Mais Obama, depuis sa réélection, a modifié quelque peu ses positions.

La bataille Obama vs Harper

Le Canada et les pétrolières ont un grand besoin de l’oléoduc Keystone XL

Tribune libre

D’un côté nous avons le champion des environnementalistes et de l’autre leur pire ennemi. L’enjeu est grand. Entre autres, la construction de l’oléoduc Keystone XL.
Il y a plus d’un an, Obama l’a bloquée suite aux craintes des Nebraskais et de leur gouverneur face aux effets possiblement néfastes sur les nappes aquifères de leur territoire. Obama avait alors affirmé qu’un nouveau tracé devait être trouvé pour qu’il l’autorise. Le nouveau tracé est déterminé et le gouverneur du Nebraska accepte maintenant que l’oléoduc traverse son État.
Mais Obama, depuis sa réélection, a modifié quelque peu ses positions. Il se place définitivement plus à gauche. Ainsi dans ses discours, Inaugural et « State of the Nation », il s’est engagé à combattre les changements climatiques et a expliqué : « Évidemment, plus les efforts seront importants dans le secteur de l'énergie — que ce soit l'industrie des sables bitumineux au Canada, celle de l'énergie aux États-Unis ou ailleurs —, et plus ces industries feront des progrès dans la réduction des gaz à effet de serre, de leur consommation d'eau, mieux nous nous porterons tous ». Et vlan… sur le manque de politiques environnementalistes d’Harper.
Alors que la décision finale d’Obama approche, les Américains et Canadiens opposés à l’exploitation des sables bitumineux se font valoir. Ils étaient plus de 30 000 manifestants devant le monument de Washington contre la construction de l’oléoduc et contre l’achat au coût de 15,1 milliards $ de Nexen Inc, producteur de pétrole des sables bitumineux, par la société nationale chinoise CN00C. À cette rencontre, les médias ont rapporté une phrase d’un discours qui en dit long sur ce qui motive les manifestants : « Martin Luther King was fighting for equality, we are fighting for existence ».
Harper n’est pas heureux de se faire tasser dans le coin par Obama. Déjà que les relations entre les deux chefs politiques (Harper penchait du côté républicain lors de l’élection de novembre) étaient, au plus…, amicales, plusieurs disent froides, voilà le PM canadien sur la défensive.
Voulant éviter une dispute publique, Harper hésite à user de rétorsions. Par contre, pour accentuer la pression sur son vis-à-vis américain, il cherche non seulement à utiliser la puissance des lobbyistes pétroliers mais aussi à appuyer l’important mouvement ouvrier américain AFL-CIO. Ce dernier, qui a toujours appuyé électoralement Obama, est favorable à la construction du pipeline à cause du potentiel de milliers de nouveaux emplois qui y seront créés.
Harper rappelle aussi les avantages du libre-échange (le Canada est le premier pays commerçant avec les USA), les collaborations militaires (Iran et Afghanistan) et autres. Il souligne les importantes commandes d’équipements militaires américains. Plus souvent qu’autrement, dit-il, le Canada dit « Oui » aux USA, le temps est venu maintenant aux USA de dire « Oui » au Canada. Pour Harper, c’est ça une bonne relation entre voisins.
Le Canada a économiquement besoin de vendre son pétrole et vise à augmenter la production venant des sables bitumineux afin de pouvoir en diminuer le prix de revient. Le billet du 3 janvier 2013 de mon blog « le boom pétrolier canadien » rappelait que « le gouvernement de l’Alberta recherche d’autres moyens pour livrer son pétrole car cela devient important pour lui puisque 25 % de ses revenus découlent des royautés. De plus, les baisses récentes du prix du pétrole brut sur les marchés mondiaux ont plongé le gouvernement albertain dans un déficit de 3 milliards $ pour l’exercice qui se termine. Cela va affecter indirectement les Québécois, puisque les versements de péréquation aux provinces les plus pauvres seront plus bas avec une Alberta moins riche ». Il est donc dans l’intérêt économique de ces provinces canadiennes que l’oléoduc XL soit réalisé.
Parce qu’Obama veut limiter, pour des raisons de sécurité, l‘importation du pétrole du Moyen-Orient et du Venezuela, les USA ont augmenté considérablement leurs importations de pétrole canadien à 2,4 millions de barils/jour de l’Alberta. Le Keystone XL ajoutera de 500 000 à 700 000 b/j. C’est beaucoup. De plus, si l’oléoduc Enbridge Northern Gateway (transmontages-rocheuses) avec une capacité de 850 000 b/j et l’inversion du pipeline Sarnia vers l’est canadien sont réalisés, l’argent rentrera à flots dans les coffres non seulement de l’Alberta, mais aussi du gouvernement du Canada et des provinces.
Si les oléoducs ne sont pas construits, l’exploitation des sables bitumineux sera-t-elle alors arrêtée ? J’en doute, car les compagnies pétrolières ont beaucoup de moyens, de capacité et d’imagination et elles trouveront des solutions pour s’en sortir honorablement. Mais cela sera loin du niveau que permettraient les nouveaux oléoducs.
Nous sommes donc, nous les Canadiens, devant un dilemme. Si le projet va de l’avant, nous serons beaucoup plus riches; s’il est arrêté, l’environnement se portera mieux. Si Keystone est annulé, les chances sont que le Enbridge Northern Gateway le soit aussi, pour les mêmes raisons. Ce sera de gros pas économiques en arrière pour l’économie canadienne. La décision que prendra Obama est donc, par conséquent, très importante pour chacun de nous.
Pour nous convaincre de l’appuyer, Harper a entrepris une campagne publicitaire à même les fonds publics pour expliquer l’importance et l’impact du secteur énergétique canadien. Le but est surtout de motiver les Canadiens tout en faisant appel à leur sens patriotique. Elle les « encourage à mieux s’informer de l’importance de l’énergie sur l’économie canadienne et leur qualité de vie ». Dans un premier temps, faible en faits, ce ne fut pas un succès, mais après quelques ajustements importants, l’analyse de la deuxième campagne démontre que les individus qui l’avaient visualisée se disaient fiers d’être canadiens et que le Canada faisait tous les efforts pour protéger l’environnement.
Dans mes billets, j’ai toujours dénoncé, depuis 2005, le pétrole sale issu des sables bitumineux. Beaucoup d’experts et de personnalités se sont montrés indignés devant cette exploitation. L’Union Européenne refuse d’acheter le pétrole canadien pour cette raison même si avec le temps, des mesures ont été prises et la situation s’est quelque peu améliorée. Mais elle est loin d’être parfaite.
Le gouvernement du Canada et les pétrolières ont un grand besoin de l’oléoduc Keystone XL. La bataille Harper-Obama ne fait que commencer. Obama est en position de force et a une belle occasion de transformer Harper en environnementaliste, du moins momentanément. Ce ne sera pas facile. Mais il peut établir ses conditions, dont l’obtention d’un pétrole plus propre et une lutte sérieuse de la part du gouvernement du Canada pour combattre les changements climatiques sur le continent de l’Amérique du Nord.
De son côté, Harper va vite comprendre que le discours d’Obama peut persuader un plus grand nombre de Canadiens que ne le font ses campagnes publicitaires. En bon politicien, il sait que tout peut arriver suite à cette bataille, dont perdre les prochaines élections fédérales. Il ne peut que céder.
Je crois que l’oléoduc Keystone XL sera réalisé aux conditions d’Obama. Je suis dans son camp et je l’encourage.


