Lettre de Bernard Landry

<i>Le Soleil</i> égal à lui-même

GESCA - une presse aux ordres fédéralistes et capitalistes

Dans un texte du 25 janvier dernier, l'éditorialiste Brigitte Breton, du Soleil de Québec, se prononce sur la lettre récemment expédiée aux médias par l'ex-premier ministre québécois Bernard Landry, auquel elle reproche de s'entêter à défendre une option dont le Québec ne veut pas. On pourrait dire beaucoup de choses au sujet de l'éditorial de madame Breton, mais attardons nous plutôt à ce qu'il ne dit pas. Dans son texte, monsieur Landry débordait de la simple question référendaire; il traitait également des motifs qui pourraient justifier l'indépendance du Québec. En bonne employée de Gesca, Madame Breton évite soigneusement de discuter cet aspect de l'intervention de l'ex-premier ministre.
Retournons d'abord à la lettre dont il est question ici et donnons la parole à monsieur Landry:
«Je pourrais ajouter une liste sans fin des ravages économiques que nous a fait subir le fédéral. Le plus récent: Il achète pour trente milliards de navires de guerre et aucun de nos chantiers maritimes n'est retenu.
La péréquation est une fumisterie et Ottawa nous coûte plus cher qu'il nous rapporte.»
Le dossier de la construction navale, madame Breton, se situe dans le contexte beaucoup plus large de la politique maritime fédérale, un secteur dont le Québec est à toutes fins pratiques exclu. Il s'agit pourtant d'un fait qui devrait être assez bien connu dans la salle éditoriale du Soleil, votre journal s'étant fait le coupable complice de cet affaiblissement coûteux de l'économie du Québec.
Le 2 mars 1995, donc, le Financial Post livrait à ses lecteurs un aperçu de ce que le gouvernement fédéral présentait comme sa nouvelle politique maritime. On y apprenait qu'Ottawa venait de dépenser des centaines de millions $ pour améliorer les facilités portuaires d'Halifax et de Vancouver. On admettait sans même un effort de camouflage que les dépenses faites à Halifax visaient à marginaliser le Port de Montréal:
«Halifax has a limited role in that market now» says David Bellefontaine, president and chief executive of the Halifax Port Corp. «Ports like Montreal and Philadelphia are close to the Midwest and can access it earlier because Halifax lacks an intermodal connection.» FP, March 2, 1995, p., 28.
Les dépenses qu'annonçait si glorieusement le gouvernement central avaient justement pour but de fournir à Halifax l'équipement intermodal qui lui manquait pour tasser Montréal. Ajoutant l'insulte à l'injure, le Post nous apprenait également que la construction récente d'un tunnel entre Sarnia et Port-Huron avait eu pour effet de raccourcir de douze heures le trajet des marchandises entre Halifax et le Midwest. Exit Montréal.
Dans les derniers jours de 1995, le journal de madame Breton livrait la version française de la politique maritime fédérale. On y parlait de fermeture de ports, de tarification des services de la Garde côtière et de privatisation possible de la Voie maritime. Vous avez bien lu, c'est entre Nöel et le Jour de l'An que les Québécois ont appris qu'Ottawa était en train de fermer le secteur maritime de la province, presque un an après la divulgation de la version anglaise de la politique maritime fédérale.
Ayant réalisé ce qui se passait, le soussigné a aussitôt porté l'affaire à l'attention de Jean-Jacques Samson, alors au Soleil. Ce dernier n'a jamais retourné l'appel du soussigné. Il n'a jamais traité de la question non plus.
Quelques années plus tard, dans l'affaire de la Davie, ce même journal allait y aller d'une récidive tout aussi déshonorante. Dans un texte du 21 octobre dernier, l'éditorialiste Pierre-Paul Noreau s'appliquait en effet à laver Ottawa de tout soupçon dans cette scabreuse manoeuvre. Lisons l'éditorialiste:
«Mais, jusqu'à preuve du contraire, le processus de sélection des gagnants de la Stratégie nationale d'approvisionnement en matière de construction navale a été honnête et sans interférence politique...
En même temps, vaut-il mieux trois chantiers moyennement performants ou deux hyperperformants? Depuis au moins l'époque de Brian Mulroney au milieu des années 80, les gouvernements ont successivement réclamé une rationalisation de l'industrie maritime canadienne. Trop de joueurs ont vivoté trop longtemps au gré des soutiens gouvernementaux.
Le chantier Irving à Halifax et Seapan Marine de Vancouver sont désormais deux joueurs majeurs au canada...
N'est-il pas enfin logique qu'un pays vaste comme le Canada, bordé d'océans à ses extrémités, se retrouve avec un chantier majeur à l'Est et un autre à l'Ouest?»
Il faut avoir atteint un niveau de béatitude stratosphérique, vous savez, pour s'imaginer que des contrats de construction navale évalués à 35 milliards $ puissent être attribués sans intervention politique. Tony Clement est intervenu pour des contrats visant des «chiottes publiques» dans l'affaire du G 20. Voyons donc ce que raconte le magazine Maclean's au sujet du processus de sélection:
«At the outset, Defence was the lead department on the program, but in early 2010, Public Works took over, with a new minister, Rona Ambrose, specifically tasked by Prime Minister Harper to push the shipbuilding file...
Senior government sources said Harper liked the overall approach of the shipbuilding strategy she took to cabinet in the spring of that year, but insisted on guarantees that whatever shipyards won, the government would be bulletproof against charges that politicians had skewed the process against the loser.» Maclean's, Nov., 7, p., 24.
Et, l'on veut nous faire croire que Stephen Harper, étant ce qu'il est, n'a jamais exprimé la moindre préférence quant au choix des gagnants. On a roulé le Québec dans la farine d'un bout à l'autre de cette méprisable fumisterie. Mais, le Québec est un peu une victime consentante. Personne à l'Assemblée nationale n'a jugé utile de demander combien de Québécois «indépendants» siégeaient au comité de sélection. Il y aurait été intéressant de les entendre se justifier.
«Trop de joueurs ont vivoté trop longtemps au gré des soutiens gouvernementaux...» Et, on appelle cela comment devenir «deux joueurs majeurs au Canada» propulsés par des contrats gouvernementaux touchant les 35 milliards $...avant dépassements de coûts? Gesca aurait probablement montré une dentition plus acérée si le fédéral s'était avisé de permettre aux banques de vendre de l'assurance-vie depuis leurs succursales...
À tout événement, il y a quelques jours, madame Breton criait pratiquement au meurtre pour la perte d'une poignée d'emplois au bureau de la Garde côtière de Québec. Pour le simple amateur, la sortie de l'éditorialiste pouvait paraître impressionnante. Ceux qui s'y connaissent un peu mieux, y auront cependant vu du mauvais théâtre empestant l'hypocrisie. Après s'être fait le coupable complice du démantèlement de l'industrie maritime québécoise, après s'être fait le complaisant fossoyeur de la Davie, voilà que Le Soleil revêt la cape du preux chevalier nationaliste qui monte courageusement au front pour sauver quelques emplois à la Garde côtière. Gesca ne connaît vraiment pas la honte.
Comme le disait monsieur Landry, on pourrait multiplier les exemples de la même mouture que la politique maritime fédérale: le Pacte automobile, le secteur financier, les contrats militaires généralement, les infrastructures de L'ALENA...le hangar Trudeau à Montréal...
Heureusement, le Canada est magnanime et le Québec a droit à son bol annuel de péréquation. Malheureusement, cela lui vaut d'être vilipendé comme un «quémandeux» ingrat un peu partout au Canada anglais et même au bureau du premier ministre. Monsieur Persichilli, Angelo de son prénom, cela vous dit quelque chose, madame Breton?
Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle tendance se développe au Canada. Le fédéral diminue depuis quelques années le taux d'imposition des sociétés par actions qui, elles, en profitent pour augmenter leurs dividendes, souvent payés à des étrangers, ou pour racheter leurs actions. Évidemment, cela exerce une pression à la baisse sur ses revenus, ce qui l'amène à réduire ses transferts aux provinces. À terme, cela pourrait entraîner une privatisation partielle des services de santé au Québec. Ce n'est pas nécessairement un choix que les Québécois feraient d'eux-mêmes, cela, madame Breton, s'il avaient le plein contrôle de leur fiscalité.
La servilité de Gesca face aux inéquités économiques du fédéralisme canadien n'est pas sans conséquence, madame Breton. Elle contribue à appauvrir la province. Et, elle fait que les Québécois sont traités de parasites un peu partout dans le reste du pays. Aux États-Unis, il y en a qui (John Kerry) verraient en Gesca une entreprise Benedict Arnold, vous savez, madame Breton...À tout événement, avant de l'oublier, elle est belle la publicité de Radio-canada dans les pages du Soleil...les couleurs sont accrocheuses...elles sont agréables à l'oeil...


