La Côte-Nord, on s’en balance

On ne s’intéresse à elle que lorsqu’il y a blocus…

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La détresse des régions

En juillet 2013, un feu de forêt menaçait de raser le coquet village de Baie-Johan-Beetz sur la Moyenne-Côte-Nord. Si, cet été-là, le chroniqueur Gilbert Lavoie du quotidien Le Soleil n’avait pas choisi, pour ses vacances, de séjourner en Minganie, peu de gens auraient appris que « le pays de Gilles Vigneault brûlait ».

À l’été 2014, à Kegaska, le ministre délégué à la Côte-Nord de l’époque, le Dr Yves Bolduc, fit le voyage, en avion, depuis Québec pour inaugurer un nouveau tronçon de la route 138. De son côté, le chef innu d’Unamen Shipu fit le voyage, en chaloupe à moteur, depuis son village non relié au réseau routier du Québec. Dans son allocution, le chef innu invita le ministre à revenir, avec lui, en chaloupe, sur la mer agitée. Le ministre déclina l’invitation. Évidemment, les médias ne parlèrent pas de cet événement, pas plus qu’ils ne font mention des noyades qui surviennent trop fréquemment sur la « route d’eau » qui relie Kégaska et Unamen Shipu. Le maire de Blanc-Sablon, Armand Joncas, présent lors de cette cérémonie protocolaire, manifesta son mécontentement en regard du peu d’intérêt que Québec portait à la Basse-Côte-Nord. Plus tard, les médias titreront que le maire de Blanc-Sablon menaçait de quitter le Québec pour Terre-Neuve. De nombreux Nord-Côtiers partagent les velléités de ce maire.

Les médias du Québec urbain s’intéressent à la Côte-Nord lorsque des routes sont barrées. Lorsque les lucratives activités nord-côtières des entrepreneurs urbains et d’Hydro-Québec sont menacées. À preuve, les 25 et 26 juin derniers, Bernard Gauthier — dit Rambo — organisait un blocus de la 138 afin que des Nord-Côtiers expriment leur colère du fait que les ressources de la Côte-Nord sont principalement exploitées par des travailleurs de l’extérieur. Sur la Côte-Nord, les faillites s’accumulent et la détresse psychologique s’accroît. Mais la souffrance importe peu. La bonne nouvelle consiste à rédiger en caractères gras : « Rambo » Gauthier et des travailleurs bloquent la 138.

Le 15 juillet dernier, la Côte-Nord fait de nouveau la manchette. Le Québec urbain est informé que des Innus de Nutakuan sont montés aux barricades sur la route menant au chantier de La Romaine. Les drapeaux de la Mohawk Warrior Society flottent sur la barricade et dans les pages des journaux. Allons-nous assister à un débordement qui fera vendre de la nouvelle ?

Le 16 juillet, l’émission 24/60 informait ses auditeurs de la situation prévalant sur la Moyenne-Côte-Nord en interviewant le chef innu de Nutakuan, Rodrigue Wapistan. Le « s » de ce nom est bien positionné entre le « i » et le « t ». Pourtant, l’animateur s’adressa au chef en le nommant, à plusieurs reprises, WaSpitan et non WapiStan. Un détail, direz-vous ! Nous ne croyons pas. Le nom d’un chef politique afghan, palestinien, coréen aurait sûrement été prononcé, sur les ondes de la SRC, avec plus de respect. Devant les maladresses langagières du chef Wapistan, l’animateur semblait avoir peine à contenir un fou rire. Aucune préoccupation quant à la question du désoeuvrement des Autochtones et de l’importance de soutenir, par exemple, avec des contrats de coupe de bois, une entreprise nord-côtière et, en l’occurrence, innue ! N’y avait-il pas lieu, considérant les constats du chercheur Frédéric Lasserre, de profiter de cette conjoncture pour aborder la question complexe de l’implantation des barrages en Côte-Nord qui soulèvent des passions, des considérations écologiques, des enjeux concernant les sociétés autochtones ainsi que des ambitions géopolitiques du gouvernement québécois ?

Nous devons toutefois être honnêtes. Les gros canons médiatiques s’intéressent à la Côte-Nord lorsqu’une vedette de grande pointure se pointe sur le territoire pour défendre une rivière, une île, les baleines, les bélugas… Nombreux sont les Nord-Côtiers qui partagent les préoccupations de ces vedettes. Toutefois, eux, ils habitent le « pays dans le pays ». Ils ne le survolent pas, de temps en temps, en hydravion. Ces femmes et ces hommes, autochtones et non-autochtones vivant depuis des siècles sur le territoire, aimeraient faire partie des préoccupations écologiques.

Avec d’autres gens de Natashquan préoccupés de l’avenir du village de Natashquan et de la Minganie, nous nous évertuons depuis une année à sensibiliser les gens du Québec à l’importance de sauvegarder le site patrimonial de Gilles Vigneault. Bien sûr, pour rendre hommage au poète, mais, surtout, pour participer à la survie et au développement social, culturel et économique de la Minganie et de ce petit village nommé Natashquan. Une chance que les Nord-Côtiers peuvent compter sur l’équipe de Radio-Canada de l’Est-du-Québec. Sans ces journalistes dévoués, nos efforts auraient eu bien peu d’impact. Nous ne comptons plus les appels, les lettres, les communiqués que nous avons fait parvenir à de gros canons médiatiques de la grande urbanité. Silence, on… s’en balance !

Nos efforts nous ont permis, au cours des 11 derniers mois, d’obtenir des messages de soutien de nombreuses personnalités artistiques et politiques (Robert Charlebois, Boucar Diouf, Émile Proulx-Cloutier, Dany Turcotte, Marie-Lise Pilote, Louis-Jean Cormier, Patrice Michaud, Bernard Landry, Jean-Paul L’Allier et bien d’autres). Cela ne suffit pas pour soulever l’intérêt médiatique. Devrions-nous, nous aussi, réaliser un blocus ?

Soyez sans crainte. Nous ne ferons pas le jeu de la nouvelle à sensation. En cette époque de la nouvelle instantanée qui vise l’accroissement des cotes d’écoute, Boris Vian trouverait matière à composer une nouvelle version de sa chanson Les joyeux bouchers… Faut que ça saigne !

Récemment, Victor-Lévy Beaulieu s’engageait à soutenir nos efforts visant le développement de ce que nous nous plaisons à nommer notre mine d’Art. Le 13 juillet dernier, VLB fit parvenir un communiqué de presse à l’ensemble des médias. Le quotidien Le Devoir fut le seul média écrit à faire écho de cette nouvelle. Malheureusement, Le Devoir titrait maladroitement la nouvelle. Le titre de la version Web du Devoir fut rapidement corrigé à la suite de notre intervention. Nous n’osons même pas reproduire ce titre maladroit de peur de contribuer à alimenter les mauvaises langues, les potineux et radoteurs de tout acabit. Ceux-là mêmes qui ont contribué à plomber les efforts de la défunte Fondation du patrimoine de Gilles Vigneault. Malgré l’absence de soutien médiatique, le soutien de VLB aura permis de recueillir en quelques jours 6486 $.

Le regretté agronome africaniste René Dumont estimait que l’Afrique et ses gens étaient considérés, par les pays développés, comme le trou du c… de l’humanité. Il ajoutait qu’il fallait craindre le jour où ce trou du c… se boucherait. Ce jour-là, l’humanité comprendrait l’importance de l’Afrique. Ces propos de René Dumont pourraient s’appliquer à la Côte-Nord et à ses gens ainsi qu’à de nombreuses régions du Québec de plus en plus laissées pour compte.


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