Immigration et intégration au Québec

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La réduction de l'immigration proposée par Legault est totalement cosmétique

Il est tout à fait hallucinant de constater que la volonté de ramener les seuils d'immigration à 40 000 par année passe pour de la fermeté, alors qu'il s'agit d'une baisse cosmétique, proposée pour donner une image de fermeté identitaire à la CAQ, sans pour autant rompre avec le principe d’une immigration massive. 40 000 immigrés par année, cela dépasse largement nos capacités d’intégration qui ne sont pas infinies, et qui sont même aujourd’hui fragilisées, pour de nombreuses raisons.


Le débat sur l'immigration est mal cadré, en plus d'être enfermé dans une logique économiciste et étroitement matérialiste. On nous répète sans cesse que le Québec subirait une pénurie de main d’œuvre sans que jamais cette notion ne soit sérieusement questionnée: elle en vient à structurer le discours public et à congeler toute réflexion approfondie. Il est fascinant de voir qu’en la matière, la droite néolibérale style PLQ et la gauche multiculturaliste style QS tiennent le même discours.


Il faudrait aussi aborder la question de l’intégration culturelle des immigrés avec un peu de sérieux. L’intégration culturelle des immigrés ne saurait se réduire à une francisation superficielle – une francisation, qui en plus de cela, fonctionne très mal, ce qu’on cherche à cacher avec une forme d’enfumage statistique en soutenant que 95% des Québécois peuvent soutenir une conversation en français, ce qui ne veut absolument rien dire sur le plan de la langue commune.


Si la CAQ propose une politique d’intégration bancale qu'elle est même en train d'abandonner sans trop l'avouer, on ne saurait non plus négliger ce vieux principe: à Rome, on fait comme les Romains. C’était le principe au centre de la Charte des valeurs du gouvernement Marois: sous une forme ou sous une autre, il faudra y revenir en mettant de l'avant le principe de laïcité. Elle avait aussi la vertu de nous placer en contradiction avec le multiculturalisme d’État pratiqué au Canada, qui contribue à la canadianisation identitaire des immigrés et empêche globalement leur intégration à la majorité historique francophone, alors que c'est d'abord à travers elle qu'on s'intègre au Québec. Le multiculturalisme canadien, dans le cadre du régime de 1982, a institutionnalisé le procès de l'identité québécoise et ne cesse de travailler à sa déconstruction.


On touche là une question essentielle. La question de l’immigration massive devrait être abordée politiquement mais elle ne l’est à peu près jamais, comme s’il était indécent de rappeler qu’elle sert essentiellement les intérêts politiques du PLQ, comme ont le constate avec la multiplication des forteresse à Montréal et à Laval, ainsi que ceux du fédéralisme canadien. Le comportement politiquee des communautés culturelles a une signification du point de vue de leur intégration. Ou pour le dire autrement, l’allergie répandue dans les communautés culturelles à l’endroit du nationalisme québécois est un bon indice de l’échec de l’intégration.


La dilution du poids démographique de la majorité historique francophone ne saurait être considérée comme une tendance politiquement insignifiante de notre vie collective. C’est elle qui demeure le socle de notre culture commune. Comme l’avait noté en d’autres temps René Lévesque, dans le cadre canadien, l’immigration massive a d'abord pour fonction première de faire régresser démographiquement le Québec français. Elle a pour mission de cadenasser démographiquement l'avenir politique du Québec.


On retrouve ici la question des seuils: il est vain de chercher à établir un seuil idéal. Fixer un seuil est une opération politique. Mais politiquement et symboliquement, il importe de rompre avec la logique du toujours plus. Il importe d'envoyer le signal d'une rupture claire avec le principe de l'immigration massive. L'essentiel, ici, est d’envoyer un message clair: la hausse des quinze dernières années était essentiellement motivée par des raisons politiques et idéologiques, auxquelles nous n’avons plus à nous soumettre.


François Legault, et Jean-François Lisée à sa suite, ont tout de même eu l’immense vertu de rompre avec la logique du toujours plus. Mais il faudra pousser plus loin la rupture avec le multiculturalisme en mettant de l'avant une vraie politique d'intégration nationale fondée sur le principe de la culture de convergence, formulé en son temps par Fernand Dumont. Le débat sur l’immigration a aussi eu la vertu de révéler à quel point Philippe Couillard est un fédéraliste pur et dur, qui cherche lui-même à relativiser l'autonomie du Québec en matière d'immigration, ce qui choque sans vraiment étonner.


Le premier ministre le plus fédéraliste de notre histoire n’est jamais aussi sincère et agressif que lorsqu’il mène sa guerre contre le nationalisme. Il tolère d’ailleurs dans son parti une aile antinationaliste radicale qui n’hésite pas à accuser les nationalistes de vouloir pratiquer un nettoyage ethnique, comme on l’a vu ces derniers jours. Insistons: nous sommes en droit de croire que cette vision du nationalisme est répandue au PLQ.


Les termes du débat public se transforment. Nos fédéralistes, du moins, les plus résolus d'entre eux, ont rompu avec le cadre national: ils ne s’y réfèrent plus que de manière résiduelle en le vidant de toute substance. Au nom du cosmopolitisme, de l’inter/multiculturalisme ou de la «diversité», ils veulent non seulement liquider la question nationale, mais la possibilité de la question nationale, comme si le Québec devait entrer dans l’ère postnationale qu’ils chérissent en s’arrachant à son expérience historique.


On parle d’un nouveau clivage nationaliste-multiculturaliste. Ce n’est pas complètement faux. Mais pour peu qu’on prenne au sérieux la question du régime politique, il ne saurait se substituer au clivage indépendantiste-fédéraliste. En fait, il devrait plutôt l’approfondir, en explicitant le caractère de plus en plus ouvertement contradictoire avec le fédéralisme canadien tel qu’il est devenu et le peuple québécois qui réclame son droit à la continuité historique, qui réclame aujourd’hui plus que jamais l’indépendance politique.