Immigration et intégration professionnelle : deux volets indissociables

Si on arrive à s’entendre sur l’interdépendance de ces éléments, notre objectif commun d'un vivre-ensemble harmonieux en sortira renforcé.

Tribune libre

L’analyse de l’intégration des personnes immigrantes dans un contexte d’incertitude économique nous amène à porter un regard sur l’immigration et son corollaire l’intégration professionnelle et l’adaptation culturelle. A-t-on développé des outils, mis en place des programmes, réussi à faire de la sensibilisation au niveau de la société d’accueil et des entreprises afin de réussir l’intégration harmonieuse des personnes immigrantes ? Devrait-on continuer à ouvrir les vannes dans le contexte de crise économique actuelle ? Bref, devrait-on s’interroger sur la question de l’équilibre accueil-capacité à intégrer professionnellement et socio-culturellement les immigrants? Doit-on donner la priorité aux immigrants déjà établis sur le territoire québécois avant de recruter de nouveaux immigrants? Quel arbitrage lucide et objectif des différents critères de sélection (immigrants jeunes, scolarisés, francisés, en bonne santé, répondant aux besoins du marché du travail québécois et prêts à s’adapter culturellement; immigration permanente versus immigration temporaire surtout dans les régions et dans certains secteurs, etc.)?
La Commission de la consultation publique sur la planification de l'immigration au Québec pour la période 2012-2015 qui s’est tenue du 31 mai 2011 au 15 septembre 2011 a tenté de répondre à ces différentes questions. Mieux, dans une optique d’adhésion de la population à l’immigration, elle a cherché à trouver un consensus sur les questions brûlantes de l’actualité (équilibre entre capacité d’accueil et intégration des immigrants, chômage chronique frôlant les 20 à 30% chez les minorités visibles, controversée question du rééquilibrage des bassins géographiques avec référence au bassin du Maghreb ramené de 36,8% en 2010 à 30% dans les prochaines années, vitalité de la langue française concrétisée par deux orientations : une maîtrise du français évaluée par des tests standardisés et non plus sur la base d’une auto-déclaration, meilleur arrimage entre les besoins de main-d’œuvre et les profils des travailleurs qualifiés à hauteur de 50 % etc.) .
Si le questionnement sur le volume ou le seuil de l’immigration est souvent évoqué par la population lorsqu’il s’agit de la planification de l’immigration, les partis politiques ne sont pas non plus en reste dans le débat sur le nombre de personnes immigrantes à accueillir annuellement au Québec.
Position des partis politiques provinciaux sur la question du volume d’immigration
Rappelons d'abord qu'en 2007, à l'exception de l'Action démocratique du Québec (ADQ), dont l’ex-chef, Mario Dumont, avait déclaré, à la mi-août 2007, dans une entrevue avec le chroniqueur du quotidien La Presse Patrick Lagacé que « le Québec avait atteint la limite de sa capacité d’accueil » des nouveaux arrivants (en moyenne 45 000 par année à l’époque), les principaux partis politiques, le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ), s’entendaient sur la nécessité de recourir à l’immigration pour contrer le phénomène de dénatalité tout en ayant des approches différentes sur la conception de la laïcité, de la place de la langue française ou francisation dans la politique d’immigration, de l’interculturalisme. Au cours des quatre prochaines années, le gouvernement libéral provincial entend atteindre la moyenne de 50 000 immigrants par année. Il convient de préciser que le Québec n’atteignait pas ses cibles, du moins depuis dix ans, si l’on en croit le directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) , M. Stephan Reichhold, qui a qualifié « d’accident » les 54 000 nouveaux arrivants que le Québec a reçus en 2010. [44 200 en 2004, 43 300 immigrants en 2005, 44 684 en 2006, 45 200 en 2007; 45 219 en 2008, 49 491 en 2009, 53 981 en 2010].
Le cofondateur de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ), François Legault, qui formera probablement un parti politique, propose le nombre de 45 000 immigrants, une vieille revendication de l’ADQ. Le PQ, quant à lui, ne fait pas une fixation sur le nombre comme l’a exprimé le porte-parole de l'opposition officielle en matière d'immigration, de communautés culturelles et de langue depuis le 19 août 2011, Yves-François Blanchet, durant ses différentes interventions lors de la planification de l’immigration. Le raisonnement du député de Drummondville consistait à dire qu’on devrait d'abord régler la question des ressources avant d’établir le volume d’immigration. Son postulat de départ sur l’adéquation ressources financières et capacité d’intégrer nous semble loin d'être une mauvaise idée. Et sur ces points précis de l’insuffisance des ressources ou d'une meilleure répartition ou encore d'une « réorganisation des ressources », il n’a pas tort.
L’insuffisance des fonds alloués aux organismes communautaires
Les organismes communautaires regroupés autour de la Table de concertation auprès des personnes immigrantes et réfugiées (TCRI) ont toujours exprimé, bien avant la crise économique de 2009, le besoin d’avoir plus de ressources pour atteindre les objectifs de l’intégration harmonieuse des personnes immigrantes. Les organismes qui sont sur le terrain vivent constamment sur la corde raide. Ils ne sont jamais certains que leur subvention sera renouvelée. Cette situation amène une certaine précarité dans leur travail quotidien. La non-reconduction de certains projets amène souvent les organismes communautaires à jongler avec des budgets qui se rétrécissent comme une peau de chagrin. Les conséquences sur les immigrants ne se font pas attendre. La réduction et/ou les coupures du budget des organismes communautaires ou des ressources externes accentue sensiblement les difficultés d’intégration des personnes immigrantes.
