L'arroseur arrosé !

Le 23 mars dernier, lors d’une journée de l’opposition à la chambre des communes, les libéraux de Michael Ignatieff en ont fait rire plus d’un en chambre lorsqu’ils ont coulé leur propre motion.

Tribune libre

Le 23 mars dernier, lors d’une journée de l’opposition à la chambre des communes, les libéraux de Michael Ignatieff en ont fait rire plus d’un en chambre lorsqu’ils ont coulé leur propre motion.
Cette motion visait en effet à embarrasser le gouvernement conservateur en démontrant leurs oppositions à des valeurs dites « universellement » reconnues au Canada. Ces valeurs sont, entre autres, le droit des femmes à la contraception. Selon le libellé de cette motion, la chambre demandait « d'inclure tout l'éventail des options de planification familiale, y compris la contraception » dans la distribution et la promotion de l’aide au développement du Canada.
Cette motion faisait suite à la déclaration de la ministre de la coopération internationale, Bev Oda, du 19 mars dernier. Celle-ci affirmait en effet que le gouvernement du Canada ne fermerait « la porte à aucune option, ce qui inclut la contraception »; déclaration reprise ensuite par le Premier ministre Harper lui-même. La motion libérale avait donc essentiellement pour but d’obliger le gouvernement Harper à défendre une position claire du droit des femmes à la contraception, tout en l’obligeant à respecter ses engagements (ou plutôt ses dires).
En fait, pour le dépositaire de cette motion, le député libéral Bob Rae, les conservateurs ne voulaient que brouiller les cartes avec ces déclarations, car jusqu’à tout récemment les conservateurs avaient fait savoir très clairement que toutes les mesures de planification familiale seraient excluent des politiques d’aide au développement concernant les femmes enceintes, même la distribution de préservatif… Aussi bien dire que les conservateurs répugnaient toutes mesures de contraception.
La veille même de cette déclaration par la ministre de la Coopération internationale, celle-ci avait soigneusement évité de répondre à une question de la part du chef du NPD, Jack Layton, portant justement sur le sujet. Pour le libéral Bob Rae, il est très surprenant que du jour au lendemain, le cabinet de M. Harper ait fait une aussi grande volte-face, surtout sur une question éthique. D’où l’intérêt de déposer une motion en chambre visant à contraindre les conservateurs.
Le cafouillage
La motion fut donc déposée en chambre lors de la journée d’opposition des libéraux de Michaël Ignatieff, le mardi 23 mars dernier. Comme l’on peut l’imaginer, les conservateurs ont vivement réagi à cette motion en déclarant notamment qu’il s’agissait d’une « tentative claire de rouvrir le débat sur l'avortement ». Chose que les libéraux ont niée jusqu’à ce que Bob Rae concède finalement, en point de presse, que l’avortement est une mesure de planification familiale reconnue par le PLC et donc visée par sa motion.
Il n’en fallait pas plus pour les membres du caucus pro-vie du parlement fédéral, dont certains sont des députés libéraux, réagissent vivement à cette motion. En effet, lors du vote sur cette motion, en soirée, 13 députés libéraux étaient absents, 3 ont voté contre et 1 s’est abstenu. De sorte que la motion libérale a été battue par 144 voix contre 138. Les députés du Bloc et du NPD ayant tous voté en faveur de cette motion.
Inutile de dire que les adversaires des libéraux en ont profité pour ridiculiser le PLC et sont chef, Michaël Ignatieff. Pour le chef bloquiste, Gilles Duceppe, cette erreur démontre très bien « l’amateurisme » des libéraux et de leur nouveau chef. Pour le chef adjoint du NPD, Thomas Mulcair, il s’agit d’une véritable honte pour les libéraux. Même certains députés libéraux ont commenté l’affaire, notamment Denis Coderre. Celui-ci y est allé d’une remontrance à l’égard de son chef, en affirmant que les libéraux on fait une bête, mais tout de même grave « erreur de calculatrice » en ne s’assurant pas d’avoir le nombre requis de voix avant de déposer la motion.
