Il y a 250 ans - 1758 : la déportation des Acadiens

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire



Je vous vois d'ici protester: encore un qui ne connaît pas son histoire, tout le monde sait que la déportation des Acadiens date de 1755. Vrai, et j'étais aussi dans la même ignorance jusqu'à cette année. C'est qu'après la déportation de la Nouvelle-Écosse, en 1755, il y a eu une deuxième vague de déportation en 1758, à la suite de la chute de Louisbourg, qui a touché ce qui restait des possessions françaises en Acadie: l'île Royale (ou du Cap Breton) et l'île Saint-Jean, devenue en 1799 l'île du Prince-Édouard.
Le monument de l'Odyssée acadienne
J'étais à Port-la-Joye, à l'entrée de la baie qui donne sur Charlottetown, le 15 août dernier, fête nationale des Acadiens, et on y commémorait le 250e anniversaire de la déportation des Acadiens de l'île Saint-Jean. C'est là qu'on m'a abondamment instruit sur cette page d'histoire et qu'on y a marqué l'emplacement d'un monument rappelant l'odyssée des Acadiens qui furent déportés en France. Deux des bateaux qui les y transportaient ont fait naufrage près des côtes de l'Angleterre, faisant plus de 500 victimes, les 12 et 13 décembre 1758. C'est pourquoi la Fédération des associations de familles acadiennes a choisi il y a quelques années le 13 décembre comme Jour du souvenir acadien. En ce 13 décembre 2008, la Société Saint-Thomas d'Aquin, porte-parole des Acadiens de l'Île depuis 1919, a inauguré au Lieu historique national de Port-la-Joye-Fort Amherst le monument de l'Odyssée acadienne. Rappelons en deux mots ce que fut cette déportation.
3000 déportés de Port-la-Joye à Saint-Malo
Depuis 1713, par le traité d'Utrecht, la France avait cédé Terre-Neuve et l'Acadie à l'Angleterre, mais avait conservé l'île Royale et l'île Saint-Jean. Cette dernière, habitée par les Micmacs et peuplée par les Français à partir de 1720, comptait en 1758 quelque 4700 habitants. La forteresse de Louisbourg, construite à partir de 1719 sur l'île Royale, est assiégée en 1745, prise puis rendue aux Français et assiégée de nouveau en 1758: elle tombe le 26 juillet 1758. Les Britanniques décident alors de déporter tous les habitants des deux îles Royale et Saint-Jean en France. Un livre d'Earle Lockerby, Deportation of the Prince Edward Island Acadians, paru cette année, fait le point de manière précise sur ce qui est arrivé dans le cas de l'île Saint-Jean. Celle-ci comptait alors cinq paroisses. Les militaires et les administrateurs de l'île, soit une centaine de personnes, sont envoyés en Angleterre comme prisonniers, tout comme les 3000 militaires de l'île Royale.
C'est le lieutenant-colonel Andrew Rollo qui est chargé de rassembler les habitants sur les navires, ce qu'il s'active à faire de la fin d'août au début de novembre. Plusieurs réussiront à fuir, avec leur bétail, notamment vers la baie des Chaleurs, à Ristigouche. En tout, 3000 personnes sont embarquées sur les navires. Le plus gros des navires quitte Port-la-Joye le 4 novembre et, finalement, ce sont 11 bateaux qui partent ensemble à destination de Saint-Malo le 25 novembre. La tempête les disperse cependant et seulement huit atteindront la France. Deux navires sont particulièrement affectés et prennent l'eau. Le Violet coule le 12 décembre, faisant 229 victimes. Le 13 décembre, le capitaine du Duke William, voyant que son navire va aussi couler, met deux embarcations à la mer, se sauvant ainsi que l'équipage, le curé Jacques Girard et quatre Acadiens; les 286 autres déportés périssent noyés dans le naufrage. Un autre de ces navires, le Ruby, s'est échoué aux Açores: 143 de ses 310 passagers ont pu être rescapés.
Plusieurs autres passagers, dont de nombreux enfants, sont morts de maladies au cours du voyage: à partir de données partielles, on estime leur nombre au tiers des déportés. Au total, les meilleures estimations donnent les chiffres suivants: déportés, 3000; morts de maladie, 891; noyés, 627, soit un total de 1518 décès, un peu plus de la moitié des passagers. On a conservé à Saint-Malo les noms de tous les passagers des navires qui y sont arrivés, y compris de ceux qui sont morts en route.
Voilà donc l'Odyssée des Acadiens de l'Île: il convient bien qu'un monument commémore leur mémoire.
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Guy Laperrière, Département d'histoire Université de Sherbrooke


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