CRISE GRECQUE

La Grèce perd la guerre de l’euro

Après une bataille virulente, un accord invasif éloigne le «Grexit»

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Les séquelles seront lourdes

Les pays de la zone euro étaient encore tout étourdis, lundi, par la violence de leurs négociations de la fin de semaine sur la Grèce et la sévérité des conditions qui lui ont été imposées en échange de leur promesse d’un autre plan d’aide.

Au terme de près de 48 heures de négociations tendues et souvent acrimonieuses, les 19 pays ont convenu lundi matin d’un projet de troisième plan de secours à Athènes estimé entre 82 et 86 milliards d’euros. Considérée jusqu’à la toute fin, la perspective d’une sortie de la Grèce de la monnaie unique a été écartée. « Le “Grexit” a disparu », s’est réjoui le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Les contreparties imposées à la Grèce en matière de réformes, de vente d’actifs publics et de presque tutelle sont tellement dures que d’aucuns ont parlé d’une « reddition complète », d’une « humiliation », de « crucifixion » et même d’un « coup d’État », comme en a fait foi l’envolée sur les médias sociaux du mot-clic « #ThisIsACoup ».

Porté au pouvoir en janvier et relégitimisé lors d’un référendum, il y a 10 jours, par des Grecs voulant rester dans l’union monétaire européenne, mais aussi que cessent les politiques d’austérité après cinq années de crise économique, leur premier ministre, Alexis Tsipras, a fait celui qui n’a pas tout perdu dans l’affaire. Il a admis revenir au pays avec un « accord difficile », mais a estimé qu’il devrait malgré tout permettre la « relance » de l’économie grecque.

Plus directe, une source gouvernementale grecque avait observé, durant la nuit : « Avec un pistolet sur la tempe, toi aussi, tu serais d’accord. »

C’est moins la faiblesse du gouvernement d’Alexis Tsipras à la table de négociations qui retenait l’attention des observateurs lundi que la division parfois brutale dans les rangs des 18 autres pays et l’hostilité extrême affichée à l’endroit de la Grèce par la majorité d’entre eux, menée par l’Allemagne, mais appuyée aussi par la Finlande, les pays baltes ou encore la Slovaquie. En minorité, la France, l’Italie ou encore Chypre comptaient parmi les pays plus conciliants.

« C’est le couteau sous la gorge, […] une invasion sans les troupes au sol, d’une férocité inouïe », a déclaré l’économiste français Charles Wyplosz, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et aux opinions pourtant généralement modérées. « Je n’aurais jamais imaginé que des chefs d’État et de gouvernement se laissent aller à une telle vindicte. »

Même pour le magazine allemand Der Spiegel, les conditions imposées à la Grèce, « c’est le catalogue des horreurs ».

Le « catalogue des horreurs »

En gros, ces conditions sont les mêmes que celles auxquelles les Grecs avaient dit non à 61 % le 5 juillet, mais en plus sévères. Elles laissent jusqu’à mercredi au Parlement grec pour adopter un relèvement de la taxe de vente de l’équivalent de 1 % du produit intérieur brut (PIB), un resserrement des règles des pensions de retraite pour économiser un autre 1 % de PIB, d’autres réformes fiscales, l’adoption d’un système de coupes budgétaires quasi automatiques en cas de non-respect des cibles budgétaires. Dans une semaine, les élus grecs devront aussi avoir adopté une réforme rendant la justice civile plus efficace et économique.

En plus de devoir défaire des promesses électorales réalisées depuis le début de l’année, le gouvernement Tsipras — ou son remplaçant — devra procéder ensuite à : une réforme plus profonde des retraites, une réforme du marché intérieur (heures d’ouverture des commerces, période des soldes, fonctionnement des pharmacies…), une privatisation du réseau de transport électrique, un assouplissement des règles du marché du travail, l’ouverture des secteurs d’activités protégés, et un renforcement du secteur financier.

Un fonds, qu’on voulait basé au Luxembourg, mais qui restera finalement en Grèce, sera chargé de privatiser les actifs grecs jusqu’à concurrence de 50 milliards d’euros. La moitié de ce montant doit aller au renflouement des banques, et le reste, à parts égales, au remboursement de la dette et à des projets d’investissement. Imposée depuis 2011, cette mesure n’a débouché jusqu’à présent qu’à 7,7 milliards de transactions, dont seulement 3,1 milliards ont été effectivement perçus.

« Chez nous, en comptant tout, les banques, les aéroports, la gestion de l’eau, etc., on arrive à 17 ou 18 milliards à privatiser. Pour monter à 50 milliards, il faut leur donner toutes nos banques », a déclaré, dégoûté, un proche du premier ministre Tsipras cité dans le quotidien Le Monde.

Le respect de l’ensemble de ces conditions restera sous l’étroite surveillance de la troïka formée par l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI).

En échange, les autres pays de la zone euro se disent prêts à négocier un troisième plan d’aide de 82 à 86 milliards sur trois ans qui devrait lui-même être assorti de nouvelles conditions. Au moins une demi-douzaine d’entre eux, dont l’Allemagne, la France, la Finlande, la Slovaquie et l’Autriche, devront auparavant obtenir de leur propre parlement le mandat de négocier une telle entente. Le Bundestag allemand devrait se prononcer dès vendredi.

La Grèce s’est encore une fois vu refuser une nouvelle réduction de la taille de sa dette, bien que tous les experts, y compris ceux du FMI, conviennent que son poids (180 % du PIB) rend impossible tout espoir de redécollage économique. Le mieux qu’on ait pu faire est de se « montrer prêt à évaluer, si nécessaire, des mesures additionnelles » de rééchelonnement de la dette grecque si Athènes respecte ses promesses.

Pendant ce temps, aux guichets automatiques

Même si tout se passe rondement, la Grèce n’aura pas accès à de l’argent frais avant un certain temps et ne peut toujours pas relâcher son strict contrôle sur les liquidités des banques et des simples citoyens. Les caisses à sec, le pays continue de dépendre au quotidien d’un maigre financement d’urgence de la BCE. On estime ses besoins immédiats à 12 milliards d’ici la mi-août, dont 3,5 milliards à cette même BCE dans moins d’une semaine.

Les ministres des Finances de la zone euro ne sont pas parvenus, ce week-end, à trouver une solution aux difficultés financières, techniques et politiques qui empêchent le déblocage d’un financement transitoire. « C’est très complexe » à mettre en place, « nous n’avons toujours pas trouvé la clef », a expliqué leur porte-parole, Jeroen Dijsselbloem. Son collègue de la Finlande, Alexander Stubb, promet, encore une fois, « des négociations très difficiles ».


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