L’actualité de la crise

L'incommensurable

Crise mondiale — crise financière

par François Leclerc Billet invité.
Estimer les conséquences de la crise américaine au cas où le pays ferait défaut sur sa dette, à moins qu’un accommodement de plus en plus improbable n’intervienne, est un exercice de haute voltige. Ce soir, les CDS garantissant contre le défaut de paiement de la dette américaine ont atteint leur plus haut niveau depuis fin mars 2009 et les taux courts se sont très tendus, les taux longs restant stables. L’échéance fatidique est dans quatre jours. les dirigeants américains de tous bords rivalisent de qualificatifs alarmistes et de sombres prévisions pour caractériser la situation. Le Congrès a été pris en otage par le Tea-Party et la droite républicaine dure.
Le dollar est la principale monnaie de réserve mondiale, de loin la plus utilisée pour les transactions commerciales et la dette américaine est au centre du système financier. Elle est utilisée par les money market funds et le marché des repos (les repurchase agreements), qui font la pluie et le beau temps sur le marché de la liquidité bancaire, auxquels il faudrait suppléer ; ou bien pour indexer un très grand nombre d’actifs, dont la valeur va s’en trouver automatiquement modifiée. L’ensemble constitue le squelette du système et l’on peut légitimement s’alarmer de son brutal faux-pas.
Pour commencer, une perte de la note AAA des Etats-Unis aurait des conséquences en chaîne sur le marché de la dette, ainsi que pour les fonds communs de placement qui cherchent à optimiser le risque, les banques d’affaire qui s’en servent dans leurs transactions complexes, les compagnies d’assurance, les Etats fédéraux et enfin les collectivités locales américaines. Liste non limitative.
Les réserves de change des pays seraient également affectées, non seulement des plus gros détenteurs, comme la Chine ou le Japon, mais aussi des pays dollarisés, par exemple d’Amérique Latine, qui seront eux touchés de plein fouet. L’agence Chine nouvelle a carrément accusé les élus du Congrès d’être « dangereusement irresponsables ». Pour entrer plus dans le détail, les fonds de pension brésiliens seraient aussi très touchés, parmi d’autres. Enfin, les effets sur le commerce international et l’activité économique seraient incalculables, notamment pour les partenaires commerciaux les plus importants des Etats-Unis. L’Europe, à la croissance déjà anémique, entrerait franchement dans la dépression.
Ni la Fed, ni le Trésor américain n’ont laissé percer leurs intentions et plans de bataille, ne voulant pas laisser ainsi à penser qu’un défaut était envisageable, mais le temps presse. Convoquée par le Trésor, une réunion a lieu ce vendredi, réunissant la totalité des vingt établissements financiers privés habilités à la négociation de la dette, alors que seulement une partie d’entre eux y assistent par rotation habituellement.
De premières dispositions devraient être prises à cette occasion, au cas où aucun accord n’intervient in extremis au Congrès, mais rien de concret n’en est sorti publiquement. On se saura pas ce que le Trésor privilégiera comme paiement si le plafond de la dette n’est pas relevé. S’il fera défaut sur le marché obligataire, en ne versant pas les coupons promis, situation qui elle seule entraînera le défaut.
John Williams, le président de la Federal Reserve Bank de San Francisco, a déjà clairement fait savoir que la Fed « ne disposait pas de baguette magique », démentant les rumeurs selon lesquelles elle pourrait financer le Trésor à titre exceptionnel et pendant quelques jours supplémentaires. Il y a eu un précédent sous l’administration Clinton. Jeff Lacker, président lui de la Federal Reserve Bank de Richmond, s’est exprimé sur l’un de ses terrains de prédilection, pour refuser par avance tout nouveau programme d’achats obligataires, sous la forme d’un QE3 qui succéderait aux deux précédents. « Une relance monétaire supplémentaire à ce stade semble avoir des chances de porter l’inflation à des niveaux non souhaitables et de faire peu de choses pour stimuler la croissance réelle », a-t-il déclaré.
Entretemps, le tocsin a été sonné par le gratin de la finance américaine, quatorze banques, compagnies d’assurance et établissements financiers de Wall Street ayant écrit au Président et aux parlementaires afin de les exhorter à trouver un accord relevant le plafond de la dette et entamant de premières mesures de réduction du déficit, faute duquel « la situation économique du pays, qui est déjà difficile », serait « aggravée de façon dramatique ».
Parallèlement, on apprenait que la Chambre de commerce américaine, haut lieu des milieux d’affaire, s’activait dans les couloirs du Congrès afin de convaincre, mais en pure perte, les élus du Tea Party de modérer leurs ardeurs et de se rallier au projet de loi républicain, après avoir financé leur élection.
Les banques échafaudaient des plans de secours, discrètes sur leurs modalités, conscientes de leur portée limitée. L’objectif étant de disposer du maximum de liquidités face à une éventuelle pénurie brutale et un bank run des déposants cherchant à protéger leurs dépôts.
Ayant financé une très grande partie de la dette, les banques américaines en détiennent actuellement quelques 1.600 milliards de dollars, plus que la Chine, et ont exprimé leur inquiétude auprès de la Fed, au cas où sa valeur venait à chuter en raison d’une augmentation des taux des Treasuries, les obligations US. Pouvant essayer de se garantir en achetant des CDS, elles voudraient surtout que la Fed ne soit pas trop regardante sur la détérioration de leur bilan qui en résulterait… Les accords de Bâle III, tant encensés, n’étant dans ces conditions pas près d’être appliqués et les bilans d’équerre.
Qu’un défaut soit constaté ou qu’un rapiéçage de fortune soit trouvé, ce n’est certes pas tout à fait pareil. Mais un mal est dans les deux cas en passe être fait : que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, la crise de la dette se révèle mortelle. L’espoir de la résorber progressivement, tout en protégeant le système financier, afin qu’elle continue d’être un pilier, s’évanouit. Le système financier est en train de perdre à grande vitesse l’un de ses points d’appui, la dette publique à laquelle était associé un « risque zéro » qui n’est plus de saison.
La crise va brutalement entrer de plain-pied dans sa dimension monétaire, empilée sur toutes les autres : le dollar va perdre son statut privilégié. Un nouveau socle va devoir être trouvé, impliquant une refonte du système monétaire international. On ne voit pas comment celle-ci pourrait désormais se faire en douceur et s’étaler dans le temps afin d’éviter les spasmes. Une restructuration mondiale de la dette, publique et privée, l’accompagnera. Reste à trouver l’objectif, la méthode, et à en décider !
La dette américaine jouait un rôle clé en raison de son abondance, du risque longtemps considéré nul qui y était associé et de son extrême liquidité. Il va falloir en parler au passé. En tentant de se raccrocher aux branches, le système va faire beaucoup de dégâts. Un effondrement des marchés est en vue, pour la deuxième fois depuis le début de cette crise.


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