Dans cette même perspective, le député indépendant de Deux-Montagnes et ancien porte-parole de l'opposition officielle en matière d'immigration du 27 août 2010 au 21 juin 2011, M. Benoît Charrette, soulignait avec pertinence dans le cadre de l’Étude des crédits budgétaires 2011-2012 du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, volet Immigration : « Les différents organismes partenaires du ministère se plaignent, à juste titre, du fardeau supplémentaire qui leur revient année après année avec l'augmentation des seuils notamment. Donc, un fardeau toujours plus important avec des mandats toujours plus importants qui leur reviennent, mais, malheureusement, avec une absence cruelle de moyens pour bien s'acquitter de leur travail. » .
Malgré la hausse des montants de transferts d’argent [104 millions $ en 2000 à 216 millions $ en 2008; 226 millions $ en 2008-2009 et 258 millions de dollars en 2011], dans le cadre de l’Accord Canada-Québec pour l’intégration des personnes immigrantes et des réfugiés (une forme de compensation financière), l’intégration difficile des immigrants est une réalité irréfutable. (Lire à ce sujet : Le sous-financement des organismes d’aide aux nouveaux arrivants par Doudou SOW)
En réponse à la question de M. Blanchet sur la ventilation des sommes du fédéral destinées exclusivement aux « mesures d’intégration », M. Reichhold qui est la tête de la TCRI depuis 1989, disait en substance : « Ce qui se passe, c'est que l'argent [258 à 300 millions] est distribué entre le ministère de l'Emploi, le ministère de l'Éducation, et là, on perd un peu sa trace. Alors, c'est ça qu'il faudrait vérifier. Je ne dis pas qu'il est dépensé ou caché, là, c'est juste, c'est comme on ne s'entend pas bien sûr qu'est-ce que c'est une mesure d'intégration, qu'est-ce qui n'en est pas une, bon. Le ministère de l'Emploi et l'éducation pour adultes (sic) dépensent 20 millions en francisation, mais c'est très mystérieux, en fait, ce qu'ils font en francisation, on n'a jamais eu de rapport, on a jamais vu de bilan, on ne sait pas trop comment ça fonctionne. Donc, c'est ça qu'il faut voir un peu... »
M. Reichhold conclut sur un message très clair en direction des parlementaires : « S'il y a un message qu'on voudrait que vous reteniez, là, (…), c'est qu'on ne pense pas qu'il faut que l'État doit mettre plus d'argent dans l'intégration. L'argent est là. C'est ça qu'on essaie d'expliquer. Je veux dire, les revenus sont là. On l'a, cet argent. On l'a le 1,2 milliard. Il est là. On va l'avoir, c'est sûr, les quatre prochaines années. C'est juste qu'il faut revoir la façon de le dépenser, de l'investir. Je pense que c'est ça, en fait, à mon avis, qu'il faudrait faire. Et on pourrait très facilement, avec des sommes aussi considérables accueillir 50 000, 55 000 personnes, je veux dire.»
La ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Mme Kathleen Weil, est optimiste et mise sur ce qu’elle appelle « la conjoncture actuelle » de facteurs et d’éléments qu’elle a résumée par les « pressions économiques, pressions de main-d’œuvre, les départs à la retraite,(…), de rareté de main-d’œuvre qui aurait peut-être, ces prochaines années, par la force des choses, une ouverture qui va se manifester. » . Elle ne pense pas seulement à « l'ouverture à la diversité » des entreprises mais elle mise également sur les résultats des différents programmes mis en œuvre (Mentorat Montréal, PRIIME, IPOP, Défi Montréal, entre autres projets). Même si elle se montre « prudente » par rapport aux nouveaux chiffres, elle se sent ragaillardie par l’embellie du taux d’emploi chez les immigrants. Dans le cadre de l’Étude des crédits budgétaires 2011-2012 du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, volet Immigration, elle s’appuyait sur l'enquête sur la population active de Statistique Canada afin de démontrer une amélioration du taux d’emploi chez les immigrants.
« En 2009, pour ceux arrivés cinq ans ou moins, en 2009, (…) le taux de chômage, c'est 22,5 %. En 2010, c'est de 19,4 %. Arrivés il y a cinq à 10 ans, c'est 15,2 %, en 2009; en 2010, c'est 12,5 %. Arrivés il y a plus de 10 ans, c'est 10,7 % à 10,4 %. Donc, la situation entre 2009 et 2010 des immigrants sur le marché du travail s'est nettement améliorée, et, comme je le disais, le taux de chômage a reculé de 1,2 point de pourcentage alors que le taux d'emploi et le taux d'activité sont en hausse.» Elle a réitéré récemment son optimisme sur la baisse du taux de chômage des immigrants dans le cadre de l’audition du Comité d'adaptation de la main-d’œuvre pour les personnes immigrantes à la Commission des relations avec les citoyens : « En 2010, 53,4 % de la création nette d'emplois a bénéficié à des personnes immigrantes, et tous les groupes d'immigrants ont profité de cette embellie du marché du travail (..). » Mais, il faudra « regarder d’autres facteurs » comme le mentionnait le directeur du Comité d'adaptation de la main-d’œuvre pour les personnes immigrantes (CAMO-PI), M. Frédéric Boisrond, dans le cadre des audiences de la Commission parlementaire sur la planification de l'immigration: « Ce n'est pas seulement le nombre d'emplois qui est créé, mais la qualité de ces emplois qui sont créés pour les immigrants, la durée de ces emplois et le salaire qui est payé comparativement à ce qui est payé à l'ensemble de la population. »
Autrement dit, les chiffres rassurants fournis par la ministre doivent être reçus avec prudence avant d'avoir été sérieusement examinés quant au type d’emploi (précaire ou non), à la correspondance de ces emplois avec les domaines de compétences des immigrants mais également quant aux conditions dans lesquelles les immigrants occupent ces emplois.
En définitive, la majorité des personnes s'accordent sur la nécessité, pour la société, de veiller à l’équilibre entre la capacité d’accueil et le nombre de personnes sélectionnées, les moyens financiers et humains proportionnels au volume de l’immigration et indispensables pour faciliter leur intégration socioprofessionnelle dans le respect des valeurs de la société d’accueil mais en même temps sur la juste reconnaissance de l’apport des immigrants sur les plans économique, démographique, social et culturel. Si on arrive à s’entendre sur l’interdépendance de ces éléments, notre objectif commun d'un vivre-ensemble harmonieux en sortira renforcé.
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L’auteur est conseiller en emploi et conférencier.

