L’année charnière du gouvernement Couillard

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Une année qui s'annonce aussi déterminante que difficile

Pour le gouvernement libéral, 2014 peut être vue comme une année de transition. Les coupes paramétriques associées à un alourdissement bien réel du fardeau fiscal des Québécois ont marqué une année où Philippe Couillard a manqué à certains de ses engagements électoraux, au premier chef, la promesse de limiter l’augmentation du tarif des services de garde à la simple indexation. Mais c’est en 2015 que son gouvernement donnera sa pleine mesure. Pour le meilleur et pour le pire.​

Neuf mois après son élection, le gouvernement Couillard « est là où il voulait être », livre au Devoir Jean-Marc Fournier, un des trois membres du Comité des priorités, avec le premier ministre et la vice-première ministre, Lise Thériault.

La mise à jour économique et financière, dévoilée en décembre par le ministre des Finances, Carlos Leitão, a confirmé que l’atteinte du déficit zéro en 2015-2016 est possible, même s’il faut trouver encore un milliard pour y arriver.

Mais la grande majorité des Québécois ne croit plus les libéraux. Le dernier sondage Léger-Le Devoir de la mi-décembre montre que seulement 16 % des répondants s’attendent à ce que le gouvernement Couillard remplisse son objectif de renouer avec l’équilibre budgétaire l’an prochain. Les Québécois sont même assez partagés sur cette volonté d’en faire une priorité : 46 % sont pour alors que 38 % sont contre. En mai dernier, seulement 14 % d’entre eux souhaitaient que le gouvernement reporte à plus tard son tour de force.

Il faut dire que la crédibilité du gouvernement libéral et du premier ministre en a pris pour son rhume depuis l’élection. Philippe Couillard a reconnu que la modulation du tarif des services de garde avait soulevé un problème de « perception », le fin mot, pourtant, en politique. Le demi-milliard en hausses de taxes, appliquées de façon subtile mais réelle, ajouté aux augmentations des taxes foncières auxquelles a contribué forcément la coupe de 300 millions dans les transferts de Québec aux municipalités, a aussi engendré un problème de perception entre ce que le chef libéral a promis en campagne électorale — aucune hausse de taxes ou d’impôt — et ce qu’il s’est résigné à faire.

Qui plus est, c’est en 2015 que, pour l’essentiel, le portefeuille des contribuables sera touché. Et que les répercussions des compressions se feront sentir de plein fouet. C’est le cas de la réduction des effectifs de l’État en vue de retrancher près de 700 millions dans les dépenses publiques : le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a beau avoir claqué des doigts, encore faut-il que la machine remplisse la commande.

En campagne électorale, Philippe Couillard promettait de faire du Parti libéral du Québec un véritable parti des régions : qu’il ait choisi Roberval comme circonscription se voulait un message fort en ce sens. Or son gouvernement a éliminé la moitié du budget de fonctionnement des Centres locaux de développement (CLD), tout en abolissant les Conférences régionales des élus (CRE). Considéré en région comme un pôle de développement, le réseau des cégeps n’est pas épargné par les coupes.

Le gouvernement a emprunté la voie la plus facile puisque les CLD, tout comme les Corporations de développement économique et communautaire (CDEC), également touchées, sont des organismes autonomes. Pas besoin de s’empêtrer avec la sécurité d’emploi : elle n’existe pas. Les économies sont nettes et immédiates — 40 millions pour les CLD —, mais elles auront des effets délétères sur la création d’emploi en région, clament les critiques.

Les groupes visés par les coupes du gouvernement Couillard se font entendre. Ils « vont évidemment avoir une réaction plus directe, tout à fait humaine et normale. Est-ce que le gouvernement devrait s’empêcher de prendre des décisions parce qu’il y a un groupe qui va être touché ? La réponse, [c’est non], ce serait impossible d’atteindre l’équilibre », fait valoir Jean-Marc Fournier.

« Il faut savoir écouter le silence », avance le ministre, qui dit avoir beaucoup aimé le film Le Lauréat (The Graduate), dont The Sound of Silence est une des chansons thèmes et qui raconte l’histoire d’un étudiant opportuniste qui succombe aux charmes de la mère pour ensuite séduire de la fille. Le silence, c’est celui des contribuables ordinaires qui appuient l’objectif du gouvernement. « Ils vont travailler, ils partent tôt le matin, ils reviennent chez eux. Leur vie, ils la vivent ; ils ne s’intéressent pas à ça », analyse le ministre. « Il faut écouter ceux qui parlent et ceux qui ne parlent pas. »

N’empêche que le gouvernement a fait marche arrière à quelques reprises. Les crédits d’impôt aux entreprises seront amputés, mais de 400 millions au lieu de plus de 900 millions, son intention initiale. Le milieu des affaires l’a convaincu qu’il était en voie de jeter le bébé avec l’eau du bain.

De même, l’abolition des subventions au magazine de culture scientifique Les Débrouillards, aux Expo-sciences et à l’Agence Science-Presse a été stoppée, pour cause d’ineptie politique, le gouvernement se rendant compte qu’il avait soulevé un tollé pour une économie insignifiante de 650 000 $. À peine le double du coût de rénovation des bureaux du ministre délégué, Jean D’Amour, a fait malicieusement remarquer le chroniqueur économique René Vézina.

Mais pour l’essentiel — l’objectif du déficit zéro en 2015-2016, mais aussi l’assainissement des finances publiques à long terme —, le gouvernement Couillard ne cédera pas. Moins précipitées, ses prochaines décisions seront toutefois plus judicieuses, prédit Jean-Marc Fournier. « Plus le temps va passer, plus cela va nous amener à faire des choix judicieux », croit-il. « Est-ce que l’année prochaine sera plus facile ? Elle va certainement nous amener à prendre des décisions plus réfléchies que celles qu’on a prises au mois de mai 2014. »

À la Coalition avenir Québec, on constate que la colère monte au sein de la classe moyenne ; c’est ce que montrent les sondages internes du parti. « Le contribuable a l’impression qu’il lui en coûte davantage et qu’il a moins de services », observe-t-on. « Ce n’est pas seulement l’austérité. Les Québécois ont le sentiment qu’ils s’appauvrissent d’année en année. C’est un cocktail possiblement explosif pour les libéraux. »

Pour les stratèges libéraux, que la grande majorité des électeurs ne croie pas possible l’atteinte du déficit zéro l’an prochain est une carte dans leur jeu. Ils seront agréablement surpris, ce qui procurera à leur chef la même aura que Paul Martin et Lucien Bouchard dans le passé. Le temps joue pour le gouvernement libéral, fait-on valoir.

Or, l’équilibre budgétaire, en soi, n’apporte pas d’avantages tangibles pour monsieur et madame Tout-le-monde : il reste théorique. Après avoir assaini les finances publiques, Ottawa disposait d’importantes marges de manoeuvre dont il s’était servi pour relever les dépenses sociales et baisser les impôts. Lucien Bouchard avait mis sur pied les services de garde à 5 $. Philippe Couillard promet d’alléger éventuellement le fardeau fiscal… après l’avoir alourdi.

Et puis, il y a ce désagréable sentiment selon lequel tous ne sont pas égaux devant l’austérité : les élus gardent leur régime de retraite cinq étoiles, les petits ministres, leurs bureaux clinquants, Bombardier, son paradis fiscal. Et Yves Bolduc, sa prime.


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