Colloque sur les "nations sans État"

La citoyenneté québécoise est déjà en construction (2/2)

L'ambiguïté du statut politique de la province rend cependant la démarche ardue

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue

Nous publions une version abrégée d'une communication donnée à Édimbourg en janvier 2001 dans le cadre d'un colloque sur les "nations sans État" et qui sera publiée dans la revue Scottish Affairs.
Dernier de deux textes
Déjà, en 1981, le gouvernement péquiste affirmait que le Québec est une nation et définissait la culture française comme un foyer de convergence des cultures minoritaires, un moteur principal, tout en reconnaissant la légitimité de l'expression de ces dernières. Dix ans plus tard, un gouvernement libéral proposait l'idée de contrat moral entre les immigrants et la "société distincte" québécoise. Égaux en droits et en obligations, les citoyens étaient invités à adhérer à une culture publique commune, en dépit de leurs différences et de leurs origines.
1996 marque un point tournant. À la suite de l'élection du Parti québécois, le ministère des Affaires internationales, de l'Immigration et des Communautés culturelles devient le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration (MRCI). Le changement de désignation indique que l'accent sera désormais mis sur les notions de cadre civique et de participation civique. Le MRCI définit d'ailleurs la citoyenneté québécoise comme "un attribut commun à toutes les personnes résidant sur le territoire du Québec. [...] Cette citoyenneté reconnaît les différences tout en se fondant sur l'adhésion aux valeurs communes".
Cette nouvelle orientation fut généralement bien accueillie. Des citoyens subsumés sous la catégorie institutionnalisée de "communautés culturelles" s'en réjouissent parce que cette approche tend à contrer les effets pervers d'un étiquetage diffusé ("ethnies", "races", etc.), avec le temps, dans tous les pores de la société civile; ils accèdent enfin au statut de Québécois. D'autres y ont vu une étape supplémentaire vers un assimilationnisme à la québécoise, inspiré de l'idéologie républicaine et jacobine à la française.
Le patrimoine civique commun
Plus récemment, le Forum sur la citoyenneté et l'intégration, qui réunissait, en septembre 2000, 350 participants autour d'un document ministériel, allait plus loin et proposait une image intéressante de la notion de patrimoine civique commun. Ce document a suscité des commentaires critiques qu'il faudra prendre en considération dans la nouvelle vague de débats qui s'annoncent autour d'une citoyenneté québécoise. Ils s'articulent autour de trois argumentaires.
Un premier courant d'opinion juge que la démarche s'articule sur une vision trop théorique de la citoyenneté, notamment au chapitre des principes et des valeurs communes. On lui reproche de ne pas mettre suffisamment l'accent sur les conditions réelles d'exercice de la citoyenneté et, surtout, sur les obstacles qui limitent la participation des divers groupes à la société, notamment le désengagement de l'État et les effets pervers de la mondialisation. Certains n'aiment pas l'idée de contrat. La définition d'un projet de société mettant l'accent sur la lutte contre l'exclusion sociale devrait précéder la mise en place d'une politique de citoyenneté.
Un second courant d'opinion s'en est pris, sous diverses formes, au deuxième volet de la définition, soit celle du peuple québécois. Par exemple, le Conseil des relations interculturelles reproche au document de ne pas reconnaître suffisamment la diversité du peuple québécois et les devoirs de l'État à son égard. Il perçoit un dangereux glissement vers la citoyenneté au détriment de l'interculturalisme. Alors que le document ministériel souligne les risques de conflits de loyauté et la confusion inhérente à la présence de deux processus identitaires contradictoires, le Conseil des relations interculturelles regrette que le Québec ne se prête pas à une démarche de complémentarité avec celle du Canada.
L'anthropologue Claude Bariteau, pour sa part, s'en est pris à la définition du peuple québécois véhiculée par le document ministériel et soulève trois objections, dont la première est fondée sur une conception strictement juridique de la citoyenneté:
- sont évacuées les assises formelles de la citoyenneté dans la mesure où les Québécois sont des citoyens canadiens et où il n'existe pas de citoyenneté québécoise;
- sont valorisées des institutions politiques "définies à l'intérieur d'une conception monarchique de la démocratie", qui ont amputé le Québec de la pleine responsabilité de telle sorte qu'en faire l'éloge revient à accepter l'encadrement constitutionnel ainsi que l'assujettissement qu'elles impliquent;
- est véhiculée une conception nationaliste dépassée (celle de la thèse des deux nations fondatrices) alors que la citoyenneté québécoise devrait se construire sur les bases d'une nation politique et d'un État indépendant.
Un troisième courant d'opinion (davantage présent dans la presse anglophone) s'attaque aux intentions politiques cachées du gouvernement québécois. On soupçonne le processus de consultation de vouloir faire renaître la ferveur souverainiste. Pour Stéphane Dion, le forum n'était qu'un exercice de propagande "en attendant de retirer le Québec du Canada"
Cinq enjeux
Les oppositions à ce forum mettent en évidence cinq enjeux:
- l'incapacité de situer le discours gouvernemental québécois dans le contexte de l'offensive fédérale sur la citoyenneté et l'identité nationale;
- l'incapacité de situer le discours du gouvernement du Québec dans l'ensemble des politiques adoptées depuis la fin des années 70;
- le double standard avec lequel on évalue le discours fédéral et celui du gouvernement du Québec;
- l'incapacité de situer le discours canadien et québécois dans un contexte plus global;
- une difficulté à aborder le champ identitaire comme un terrain non de consensus mais de luttes et de compromis, révélant des intérêts contradictoires, au lieu de les réduire sous l'idée générale d'hybridisation, de cosmopolitisme ou de fausse pluralité.
Le débat sur la citoyenneté revêt une dimension symbolique de première importance. Si le modèle "postnational" semble être porté par certains intellectuels, il n'en demeure pas moins que le Canada, tout comme le Québec, situe encore franchement le débat dans le cadre du modèle national. Il n'en demeure pas moins que l'identité (d'ailleurs plurielle) ne peut se passer de son ancrage territorial, de son historicité (à plusieurs voix) et de ses appartenances culturelles.
Par ailleurs, il serait faux de prétendre que le Canada et le Québec sont fermés à la reconnaissance d'identités fondées sur des allégeances multiples. Mais le bricolage identitaire se pose en des termes tout à fait différents dans chacun de ces contextes. Le Canada se prétend une communauté politique et nationale "achevée". Le Québec est toujours en quête de reconnaissance et ses citoyens sont toujours des citoyens du Canada, même s'ils tendent de plus en plus à s'identifier à l'espace politico-national québécois. Définir une citoyenneté québécoise dans ce contexte présente des défis et des pièges particuliers et repose sur une démarche sujette à critique.
Mais il faut poursuivre cette démarche fondamentalement légitime et essentielle. Ceci dit, il nous faut aussi être conscients des objections déjà formulées. L'ambiguïté du statut politique du Québec rend encore plus difficile toute démarche visant à élaborer une "citoyenneté à la québécoise". Cette tentative sera toujours suspecte aux yeux de certains. Il s'agit pourtant d'un passage obligé pour consolider la nation québécoise et la reconnaissance de sa diversité inhérente.
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Micheline Labelle

Département de sociologie de l'UQAM
François Rocher

Département de science politique de l'université Carleton


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