La fin d'une utopie

Nous sommes le 12 novembre 1989: depuis quelques jours déjà, le Tout-Berlin - et le monde entier - célèbre la chute du mur.

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire



Nous sommes le 12 novembre 1989: depuis quelques jours déjà, le Tout-Berlin - et le monde entier - célèbre la chute du mur. Photo: Archives AP

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Le monde entier s'apprête à commémorer, le 9 novembre, le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. La date symbolise la disparition de l'Empire soviétique, et le déclin historique du communisme. Si l'on suit un politologue arrogant, Francis Fukuyama, elle aurait annoncé alors le triomphe généralisé de la démocratie et du marché - la fin de l'Histoire.
D'autres épisodes ont en réalité signifié, bien avant, qu'une page se tournait, à commencer par les quelque 16 mois d'existence légale de Solidarnosc en Pologne, en 1980-1981: pour mettre fin à ce mouvement profondément démocratique, le régime imposé depuis Moscou à la nation et à la société polonaise était alors devenu une junte militaire n'ayant plus grand-chose à voir avec un quelconque idéal communiste.
De même, en Union soviétique, l'arrivée de Gorbatchev aux affaires, en mars 1985, a pu à juste titre être perçue comme l'occasion d'une rupture qu'ont exprimée deux mots étrangers au vocabulaire communiste: la glasnost (la transparence), et la perestroïka (le changement). Et si l'on veut rendre compte du commencement de la fin, mieux vaut remonter encore plus dans le temps, et au moins aux années Brejnev, dites de la glaciation, marquées notamment par une piteuse intervention militaire en Afghanistan.
Le communisme a une histoire. Ce fut d'abord une merveilleuse utopie, le rêve d'une société juste, associé à des projets d'émancipation sociale, en des temps où le prolétariat ouvrier subissait de terribles formes de domination.
Ce fut ensuite, dans quelques démocraties, en Italie et en France par exemple, une action politique, portée par des forces politiques promettant un monde meilleur, soucieuses de changements radicaux, et s'installant, parfois pour de longues années, dans le paysage institutionnel, animant des combats dont certains étaient éminemment respectables, créant des réseaux de solidarité, apportant un débouché politique à l'action de syndicats ou d'associations.
Ce fut encore, dans la Russie de 1917 et, plus tard, en Chine, à Cuba, au Vietnam, dans plusieurs pays d'Afrique, un pouvoir d'État, d'abord porté par l'espoir et la mobilisation populaires, et se mettant en place dans les convulsions d'une crise, d'une Révolution ou d'une lutte de libération nationale, et n'hésitant pas à se retourner contre ceux qui l'avait porté pour devenir des totalitarismes prétendant contrôler tout, jusqu'aux consciences individuelles. Et à l'arrivée, le communisme donne l'image de la dictature, de l'autoritarisme sans projets ni capacité de dessiner un quelconque futur - tout le contraire de ce qu'il représentait au départ.
Il faut avoir en tête ce parcours historique, à peine esquissé ici bien sûr, si nous souhaitons réfléchir au présent et à l'avenir. Aujourd'hui, nous ne manquons pas d'utopies, et nous avons tout à gagner à y être sensibles: l'écologie, en particulier, depuis une trentaine d'années, porte en elle les promesses d'un monde réconcilié avec lui-même, et avec la nature.
Nous savons aussi l'importance des mobilisations collectives, quand elles en appellent à la justice, à l'égalité, quand elles mettent en cause la domination et l'exclusion, à l'échelle locale comme à l'échelle globale. Nous avons appris à nous méfier des idéologies révolutionnaires et des mouvements qui préparent de nouveaux totalitarismes, nous sommes profondément attachés à l'idéal démocratique.
En commémorant la chute du mur de Berlin, nous devons certes d'abord avoir en tête l'horreur qu'a signifié l'univers soviétique, et que n'ont pas voulu voir d'innombrables intellectuels de par le monde - les mêmes, soit dit en passant, qui viennent parfois nous servir des leçons sur les droits de l'homme.
Mais nous devrions aussi, premièrement, nous souvenir des espoirs qu'il a suscités, des mouvements d'émancipation qu'il a portés; et deuxièmement, être attentifs aux logiques d'inversion ou de renversement, qui transforment ces espoirs, ces mouvements, en régimes totalitaires, ou en dictatures n'hésitant pas à passer du côté de la barbarie.
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Michel Wieviorka
L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.


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