Éric Desrosiers - La situation a tellement dégénéré dans certains pays d'Europe que l'on a commencé à y remplacer les dirigeants élus par des technocrates sans mandat populaire, comme si les solutions à la crise n'étaient pas aussi de nature politique. Surtout de nature politique.
La Grèce et l'Italie ont de nouveaux chefs de gouvernement. Imposés par leurs partenaires européens, qui avaient peur que les erreurs de ceux qui occupaient ces postes avant eux finissent par casser leur union monétaire, le nouveau premier ministre grec, Lucas Papadémos, le nouveau président du Conseil italien, Mario Monti, et une partie des nouveaux ministres de leurs cabinets sont des experts respectés issus de grandes banques internationales, de la haute administration européenne et des meilleures universités. Leur mandat se limite à quelques mois durant lesquels ils ne devront se consacrer qu'à la mise en place des difficiles mais nécessaires mesures d'austérité pour calmer la tempête qui menace d'emporter leur pays ainsi que bien d'autres alentours.
Les marchés financiers ont accueilli la nouvelle avec un grand soupir de soulagement. Ils avaient eu la même réaction de contentement quand l'ancien premier ministre grec, George Papandréou, avait finalement laissé tomber le projet qu'il avait eu pendant quelques heures de soumettre les conditions de renflouement imposées à son pays à un référendum.
Le hasard a voulu qu'environ au même moment plusieurs villes décident qu'elles en avaient assez de l'occupation de parcs par le mouvement des indignés et qu'il était grand temps qu'ils débarrassent, de gré ou de force, l'espace public de leurs tentes et de leurs critiques contre le fonctionnement du capitalisme.
Il faut dire que cette mise en tutelle des élus grecs et italiens arrive alors que tout le monde se plaint depuis des mois de l'hallucinante incapacité des dirigeants politiques européens et américains d'agir de manière décisive pour sortir leurs pays des déficits publics et du marasme économique. Les craintes des élites politiques et des marchés, quant à l'accueil que pourrait réserver la population à leurs plans de sauvetage, ne sont pas non plus sans fondement quand on voit avec quelle vitesse les électeurs ont montré la porte aux gouvernements qui se sont soumis au jugement des urnes depuis la Grande Récession.
Des questions politiques
Le problème est que, si l'on se permet souvent de penser que ces enjeux sont tellement complexes et délicats qu'ils seraient mieux traités par des supertechniciens imperméables à l'humeur populaire, ils s'avèrent éminemment politiques. Le sauvetage de la Grèce, de l'Italie ou du Portugal ne dépend-il pas grandement de jusqu'où les Européens sont prêts à aller dans leur intégration économique et politique? Ne demande-t-on pas aux pays européens, comme aux États-Unis, de décider quels services publics réduire et quels impôts augmenter pour rééquilibrer leurs finances publiques, ainsi que de choisir dans quelles réformes structurelles ils s'engageront au cours des années à venir pour relancer leurs économies sur des bases plus solides?
La réponse à toutes ces questions fondamentales ne se trouve pas dans un livre de recettes, ni même de théories économiques. Elle varie grandement selon qu'on soit de droite ou de gauche, riche ou pauvre, jeune ou vieux, influents ou invisible.
«Le temps presse», rappellent toutefois les observateurs. «Plus les gouvernements tergiversent face à la crise, plus les marchés ont peur et plus on s'enfonce dans la crise.»
Certes. Mais ces marchés, qui, disons-le franchement, semblent souvent ces temps-ci avoir peur d'avoir peur de leur ombre, ne seront pas plus rassurés par d'ambitieux plans d'austérité adoptés à la hâte et condamnés d'avance à la destruction aussitôt que les électeurs auront l'occasion de se prononcer. Les gouvernements occidentaux sont, semble-t-il, condamnés à bricoler des solutions partielles en attendant de pouvoir aller chercher, d'une manière ou d'une autre, un appui démocratique plus solide.
Cette dernière tâche ne sera pas simple. Des années de Grande Modération, de mondialisation heureuse et de confiance dans le pouvoir d'autorégulation des marchés nous ont souvent fait perdre l'habitude de débattre collectivement de ces questions. Certains, comme le journaliste français Hervé Kempf dans son dernier livre, disent même que ce n'est pas seulement la Grèce et l'Italie qui sont tombées aux mains d'une «oligarchie», mais toutes les sociétés occidentales. Et que s'il y a un problème de déficits publics, il y en a surtout un de déficit démocratique.
Les leçons de la Grande Dépression, le choc démographique, le péril environnemental et la montée des puissances émergentes seront au coeur des futurs débats. Ils devront, dans bien des cas, mener à des modes de développement économique plus dynamiques, plus durables et plus socialement équitables. L'un des défis sera de conjuguer ces orientations collectives avec la nécessité grandissante de coordination internationale.
Certains verront, dans toutes ces tensions et incertitudes, une faiblesse congénitale des démocraties libérales face à des concurrents économiques, comme la Chine, dont les régimes autoritaires n'ont pas à se soucier de telles considérations. On leur répondra qu'outre les valeurs de justice et de liberté, l'Histoire a montré, jusqu'à présent, que le plus fort, à la fin, n'est pas celui que l'on dit.
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