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 janvier 2012

    Erreur de calcul. Entre 1996 et 2012, il y a 16 ans et non pas 12.
    L. Côté.

  • Archives de Vigile Répondre

    30 janvier 2012

    Je viens de me souvenir du fait que j'ai appelé monsieur Samson depuis Place-Québec. Alors, il est possibe que je ne lui aie pas laissé de numéro pour me rappeler. Je me suis adressé à sa boîte vocale et j'ai fait mention de l'existence des articles du Post. Je ne veux quand même pas l'accuser de n'avoir pas rappelé s'il n'avait pas le numéro pour le faire. Alors, dans la mesure où il est possible que je n'aie pas laissé de numéro, mes excuses à monsieur Samson. On parle quand même ici d'un événement s'étant déroulé il y a près de 12 ans. Cela ne change cependant rien au fait que ce dernier se range systématiquement derrière le message fédéraliste.
    L. Côté.

  • Martin Lavoie Répondre

    27 janvier 2012

    Ma première pensée bloque mon imaginaire et j'ai envie de dire et je le dis: " Le mépris n'aura qu'un temps", mais que ce temps dure longtemps et jusqu'à quel niveau d'affaiblissement jugerons-nous que cela fait assez longtemps. Nous sommes continuellement étonné d'apprendre qu'une personne maltraitée prend aussi longtemps à se libérer de sa situation; et nous, sous ces politiques d'exploités, comme une chape de nuages immobiles nous cachant les rayons du soleil, nous rageons, fulminons, conscientisant en graffitis de colère les exactions réelles et morales de nos exploiteurs et de leur complices.
    Jusqu'à quand???