Des milliers de Grecs ont manifesté hier leur colère contre le budget d'austérité - qui doit être voté aujourd'hui au Parlement - lors de défilés émaillés d'incidents violents au centre d'Athènes, au premier jour d'une grève générale de 48 heures.
PHOTO: LOUISA GOULIAMAKI, AFP
Laurent Desbois - Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a récemment proposé de créer un poste de ministre des Finances de l'Europe, afin de soutenir l'intégration fiscale dans la zone euro. Un tel ministre, s'il pouvait exercer de réels pouvoirs, permettrait assurément d'avancer dans la bonne direction, car c'est justement le manque de pouvoir européen central qui rend difficile la stabilité de l'euro et la gestion des crises liées à cette devise.
Pour l'instant l'euro est une devise sans État. Il existe bien certaines institutions européennes: Parlement, Cour des comptes, Banque centrale - la seule entité européenne qui défend l'euro. Mais l'absence de gouvernement «fédéral», démocratiquement élu et qui pourrait défendre l'intégrité de l'euro, en imposant par exemple des transferts fiscaux, conduit forcément à des problèmes structurels qui minent la viabilité de l'euro.
Par exemple, depuis la création de cette devise, en 1999, on a vu trois développements qui causent beaucoup d'instabilité, vu l'absence de gouvernement central. Premièrement, la Grèce a pu s'endetter au point où elle se trouve maintenant au bord de la faillite. Deuxièmement, les coûts de main-d'oeuvre dans les pays périphériques comme la Grèce, l'Espagne et l'Irlande se sont élevés d'environ 30% par rapport à l'Allemagne, ce qui a rendu ces États peu compétitifs.
Cela a créé du chômage, et celui-ci ne peut diminuer par des déplacements de main-d'oeuvre d'un pays européen à l'autre, puisque des barrières linguistiques et culturelles freinent la mobilité des travailleurs. Les salaires dans les pays périphériques doivent donc s'ajuster à la baisse, ce qui ne se fera pas sans générer des tensions sociales et politiques. L'absence de transferts fiscaux alimentera ces tensions.
Troisième développement négatif?: le crash après l'excès de crédit dans ces pays de la périphérie européenne et le règlement de la note à payer par leurs contribuables. Rappelons que l'adoption de l'euro, monnaie forte et plus sécuritaire que les diverses devises nationales européennes, avait fait baisser les taux d'intérêt de ces États périphériques. Il s'en est suivi une orgie d'emprunts publics en Grèce et privés en Espagne et en Irlande - les prêts provenant essentiellement de pays en surplus comme l'Allemagne.
Résultats: les banques des pays périphériques ont augmenté leur levier, les ménages ont obtenu les crédits pour investir dans l'immobilier, ce qui a provoqué une bulle immobilière suivie d'un crash, après 2008. L'Irlande a alors empiré les choses en se portant garante des dépôts placés dans ses banques nationales. Or, les sommes à couvrir dépassaient largement les capacités financières de l'État irlandais.
Certes, l'euro a éliminé les risques de dévaluation des anciennes devises européennes, mais en faisant apparaître de nouveaux risques, rattachés aux dettes nationales et bancaires. Le manque d'institution fédérale rend très difficile le règlement de ces problèmes souverains et bancaires. La proposition de Jean-Claude Trichet de créer un ministère des Finances est un pas important dans la bonne direction. Un gouvernement fédéral permettrait de décider de la répartition de la note à régler pour recapitaliser les banques et renflouer la Grèce, autrement dit d'arbitrer le prélèvement des sommes nécessaires entre les contribuables grecs, irlandais et allemands, les détenteurs d'obligations ainsi que les banques. En l'absence d'un gouvernement fédéral, on fait face à des tiraillements nationaux qui éloignent les pays les uns des autres.
C'est ainsi que la devise européenne est devenue une source d'instabilité financière, économique et politique, alors qu'elle devait être synonyme de stabilité. «Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire économique d'une union monétaire qui n'est pas associé à un seul État», disait Otmar Issing, économiste en chef de la Banque centrale allemande, 10 ans avant la création de l'euro. Ou bien les Européens choisiront de fonder cet État ou l'euro disparaîtra.
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Laurent Desbois
L'auteur est président de Fjord Capital, une firme de gestion de fonds institutionnels en devises.
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