Pour ce qui est des conservateurs, ceux-ci ne cachaient pas leur joie. Les libéraux ont, pour ainsi dire, donné une victoire gratuite aux conservateurs.
Les enseignements
Ce cafouillage nous enseigne par contre plusieurs choses. Tout d’abord, on sait maintenant que Michaël Ignatieff n’a pas le plein contrôle sur ses troupes. On s’en doutait déjà, me direz-vous, suite à la démission fracassante de Denis Coderre en 2009, mais j’ajouterai que c’est désormais choses inéluctables. D’autant plus que ce cafouillage sera inscrit au procès-verbal des travaux de la chambre ! Ignatieff n’est donc pas aussi parfait que les libéraux nous le vantaient après les déboires de Stéphane Dion.
De plus, et plus important encore, cela nous enseigne qu’advenant le retour du débat sur l’avortement en chambre, les forces pro-vie pourraient très bien en sortir vainqueurs. En effet, les conservateurs ont toujours clairement affirmé ne pas vouloir rouvrir se débat. Par contre, avec cette belle victoire sur le sujet que les libéraux viennent de leur offrir, gageons que les conservateurs de Stephen Harper réfléchiront à la possibilité de le rouvrir. Sachant qu’il a peut-être la majorité nécessaire pour faire changer la loi en ce domaine, Stephen Harper pourrait très bien décider de rouvrir ce débat pour faire plaisir à sa base militante très majoritairement pro-vie. Il pourrait ainsi s’assurer une nouvelle direction du PCC. Point de vue stratégique, le « timing » est idéal!
Enfin, cela donne au conservateur une belle et nette image dans les médias. En effet, tous les journalistes sont occupés à traiter des déboires du parti libéral sur cette motion. Pendant ce temps, les conservateurs de Stephen Harper peuvent modifier la position canadienne sur la contraception dans les pays en développement et personne n’en parle plus. Cela nous enseigne donc que les sondages d’opinion seront très favorables aux conservateurs dans les semaines à venir. Pour ceux et celles qui croyaient encore à la possibilité d’élection ce printemps, l’oiseau est mort dans l’œuf; à moins bien sûr que les conservateurs y voient l’opportunité d’obtenir une majorité et les déclenchent eux-mêmes, ce dont je doute fort…
En terminant, il est évident que Michaël Ignatieff a encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir devenir chef de gouvernement. En effet, il doit s’assurer l’entière fidélité de son entourage et de son équipe en plus de faire remonter sa cote de popularité interne et externe au PLC. En tant que citoyen, il faut cependant rester vigilant et alerte, plus que jamais, aux manigances du PCC. Comme je l’ai dit, le temps est idéal pour rouvrir le débat sur l’avortement, et la tentation de le faire doit être très forte, en ce moment, au sein des rangs conservateurs. Michaël Ignatieff s’est fait prendre à son propre jeu sur cette motion. En d’autres mots, il a été l’arroseur arrosé…
Source :
BOURGAULT-CÔTÉ, Guillaume, (2010), Échec de la motion libérale sur la contraception – Gueule de bois chez les libéraux, Le Devoir, [En ligne] (Page consultée le 25 mars 2010)
BOURGAULT-CÔTÉ, Guillaume, (2010), Santé des mères – Harper est favorable à la contraception, Le Devoir, [En ligne] (page consultée le 25 mars 2010)
GRANDPRÉ de, Hugo, (2010), Planification familiale : le PLC tente de faire oublier son échec, La Presse, [En ligne], (Page consultée le 25 mars 2010)

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Marc-André Pharand12 articles

  • 9 848

Étudiant en
Affaires publiques et Relations internationales à l'Université Laval,
Blogueur, Militant politique. Combat l'entêtement idéologique !

Québec





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    30 mars 2010

    Qu'est-ce que je disais ...