport de force avec Ottawa parce qu’il n’a rien à exiger de lui que des aménagements administratifs, et encore. Il veut bien exiger, mais sans jamais tirer les conclusions, quelles que soient les rebuffades. Les discussions sur les milliards pour l’harmonisation de la TPS peuvent bien s’éterniser, le gouvernement ne fera aucun lien avec les finances publiques du Québec si ce n’est pour mieux se justifier de commettre une injustice systémique en produisant une taxe sur la santé. Ottawa peut bien hausser ses dépenses militaires, jouer à sa guise dans le financement de la recherche et des universités, fixer les objectifs et manœuvrer en catimini dans les négociations sur le libre-échange avec l’Union européenne, nous sortir des enjeux géopolitiques de l’Arctique, le gouvernement provincial ne cesse de rabaisser l’horizon de l’État québécois sans rien questionner du régime. Il s’occupe des affaires domestiques ou plutôt il s’occupe des affaires en domestique.
Les libéraux veulent réduire l’État, mais ce n’est jamais que le nôtre qu’ils visent. Leur parti pris pour le marché ne concerne que les manoeuvres qui peuvent servir à dépecer notre patrimoine et à saper nos outils d’intervention. La prospérité qu’ils ne peuvent créer parce qu’ils renoncent à porter un projet national, ils tentent d’en donner les illusions en dilapidant notre capital. Notre capital de ressources naturelles, notre capital social, notre capital symbolique. Ce qu’ils avaient appelé la réingénierie ne visait qu’à réduire ce qui pouvait rester d’aspérités pour que la soumission provinciale fonctionne au mieux. Pour que le Québec rentre dans le rang, pour qu’il se normalise et rejoigne le continent dans les formes et les modalités que lui dictent Ottawa et ce qu’il autorise en matière de singularité inoffensive.
Ils ont appris de leur premier mandat: il vaut mieux désormais faire sans dire et imposer la marche forcée par la pratique systématique du fait accompli. C’est ce qu’ils ont tenté avec le financement des écoles privées juives, avec la marchandisation des services de garde, avec les tripatouillages du calendrier scolaire, etc. Ils sont médiocres, mais ce n’est pas aux reculs qu’il faut évaluer leur efficacité. Ils ont du succès parce qu’ils sapent. Parfois ils sapent dans l’ordre matériel et ça marche, comme dans le cas des mégacentres hospitaliers universitaires. Parfois ils sapent dans l’ordre matériel et symbolique et font d’une pierre deux coups, comme dans le dossier éolien où ils ont terni Hydro-Québec et floué toute la Gaspésie. Parfois, ils en rajoutent comme dans le cas de la Caisse de dépôt.
Parfois ils cafouillent comme dans le dossier de l’îlot Voyageur ou dans celui de Rabaska, mais toujours ils gagnent par l’accroissement du doute, par la culture du ressentiment et la pratique de l’autodénigrement. Il faut dire qu’ils sont bien assistés par les scribes à gages qui ne manquent jamais de nous administrer qui un palmarès, qui un sermon sur notre manque d’ambition et qui d’autre encore, pour nous reprocher de ne pas aimer la richesse ou de ne pas faire de la cupidité la plus formidable des vertus civiques.
Ce qui vient de se produire dans le cas du gaz de schiste est d’ores et déjà un cas exemplaire. Certes le gouvernement a été pris de court par les réactions des résidents incommodés et en cela la grossièreté de la manœuvre est devenue apparente. Mais c’est un problème de mise en scène, une affaire de médiocrité dans les basses œuvres, qui montre bien les limites de la politique de manipulation. L’essentiel qui se révèle là pourtant ne tient pas à cet affairisme puant, il se révèle plutôt du côté de la détermination à tout mettre en œuvre pour broyer les résistances en commençant par dévoyer les mécanismes de la délibération publique et saper ce qui reste de crédibilité pour le BAPE.
De ce côté, notre premier sous-ministre, il faut bien le constater, prend du galon. Il va pratiquer la politique de la terre brûlée. Ce n’est pas une fin de régime, c’est son aboutissement ultime. Il est ferme le député de Sherbrooke. Et il n’a que faire de l’élégance. Ça, c’était pour la députée de Bonaventure, mauvaise interprète dans une partition où se redéfinissent ses perspectives de carrière. Elle y aura laissé tout ce qu’elle avait investi dans les apparences et les simulacres. Mais cela reste secondaire, elle fera partie des dommages collatéraux. Le projet politique qu’elle sert carbure aux ambitions de carrière calcinées.
Quand on combat l’indépendance de son peuple, quand on le fait en toute connaissance de cause et dans un moment aussi crucial que celui qui façonne notre conjoncture démographique et nos perspectives de développement, on accepte de servir de matériau pour aménager sa dépendance. Car il n’y a pas de position mitoyenne, un peuple se gouverne ou il se fait gouverner, on le sert ou on sert ceux qui le gouvernent et cherchent à le soumettre. Cela se monnaie, on le sait, mais ne s’anoblit pas.
Le scandale du gaz est un formidable révélateur. Non pas de la dissolution des moeurs – encore que l’odeur de corruption paraisse aussi toxique que celle des émanations de méthane –, mais de ce que laisse comme alternative la politique de la dépendance. On démantèle Hydro-Québec Pétrole et Gaz pour mieux brader les droits d’exploration. Il y a un scandale sous le scandale dans l’affaire des redevances insignifiantes: pendant que le Québec fait un déficit, la Colombie-Britannique a vendu les droits pour une somme à peu près équivalente à ce qui manque pour équilibrer le budget Bachand. La taxe santé est une obscénité qui en cache une autre. Il y a une logique dans la politique de la dépendance.
Il faudra garder cela à l’esprit au cours des prochains mois. Car il y aura tout un tourbillon pour faire perdre de vue l’essentiel. Au profit de qui faut-il jouer l’intégration continentale ? A qui reviendront les postes d’intermédiaires ? Quelles occasions offre-t-elle de se tailler des prébendes ? Quels arguments faut-il utiliser pour légitimer la braderie ? Comment faire pour entretenir la confusion entre les choix stratégiques et le consentement à un ordre marchand d’autant plus sacralisé que le culte qu’on lui voue sert à dresser les paravents de la démission politique et du bris de loyauté ?
Ils font pitié à voir ces gérants provinciaux à tenter de nous faire voir de la création de richesse dans ce qui n’est qu’un moment préparatoire à un vaste encan où déjà les manants se bousculent pour se disputer les postes d’encanteurs fiables.
Ils se drapent dans la rhétorique économique pour mieux nous préparer un hiver de force. Un destin minable à se chicaner sur la meilleure manière de chauffer la maison en brûlant les meubles. Ils sont médiocres et voudraient nous en faire une Histoire.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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