La Charte : un nouvel échec collectif ?

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Ne sautons pas trop vite aux conclusions

C’est une figure récurrente de l’histoire québécoise : un immense effort collectif qui se termine sur un avortement politique, suivi d’une régression collective. Ce schème nous vient peut-être de l’aventure des Patriotes, qui luttèrent pour l’indépendance et qui se retrouvèrent avec l’Acte d’Union. Comme si notre peuple, plutôt doué pour survivre et se cramponner à l’existence, ne savait pas vraiment faire aboutir les projets dans lesquels il s’engage, comme s’ils lui échappaient et se retournaient contre lui.
Depuis la Révolution tranquille, nous avons fait cette expérience à deux reprises, à travers cette forme moderne de la rébellion qu’est le référendum. D’abord en 1980. La dynamique de la Révolution tranquille devait aboutir à la souveraineté ou à la reconnaissance des deux peuples fondateurs. Dans les deux cas, la modernisation du Québec aurait permis la refondation de ses assises politiques. Les nationalistes québécois, souverainistes et autonomistes mis ensemble étaient clairement majoritaires.
C’est d’ailleurs en bonne partie pour satisfaire aux revendications du Québec que le Canada s’engageait dans la remise à neuf de sa constitution. Mais le référendum a échoué et Pierre Trudeau en a profité pour imposer sa vision aux Québécois. Et la dynamique politique de la Révolution tranquille, plutôt que de conduire à un Québec indépendant ou autonome, a conduit à un Québec qui a vu ses pouvoirs fondamentaux amputés et diminués par la constitution de 1982 (et la Charte des droits qui y est logée) qu’on lui a imposé et qu’il n’a toujours pas signé.
Nous l’avons vu aussi en 1995. À l’origine de 1995, on trouve l’échec de l’Accord du Lac Meech, qui entendait corriger partiellement l’injustice historique de 1982. L’échec de Meech consacrait, pour ceux qui en doutaient encore, la fin du mythe du Canada à deux. Toutes les issues étaient désormais bloquées, sauf l’indépendance. D’une certaine manière, elle s’imposait comme l’aboutissement naturel de l’histoire du Québec. Tout s’emboîtait pour qu’une souveraineté tranquille et réussie s’impose comme la conclusion un peu tardive mais heureuse de la Révolution tranquille.
Pourtant, c’est le Non, qui encore une fois, l’a emporté. Encore une fois, une évidence remontait à la surface : un peuple qui échoue son indépendance en paie le prix. Le Canada s’est dit : plus jamais ça. L’échec des souverainistes a permis à Ottawa de parachever le régime de 1982. Il cherchera à disqualifier les assises mêmes de la nation québécoise. Il travaillera à culpabiliser le nationalisme québécois comme jamais en le diabolisant comme une forme à peine maquillée de nationalisme ethnique. Il utilisera la menace partitionniste. Surtout, avec la loi C-20, il contestera le droit du Québec à l’autodétermination, qu’il placera sous la tutelle de la chambre des communes.
Autrement dit, l’échec référendaire a affaibli le Québec et aujourd’hui, l’idéologie trudeauiste s’est imposée au Québec comme une nouvelle figure de la légitimité politique. Et les fédéralistes ont cessé de la critiquer pour l’embrasser, comme si d’un recul à l’autre, ils avaient renoncé à développer une vision proprement québécoise du Canada. On le voit aujourd’hui avec le PLQ : l’idéologie trudeauiste s’est installée à sa tête. Bilan du nationalisme depuis la Révolution tranquille : la vaste mouvement vers l’indépendance s’est retourné contre le Québec. Le peuple québécois n’a pas seulement échoué sa souveraineté – il a perdu en autonomie et laisse le Canada le définir de plus en plus profondément et structurer sa représentation de lui-même.
Connaîtrons-nous la même histoire avec la Charte des valeurs? Elle ne sort pas du vide, elle n’est pas une proposition improvisée. Depuis la crise des accommodements raisonnables de 2006-2008, les Québécois ont envoyé un signal clair : le multiculturalisme ne leur convient pas. Ils rappelaient une chose : la majorité francophone n’est pas qu’une communauté parmi d’autres au Québec. La société d’accueil n’est pas une page blanche. Ils ont tâtonnés pour trouver ne bonne manière de changer la situation. La Charte représentait une réponse positive à cette inquiétude. Elle contribuait à la refondation des repères collectifs.
Jamais la politique n’avait autant enflammée l’électorat depuis 1995. Ce sont des aspirations profondes qui se sont réveillées et des espérances immenses qui se sont dévoilées. Le Québec ferait un geste d’affirmation qui consoliderait son identité. Enfin, il gagnerait une grande bataille. La Charte rappelait l’importance du politique, contre ceux qui voudraient soumettre la vie collective au gouvernement des juges. La Charte rappelait que la politique n’est pas que gestionnaire mais porte sur de grandes visions du collectif.
La Charte marquait aussi une forme d’affirmation identitaire. Elle donnait un nouveau visage à la question nationale dans un Québec qui ne rêve pas d’un référendum à court terme mais qui n’entend pas renoncer à sa différence collective. Elle rappelait que l’identité québécoise est une source légitime pour fonder une différence collective et rappelait que le Québec n’est pas qu’une subdivision du Canada. La Charte consacrait la différence québécoise et rappelait, de manière inédite, le droit à l’autodétermination des Québécois.
On pouvait la soutenir d’un point de vue souverainiste. Elle marquait de ce point de vue une étape dans la renaissance de la cause nationale devant aboutir à l’indépendance. On pouvait aussi y voir la construction d’une société distincte à la québécoise, qui n’entendait plus la permission du Canada anglais pour se construire. Le nationalisme québécois redécouvrait qu’entre le grand soir qui tarde et le statu quo qui aliène, il y avait de la place pour rebâtir les fondements du Québec.
Et pourtant, aujourd’hui, tout cela est compromis. Si la Charte avorte, le Québec en paiera le prix. Au-delà de la laïcité, qui en représente évidemment une partie importante, c’est toute une affirmation identitaire qui se décomposera. Les Québécois, encore une fois, verront un immense élan d’affirmation se retourner contre eux. Des paroles, des paroles, et encore des paroles, et finalement? Rien du tout. On comprend alors pourquoi un peuple se dépolitise puis se démobilise. N’est-ce pas ce qui est arrivé avec la question nationale?
Les multiculturalistes verront aussi cela comme une victoire. Alors qu’ils ont perdu la bataille de l’opinion publique et celle des idées, ils n’hésiteront pourtant pas à pétarader et chercheront à rétablir leur hégémonie dans le système médiatique et politique en diabolisant le nationalisme, comme ils nous y ont habitués. Et on peut s’attendre à ce que le modèle multiculturaliste poursuive son implantation, continue à façonner notre société et à modeler les mentalités. L’identité québécoise poursuivra sa dissolution dans le multiculturalisme canadien, pour n’en devenir qu’une nuance.
Si la Charte avorte, c’est le Québec lui-même dans son ensemble qui régressera. C’est tout un élan collectif qui se retournera contre nous. Comme en 1980. Comme en 1995. Je serais tenté d’écrire, tristement : comme d’habitude.


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