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Sociologue de formation, spécialisé en Travail et organisations, l’auteur
est actuellement conseiller en emploi pour le projet Mentorat
Québec-Pluriel au Carrefour jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé
(Montréal-Nord).





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2011

    Je ne suis pas spécialiste en immigration, mais ce sujet m'intéresse au plus haut point, puisqu'il y est question de notre propre survie.
    Je ne crois pas que l'engouement pour le Canada et le Québec diminue, au contraire. Alors il faut établir des règles sérieuses et sévères qui permettront d'éviter les dérives que les Européens, particulièrement les Français, connaissent ces années-ci.
    Hier, à Euronews, des Hongrois victimes d'une bulle spéculative comme celle des USA, il y a quelques années, n'ont pour seul avenir que « d'immigrer au Canada », disent-ils.
    Dans les années 50 et 60, nous avons reçu beaucoup d'immigrants originaires des pays de l'est. Ils s'intégraient assez bien et certains devenaient même plus québécois que bien des nôtres. Leur culture et leur religion s'y prêtaient bien. Beaucoup étaient mineurs particulièrement dans les mines de l'Abitibi. Ils épousaient des Québécoises et aujourd'hui, sauf leur nom de famille, il n'y a pas de différence.
    Une chose est certaine cette immigration n'a pas été négative.