L’« exode » des Québécois en chiffres : qu’en est-il réellement?

u Québec, ce solde migratoire net est largement positif depuis plus de 20 ans.

Tribune libre

Il n’est pas rare de lire ou d’entendre dans les médias, par le biais des nouvelles, des éditoriaux ou des lettres ouvertes, que le Québec serait une terre d’exode, que la province perd massivement ses gens et ses diplômés. Sans nommer toutes les fois où il en a été question, rappelons seulement qu’à en croire certains, le rêve d’une grande partie de la population serait de quitter la province. Pour appuyer leurs dires, des chiffres bruts sont amenés, sans toutefois prendre le soin de nuancer et de comparer avec les autres provinces. Dans ce texte, j’aimerais rétablir les faits, car la situation est loin d’être aussi alarmante qu’on pourrait le croire : la réalité, c’est que le Québec est la province où il y a le moins de départs au prorata de sa population.

À partir des chiffres fournis par Statistique Canada, il est possible d’avoir, pour chaque année et chaque province, une estimation du nombre d’émigrants (les personnes quittant une province pour un autre pays) et le nombre de sortants interprovinciaux (les personnes quittant une province pour s’installer dans une autre). En faisant la somme de ces deux composantes, nous savons qu’il y a en moyenne 40 000 personnes par années qui quittent le Québec depuis 10 ans. Les chiffres peuvent paraître alarmants au premier regard, car il s’agit d’un nombre équivalent aux immigrants qui sont accueillis chaque année dans la province.

Précisons d’abord une chose : la mesure comparative des départs de la province doit être en fonction de la population à risque, car il est bien évident qu’il y a plus de personnes qui quittent le Québec (qui compte 7,7 millions d’habitants) qu’il y en a qui quittent l’Île-du-Prince-Édouard (qui compte 130 000 habitants). Premièrement, relativisons les chiffres! Ces départs correspondent à un taux annuel moyen de 5,2‰, c’est-à-dire que pour chaque tranche de 1000 Québécois, 5 personnes quitteront la province par année. Encore alarmant diront certains, mais qu’en est-il ailleurs? En Alberta, le taux de départ annuel moyen est de 18,1‰, pour la même période. En Colombie-Britannique, c’est 14,6‰. En fait, le taux de départ du Québec est le plus faible parmi les 10 provinces canadiennes, tout juste devant l’Ontario qui a un taux de 7,2‰.

Parlons maintenant du fameux « exode » des diplômés. Qu’en est-il réellement? Les données du recensement de 2006 permettent de voir, parmi les Canadiens âgés entre 25 et 64 ans qui ont fait des études postsecondaires, la province de résidence actuelle en fonction de la province où les études ont été effectuées. Ainsi, parmi ceux qui ont fait leurs études postsecondaires au Québec, 94% vivaient toujours au Québec en 2006, ce qui veut dire que 6% ont déménagé ailleurs au Canada après avoir obtenu leur diplôme. C’est beaucoup direz-vous? Pourtant, parmi les dix provinces canadiennes, le Québec est de loin celle qui présente le meilleur bilan : l’Alberta n’a conservé que 84% de ses diplômés, la Colombie-Britannique, 90% et l’Ontario, 91%. Dans les provinces maritimes, ces pourcentages sont inférieurs à 75%.

Concluons finalement sur une nuance. Dans les deux points précédents, il n’a été question que des sortants et non des entrants (c’est pour cette raison que l’Alberta fait piètre figure, car bien qu’il y ait beaucoup de gens qui quittent cette province, un nombre beaucoup plus grand s’y installent). Or, c’est à ce niveau que le Québec fait moins bien que les autres provinces. Cependant, il faut bien comprendre que le fait de ne pas attirer beaucoup de Canadiens anglais (la raison du solde migratoire interprovincial négatif) est un tout autre débat que le prétendu exode des Québécois. Il est vrai que peu de Canadiens viennent s’installer au Québec, mais en revanche, peu de personnes quittent le Québec et un très grand nombre d’immigrants sont accueillis. Somme toute, ce qui compte démographiquement parlant, c’est le solde migratoire net de la province (la somme des entrants internationaux et interprovinciaux moins les sortants). Au Québec, ce solde migratoire net est largement positif depuis plus de 20 ans. Dans les dernières années, il était d’environ 30 000, c’est-à-dire que chaque année, le Québec gagne 30 000 habitants par le biais des migrations. Cela correspond à un solde net supérieur à celui de la France ou des États-Unis au prorata de la population. En prenant en compte les 10 dernières années, dans l’ensemble du Canada, le Québec se classe au 4e rang à ce niveau, derrière l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. En considérant une vue d’ensemble et en relativisant, nous voyons que nous sommes néanmoins loin du désastre!


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 février 2009

    Messeiurs,
    J'habite aux États-Unis depuis 1985. J'y ai fait mes études de deuxième et troisième cycles universitaires. Et, depuis, j'y fais carrière. Intégré dans la société d'accueil?
    Sans doute: citoyenneté, paie mes taxes, etc., oui.... Assimmilé? Absolument pas!!
    Vous noterez que je vous écris en français. Correct, je l'espère; je vois à l'améliorer
    tous les jours. On peut s'expatrier, le Québec ne vous quitte jamais.
    Une chose que j'apprécie: les États-Uniens ne mentent pas au niveau de la langue. Ils ne promettent rien, et je n'en attends rien. C'est plutôt différent du "bilinguisme" mensonger qui prévaut dans le ROC, vous ne trouvez pas?
    Claude Jodoin Ing.

  • Guillaume Marois Répondre

    16 février 2009

    @MichelG
    L’ « exode » des Québécois ne constitue pas nécessairement un acte d’assimilation. Dans bien des cas, il s’agit d’émigration temporaire (des jeunes qui vont travailler quelques années dans l’Ouest pour se faire un bon montant et qui reviennent au bercail).
    Néanmoins, tu soulèves un bon point, mais il s’agit là d’un tout autre débat qui n’a rien à voir avec un prétendu « exode » massif des Québécois.

  • Michel Guay Répondre

    16 février 2009

    Sauf qu'il faut considérer que l'exode des Québecois constitue à la fois assimilation- anglicisation ce qui n'est pas le cas pour les canadians qui sont déjà des anglophones .
    et aussi nous n'intégrons pas au Québec la totalité des immigrants , ce qui n'est pas le cas au Canada qui intègre cent pour cent des immigrants .

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2009

    Voilà qui remet les pendules à l'heure. Merci d'avoir pris la peine de l'écrire monsieur Marois.
    Cela me fait aussi penser au gros show annuel au sujet du décrochage scolaire, ou alors de la diplomation, ou alors de ci ou ça. Z'ont l'air d'épouvantails à moineaux qui garrochent des statistiques sur la place publique...
    Je n'en reviens pas à quel point certains aiment se dénigrer, et surtout dénigrer systématiquement le Québec.
    Bonne journée monsieur Marois.