Hydro-Québec comme moteur économique

Plus qu’un service public, la société est tributaire du politique

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Miser sur nos forces pour assurer notre développement

Hydro-Québec s’est imposée comme un formidable outil de développement économique depuis plus d’un demi-siècle. La société d’État n’en constitue pas moins une redoutable arme politique pour le gouvernement… à manier avec précaution, disent des spécialistes.

La hausse tarifaire globale qui sera réclamée aux clients résidentiels d’Hydro-Québec à compter du 1er avril 2014 sera de 5,8 % si la société d’État réussit à convaincre la Régie de l’énergie. Cette hausse servira surtout à éponger les coûts de décisions politiques prises au fil des dernières années, comme celle d’engager le Québec dans l’éolien.

Hydro doit en effet intégrer l’énergie produite par les parcs éoliens promis par l’ancien gouvernement libéral. À elle seule, cette opération tirerait vers le haut la facture d’électricité des Québécois de 2,7 %. « C’est facile politiquement : tu annonces de belles choses, tu passes des commandes, puis la facture arrive seulement quatre à cinq ans plus tard, quand ces choses-là sont mises en place. Et la facture est envoyée directement aux acheteurs d’électricité », déplore l’analyste en énergie Jean-Marc Carpentier.

Hydro-Québec a été contrainte d’ouvrir grands les bras à l’énergie éolienne, notamment au nom du développement économique régional. Une décision d’affaires judicieuse ? « C’est subventionné à tour de bras », lance sans détour Claude Garcia, chargé de suivre à la trace Hydro-Québec par l’Institut économique de Montréal (IEDM). « On utilise beaucoup Hydro-Québec pour subventionner d’autres types d’énergie, comme l’éolien et la biomasse,même si on n’a pas besoin de cette électricité-là, plus coûteuse », ajoute l’auteur de la note de recherche Comment la privatisation d’Hydro-Québec permettrait-elle d’enrichir les citoyens québécois ? publiée en 2009. L’homme d’affaires évalue la ponction annuelle sur les bénéfices de la société d’État de tous les contrats octroyés en vue de l’aménagement de parcs éoliens sous le règne du Parti libéral du Québec à environ 695 millions de dollars.

L’ancien journaliste Jean-Marc Carpentier voit « un problème » dans le transfert de la note aux clients d’Hydro-Québec plutôt qu’aux « contribuables en général ». C’est « facilement une dizaine de milliards qu’on va dépenser collectivement » pour faire l’acquisition d’un total de 4000 mégawatts d’énergie éolienne. L’économiste et historien André Bolduc aussi voit « mal l’utilité d’aller au bout de ce type d’énergie qui est coûteuse » comparativement à l’hydroélectricité, par exemple.

Soulagement

Hydro-Québec achèterait 800 mégawatts d’énergie éolienne supplémentaire, pour un investissement total de 2 milliards de dollars, a fait savoir le gouvernement péquiste en mai. Soupir de soulagement dans les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent, ainsi que du côté de l’industrie éolienne.

La poursuite des développements des parcs éoliens, mais également des barrages hydroélectriques de La Romaine,constitue un « problème majeur » dans la mesure où Hydro-Québec baigne dans les surplus énergétiques, insiste M. Garcia. « Il y a un signal de marché qui est très clair à mon avis. On ne l’écoute pas parce qu’on est une société d’État et qu’on est un peu sur le pilote automatique. On n’a jamais fait ça, arrêter un projet de centrale hydroélectrique. Peut-être qu’il est temps qu’on le fasse. Mais je sais que politiquement c’est difficile », dit-il, persuadé que l’équipe de la première ministre Pauline Marois créerait un « drame politique » si elle mettait en veilleuse les dernières phases du complexe hydroélectrique.

Pas si vite, rétorque M. Bolduc. « Il y a 30 ans, on avait le même type de problèmes. On a eu des surplus pendant des années. Des surplus qu’on a bradés en attirant des industries grandes consommatrices d’électricité. Mais, sur une longue période, ç’a été très payant de faire la Baie-James », précise l’ancien rédacteur en chef du magazine Forces.

Plus qu’un service public

L’état-major d’Hydro-Québec apparaît les pieds et les mains liés par le gouvernement. « Elle reste malheureusement un outil dans la stratégie politique du gouvernement », souligne le professeur titulaire à HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau. Le spécialiste en politiques énergétiques a « du mal à lire la stratégie gouvernementale par rapport à Hydro-Québec ».

Hydro est utilisée pour d’autres fins que celles normalement attendues d’un service public. « Historiquement, ç’a toujours été le cas, explique M. Carpentier. Mais la Régie devait limiter l’ingérence politique. Elle l’a fait au niveau des tarifs. Ils ne sont plus décidés de façon arbitraire par le gouvernement, mais établis en fonction des coûts par la Régie de l’énergie. Toutefois, la décision du gouvernement de forcer Hydro-Québec à acheter de l’énergie éolienne, par exemple - ou de fournir de l’électricité à bas prix à de grands clients -, a des impacts sur les coûts. Lors des audiences, la Régie ne peut que constater ces coûts-là et accorder les tarifs qui permettent de récupérer ces coûts à même le prix de vente. » La « vache à lait » a été de plus en plus sollicitée par son propriétaire, qui ne s’est pas gêné pour faire « des ponctions de plus en plus importantes dans ses revenus nets », ajoute M. Bolduc. « Il n’y a aucun gouvernement qui a échappé à cette tentation-là [d’en demander davantage à Hydro-Québec] depuis la Révolution tranquille. Avant ça, pour [le premier ministre] Adélard Godbout, Hydro-Québec était avant tout une raison sociale. Il voulait que les plus démunis aient accès à une énergie devenue indispensable à bas prix », rappelle-t-il. Les temps ont bien changé, diraient les associations de consommateurs.

Sous pression pour garnir davantage les coffres de l’État, Hydro-Québec tient à voir son taux de rendement gonfler. La société d’État essaiera en effet de convaincre la Régie de l’énergie de lui consentir un taux de rendement sur ses capitaux propres supérieur de 2,4 %, portant ainsi la hausse tarifaire globale à refiler à ses clients résidentiels à 5,8 %. La Régie pourrait toutefois en décider autrement. Mais sa marge de manoeuvre est limitée.


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