LIBERTÉ DE PRESSE

L'État policier, c'est ça!

Le ministre de la Sécurité publique ordonne une enquête administrative

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L'État policier, c'est ça!






En lieu et place de l’« affaire Lagacé », il faudra désormais traiter du scandale de la surveillance des journalistes : la Sûreté du Québec a confirmé mercredi qu’elle avait, tout comme la police de Montréal, traqué des reporters au cours des dernières années dans le cadre d’une enquête, suscitant une nouvelle vague d’inquiétudes et de dénonciations dans l’univers des médias.


 

Le SPVM n’était donc pas seul à épier les faits et gestes des journalistes du Québec. En 2013, la SQ a mis sous surveillance les téléphones cellulaires de Marie-Maude Denis, Alain Gravel et Isabelle Richer de Radio-Canada, du chef du bureau de La Presse à l’Assemblée nationale, Denis Lessard, du reporter spécialiste du crime organisé André Cédilot et d’Éric Thibault du Journal de Montréal.


 

Le corps de police tentait alors de faire la lumière sur une fuite d’information concernant l’enquête policière qui visait le président de la Fédération des travailleurs du Québec, Michel Arsenault. La SQ en a elle-même fait la révélation mercredi.


 

C’est le nouveau directeur général de la SQ, Martin Prud’homme, qui aurait réclamé des vérifications internes au cours des derniers jours, dans la foulée de l’« affaire Patrick Lagacé ». Le chef de police « est très préoccupé, très irrité. Il a demandé qu’une enquête soit confiée à un tiers indépendant et veut s’assurer que les droits de toutes les personnes visées ont été respectés, a affirmé le porte-parole Guy Lapointe. C’était sous l’ancienne administration. Les règles sont fort différentes maintenant à la SQ. »


 

Le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux a annoncé la tenue d’une enquête administrative sur les pratiques de la Sûreté, en plus des promesses faites la veille pour tenter de rassurer les entreprises médiatiques et leur personnel. Mais la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) en demande bien davantage. « Il faut plus qu’un comité de quelques personnes sans pouvoirs et qu’une modeste “ inspection ” de trois corps policiers pour espérer rétablir l’essentiel climat de confiance qui peut inciter les divulgateurs à parler à un journaliste, a estimé le conseil d’administration de la Fédération. Pour connaître l’ampleur de la surveillance des journalistes par les différents corps policiers ainsi que les liens entre la police et le pouvoir politique, puis déterminer les moyens de corriger les problèmes, il faut une enquête publique indépendante dotée des moyens nécessaires. » Québec s’y refuse toujours.


  

La Presse révélait en début de semaine que le chroniqueur Patrick Lagacé avait fait l’objet de surveillance policière étroite dans le cadre d’une enquête menée contre l’un de ses policiers. Pas moins de 24 mandats de surveillance du journaliste avaient été accordés par la juge de paix. D’autres médias avaient également révélé que Félix Séguin de TVA, Monic Néron du 98,5 FM, et Fabrice de Pierrebourg, anciennement de La Presse, avaient aussi été surveillés par le SPVM.


 

Visée par la SQ, la journaliste de Radio-Canada Isabelle Richer a vivement réagi mercredi. « Ce n’est plus que le SPVM, c’est la SQ, c’est une chasse généralisée aux sources journalistiques », s’est-elle indignée.


 

Directeur de l’information du Journal de Montréal, George Kalogerakis, a dénoncé avec véhémence les actions posées par le SPVM et la SQ au cours des dernières années. « Les médias sont là pour s’assurer que nos institutions — la police, la classe politique, le judiciaire — aient des comptes à rendre à la population. De voir que la SQ nous ait espionnés pour des sujets aussi mineurs démontre à quel point ce corps de police comprend mal le fonctionnement de notre démocratie », a-t-il déclaré en entrevue.




Le SPVM mis en demeure


 

Brian Myles, qui dirige Le Devoir, parle quant à lui de révélations « excessivement troublantes ». « On est en présence de dérives systématiques de la part de corps policiers. Il nous apparaît urgent de faire une enquête exhaustive et indépendante. »


 

Dans la foulée de cette affaire, La Presse a d’ailleurs mis en demeure le SPVM, exigeant qu’il cesse d’utiliser les registres téléphoniques et les données de localisations de Patrick Lagacé. « L’absence de précautions prises lors de la collecte de données […] de M. Lagacé pour protéger les sources confidentielles de ce dernier est un scandale et une atteinte sans précédent à la liberté de presse », écrit Sébastien Pierre-Roy, avocat du quotidien de la rue Saint-Laurent.


 

« Ces données n’ont jamais appartenu au SPVM et ne lui appartiennent toujours pas. » Simultanément, le quotidien présentait une requête afin de forcer le SPVM à remettre à la justice tous les exemplaires de ces documents afin qu’ils soient éventuellement détruits.


 

Dans toute cette affaire, les journalistes canadiens ont-ils été naïfs de croire qu’ils étaient à l’abri de telles invasions de leur vie professionnelle et privée ? « Lundi, je vous aurais dit que l’affaire Lagacé était probablement une première dans l’histoire du droit canadien. Je suis très déçu de constater que j’ai eu tort. Il semble y avoir une facilité à obtenir ce genre d’ordonnance et il est donc tout à fait possible qu’il y en ait plus », a confié l’avocat de La Presse, Sébastien Pierre-Roy.


 

Pas de démission du chef de police


 

Malgré la tourmente dans laquelle il se trouve plongé depuis lundi, Denis Coderre continue d’appuyer le directeur SPVM, Philippe Pichet. « Jusqu’à preuve du contraire, il a ma confiance », a indiqué le maire mercredi.


 

Pour lui, toutefois, la protection des sources journalistiques demeure primordiale : « On n’est pas contents. Moi-même, quand j’ai vu ça, j’ai pété ma coche. Je trouvais ça inacceptable. Mais maintenant, il faut être factuel. On ne fera pas de lynchage public et on va s’assurer que les choses se fassent adéquatement. »


 

Mardi, l’administration Coderre a mandaté la Commission de la sécurité publique afin qu’elle se penche sur les procédures et les critères suivis par le SPVM pour l’obtention de mandats judiciaires visant des journalistes lors d’enquêtes. Les élus pourront alors questionner Philippe Pichet sur les méthodes des enquêteurs. Les échanges se feront à huis clos, mais le rapport que rendra la commission d’ici le 31 janvier 2017 sera public, a rappelé le maire : « On a des questions à poser tout en s’assurant qu’on n’entache pas les enquêtes et qu’on ne crée pas plus de problèmes s’il y a des causes devant les tribunaux », a-t-il dit.


 

Réactions à Ottawa


 

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau s’est montré ouvert à la possibilité de revoir les lois pour protéger la liberté de presse. « On va regarder attentivement les conversations qui vont avoir lieu entre l’Hôtel de Ville de Montréal et [le SPVM], mais […] comme on a dit plusieurs fois, ce gouvernement [se porte] à la défense de la liberté de la presse et on va faire ce qui est nécessaire pour l’encadrer, s’il y a d’autres étapes nécessaires. »


 

Fait inquiétant, ni la Gendarmerie royale du Canada ni le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’ont voulu préciser si des journalistes avaient déjà été, ou se trouvent actuellement sous écoute électronique.




Consultez la mise en demeure de La Presse au SPVM : 

 





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