RÉFÉRENDUM

La Grèce défie l’Europe

Fort de ses 61%, le «non» grec fait craindre le pire dans la zone euro

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Un «Non» clair et sans équivoque à la tyrannie européenne

Ils ont dit « oxi ». Non. À 61,31 %, les Grecs se sont prononcés dimanche contre les propositions des créanciers sur de nouvelles mesures d’austérité. Le premier ministre Alexis Tsipras a donc remporté son coup de poker, lui qui a martelé depuis l’annonce-surprise de ce référendum, il y a 10 jours, que le Non allait renforcer son pouvoir de négociation avec l’Europe. La balle est désormais dans le camp des dirigeants de l’Union européenne, Allemagne en tête, qui sont confrontés à un dilemme : pousser la Grèce vers la sortie de l’euro, ou l’y maintenir malgré les concessions que cela implique.

Alors que l’ampleur de la victoire du Non se dessinait en début de soirée, des milliers des personnes sont descendues dans les rues d’Athènes pour célébrer. Stamatis et sa famille, qui ont pourtant voté « non », n’avaient pas tout à fait le coeur à la fête. « Il fallait dire non aux diktats des créanciers [Union européenne et Fonds monétaire international], qui nous auraient encore plus enfoncés dans la misère. Mais maintenant, on ne sait pas ce qui va arriver à notre pays », confie au Devoir ce propriétaire d’une galerie d’art établi en Crête.

Le raz-de-marée du Non a emporté avec lui l’ex-premier ministre et chef de l’opposition officielle Antonis Samaras, qui a démissionné de ses fonctions.

Ce qui arrivera dans les prochains jours, même M. Tsipras l’ignore. Dans une allocution télévisée, le premier ministre issu de la gauche radicale a salué la nette victoire du Non, qu’il a décrite comme « un choix courageux étant donné les circonstances difficiles ». Écartant l’idée que le référendum était de fait un vote sur le maintien de la Grèce dans la zone euro, Alexis Tsipras a dit que les Grecs lui ont confié le mandat de trouver une entente viable avec l’Union européenne (UE). Le gouvernement est prêt à retourner dans les 48 heures à la table des négociations, a-t-il affirmé, afin de rouvrir dès que possible les banques grecques, fermées depuis une semaine et dangereusement en manque de liquidités.

Après avoir été incapable le mardi 30 juin de rendre les 1,5 milliard d’euros dus au Fonds monétaire international (FMI), l’État devrait avoir le plus grand mal à rembourser la Banque centrale européenne (une échéance de 3,5 milliards d’euros est prévue pour le 20 juillet). Sans programme d’assainissement, la BCE pourrait mettre un terme à son dispositif de perfusion du système bancaire grec, forçant ainsi le gouvernement à revenir à une monnaie nationale et à quitter l’UE.

Les marchés étaient en baisse lundi en Asie, l’euro limitant provisoirement ses pertes.

Sommet de la zone euro

Refusant de commenter l’annonce des résultats, le président français, François Hollande, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont fait savoir qu’ils se rencontreront à Paris ce lundi soir pour discuter de la stratégie à adopter face au Non des Grecs. Les deux dirigeants ont aussi demandé la tenue d’un sommet des pays de la zone euro. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a confirmé que le sommet se tiendra mardi soir, à Bruxelles, et sera précédé d’une réunion des ministres des Finances des 19 pays de l’UE.

Le rendez-vous de lundi à l’Élysée devrait dégager les contours de la réponse que l’UE offrira à Athènes, à savoir si les pourparlers reprendront ou non, estime Thierry Warin, professeur au Département d’affaires internationales de HEC Montréal. L’Allemagne et la France sont les deux pays les plus riches et influents de la zone euro, c’est donc leurs agissements qui dicteront en quelque sorte ceux des autres dirigeants européens. Ces derniers sont divisés entre le camp de la ligne dure, prôné par Berlin, et celui de Paris et Rome, pour qui il est clair que le fil du dialogue ne doit pas être rompu. « Il est difficile de croire que Merkel va fléchir sur sa position », analyse M. Warin, rappelant que la chancelière préconise des réformes structurelles et une grande rigueur budgétaire, des mesures que les Grecs ont massivement rejetées en votant « non » dimanche. À supposer que François Hollande la persuade de l’importance de maintenir l’Union, il sera difficile pour la chancelière de convaincre les Allemands de faire de nouveaux efforts financiers. Une large majorité d’entre eux y étaient hostiles avant le référendum.

L’expert explique que 75 % de la dette grecque (soit 241,5 milliards d’euros sur un total de 322) est possédée par des créanciers qui sont dans les faits des États, soit l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. « Ces pays ont, eux aussi, des dettes. S’ils annulent une partie de la dette grecque, ou s’ils donnent plus d’argent à Athènes, ces fonds n’iront pas au remboursement de leur propre dette », dit-il.

Des négociations difficiles

Dans un scénario où Paris réussit à convaincre Berlin de poursuivre des pourparlers au lieu de pousser la Grèce vers la sortie de l’euro, les négociations n’auront rien de facile. C’est ce qu’avance Rym Ayadi, directrice du Centre international de recherche sur la finance coopérative à HEC Montréal. Celle qui agit aussi à titre de conseillère politique au Parlement européen, où elle était d’ailleurs la semaine dernière, peine à spéculer sur la réaction des dirigeants européens. « Plusieurs sont très hostiles à l’idée d’entreprendre à nouveau des négociations », dit-elle à l’autre bout du fil. En réaction au résultat du référendum, le ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel, a notamment indiqué que de nouvelles négociations avec Athènes étaient « difficilement imaginables ».

Est-ce que la victoire du Non assurera réellement un levier de négociation comme l’a promis le premier ministre grec, ou se berce-t-il d’illusions ? « Je ne crois pas que le référendum va lui donner une marge de manoeuvre telle qu’il le prétend, répond-elle, Alexis Tsipras souhaite effacer une partie de la dette, mais la grande majorité des pays créanciers n’ont pas la santé financière pour accepter cela ».

Mme Ayadi estime, à l’instar du rapport préliminaire présenté par le FMI jeudi dernier, que les Européens, s’ils veulent aider la Grèce à sortir du marasme, doivent accepter de faire disparaître 30 % du montant total de la dette. « Les prochains jours nous diront s’il y a une volonté ou non d’aller en ce sens. »

La France est le seul État en position de faire pencher la balance en faveur d’un troisième plan d’aide à la Grèce, confirme Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. À son avis, ce scénario reste très incertain, ouvrant la porte de plus en plus grande à la « Grexit ». Le gouvernement Tsipras ainsi que ses prédécesseurs ont profondément ébranlé la confiance des créanciers en promettant des réformes qui n’ont jamais vu le jour. « Chose certaine, cet abus de confiance va affecter la suite des choses », assure-t-il.


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