L'accord entre la CDU et le SPD laisse la voie libre à l'AfD pour incarner pleinement l'opposition à la politique d'Angela Merkel. Mais elle lui donne également accès à un certains nombres de privilèges au Parlement, qui lui seront très profitables.
L'entente entre le parti d'Angela Merkel (l'Union chrétienne-démocrate, CDU) et les socio-démocrates du SPD pourrait paradoxalement faire les beaux jours de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), le parti anti-immigration arrivé à la troisième place lors des élections fédérales en septembre dernier. En effet, la constitution d'un bloc entre la droite et la gauche fait de l'AfD le premier parti d'opposition aussi bien politiquement qu’institutionnellement.
Le 12 janvier dernier, alors que la chancelière allemande annonçait avoir enfin trouvé un accord avec ses alliés du SPD, le porte-parole fédéral de l'AfD, Jörg Meuthen, jubilait. «C'est un rôle décisif et vital», a-t-il expliqué, constatant que sa formation politique était désormais officiellement la première force d'opposition à la coalition au pouvoir pour les quatre ans à venir. Outre que cette alliance conclue in extremis entre deux partenaires qui s'étaient pourtant jurés de ne plus collaborer peine à convaincre les Allemands (ils ne sont que 40% à l'approuver selon un sondage de l'institut Infratest dimap), elle viendra sans doute conforter les analyses politiques de l'AfD, qui dénonce le partage du pouvoir entre deux partis «complices», selon les termes employés par son ancienne dirigeante, Frauke Petry.
Mais ce rôle revêt aussi un fort caractère institutionnel. Si cela n'est écrit dans un aucun texte constitutionnel, le parti hors-coalition ayant réalisé le meilleur score jouit de plusieurs privilèges non négligeables – une coutume parlementaire que l'Allemagne honore depuis plusieurs décennies. Lorsqu'il avait dans un premier temps refusé de renouveler son alliance avec Angela Merkel, le SPD était destiné à endosser ce rôle et s'était même targué d'avoir ainsi empêché l'AfD de devenir le premier groupe d'opposition.
Concrètement, ce rôle de premier groupe d'opposition donne droit à la présidence de la commission du Budget, sans doute la plus importante au sein du parlement allemand. La députée de l'AfD Alice Weidel a déjà fait savoir qu'elle se portait volontaire pour le poste, ce qui lui donnera le droit d'intervenir sur la plupart des sujets – une prérogative dont l'AfD ne risque pas de se priver pour faire valoir ses critiques face aux décisions de la coalition gouvernementale. Autres droits dont jouira l'AfD : celui de s'exprimer juste après le discours de politique générale d'Angela Merkel, ou encore de mener les débats budgétaires.
Bousculer les règles institutionnelles pour contrer l'AfD?
Néanmoins, le caractère coutumier de ces règles ne contraint en rien les autres partis à s'y plier, et plusieurs voix s'élèvent déjà pour empêcher l'AfD de profiter de ces privilèges informels. Seul problème : en renonçant à ces traditions, la coalition au pouvoir déclenchera alors une procédure en vertu de laquelle chaque parti choisira une commission à son tour, dans l'ordre des scores électoraux. S'il ne fait aucun doute que la CDU choisira les Affaires étrangères, pour ne pas la laisser au parti eurosceptique, et que le SPD se saisira logiquement du Budget, l'AfD pourrait alors choisir l'Intérieur.
Or, c'est précisément le thème de prédilection de ce parti, qui doit en grande partie sa percée électorale à ses virulentes critiques contre l'insécurité en Allemagne et contre la politique migratoire d'Angela Merkel. Alors que l'AfD s'est promis de profiter de cette mandature pour faire émerger des personnalités médiatiques grâce à sa tribune parlementaire, ce rôle d'opposant préposé aux questions de sécurité est donc une aubaine.
De manière plus générale, l'AfD a décidé de prendre pleinement possession de ses prérogatives au sein des institutions allemandes, après avoir fait sa première entrée au Bundestag à l'automne dernier. Dernier exemple en date : le parti exige d'obtenir une place au conseil d'administration de la fondation du mémorial national de l'holocauste à Berlin. Si la direction de la fondation s'est exprimée contre cette requête, le président du Parlement, proche d'Angela Merkel, n'a pas encore réagi : une loi adoptée en 2000 prévoit en effet que chaque parti représenté au Parlement ait droit à une représentation au conseil d’administration du mémorial. Or, un député de l'AfD avait récemment critiqué le lieu : «Les Allemands sont les seuls au monde à planter un monument de honte au cœur de la capitale», avait-il déclaré, suscitant un vif émoi outre-Rhin.