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2 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    21 février 2013

    Le traitement subi il y a très longtemps par John. Diefenbaker (un p.m. provenant de l’ouest canadien) de la part de John. F. Kennedy devrait inciter S. Harper à beaucoup de prudence. Et S. Harper est un politicien prudent.
    L’épisode des relations entre Kennedy et Diefenbaker illustre le rapport de force qui existait entre Washington et Ottawa. À l’époque, et au-delà des Bomarcs et des ogives nucléaires, Washington favorisait le Canada central comme interlocuteur, c’est-à-dire l’axe Québec-Ontario. Cet axe politique a volé en éclat depuis l’émergence des souverainistes au Québec. Mais les grands intérêts demeurent. Ils passent encore par Washington bien davantage que par Calgary maintenant…Le Canada actuel n’est plus le Canada d’antan, certes, mais il ne va pas imploser de lui-même, par magie. Mais il est indéniable que le pipeline inversé peut provoquer une conflagration politique que Washington lui-même pourrait être incapable de prévenir.
    Obama n’est pas à la tête de la Rome impériale, comme l’avait été Kennedy.
    Quoi qu’on en dise ici, le minuscule électorat rouge du West Island constitue encore aujourd’hui un enjeu politique formidable. Les souverainistes à Québec dorment-ils à poings fermés ? Je l’ignore. J’aurais tendance à croire qu’ils ne dorment pas au vu du traitement que le ministre Lisée réserve actuellement au West Island. Mais à l’inverse, il me semble que les fédéralistes québécois dorment au gaz depuis si longtemps qu’ils sont devenus carrément hors-jeu. La game (des intérêts nationaux) se joue sans eux depuis longtemps. Aussi bien que le P.Q. la joue maintenant contre eux.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 février 2013

    À priori quand je lis votre texte, ma réaction première, c'est que "leur" pétrole et "leur" péréquation, ils peuvent se les mettre à un endroit que je ne nommerai pas ici. Nous, les québécois, on va s'occuper de "nos" richesses naturelles et de "nos" revenus.
    On s'en fout du Canada, monsieur Dupras. À pied, à cheval et en voiture. Ils ont tout fait pour "nous" saigner et développer "leur" pays. Qu'ils le gardent et nous nous développerons enfin le nôtre à notre façon.
    Quand on était jeune, on disait dans les manifs : "Canada, mon cul". On n'a pas changé. On n'a pas besoin du Canada pour vivre. D'ailleurs, soit dit en passant, est-ce qu'on paie le pétrole canadien moins cher que celui que nous importons?
    En plus, nous aussi, on en a du pétrole. Plein la Gaspésie et plein l'Ile Anticosti.
    En plus de toutes nos autres richesses naturelles.
    Je vous prie monsieur Dupras, lâchez-nous la grappe avec le "nous" canadien.
    Le Canada n'est pas notre pays. Son drapeau n'est pas notre drapeau et son hymne national n'est pas notre hymne national.
    Est-ce que c'est assez clair?
    Pierre Cloutier