EUROPE CENTRALE

Guerre en Ukraine : quels impacts sur les élections hongroises ?

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Le 3 avril prochain, Orban pourrait être réélu

Hongrie – Le média américain Bloomberg a publié un article intitulé « La guerre aux portes de la Hongrie stimule la campagne de Viktor Orbán pour conserver le pouvoir » dans la foulée du discours du Premier ministre hongrois à l’occasion des célébrations du 15 mars 1848. S’appuyant sur un sondage de l’institut Századvég publié le 9 mars, Bloomberg avance la thèse selon laquelle la guerre russo-ukrainienne renforcerait les positions de Viktor Orbán dans sa campagne en vue de sa réélection aux élections législatives du 3 avril prochain.


D’après ce sondage réalisé par un institut proche du gouvernement hongrois, 66% des personnes interrogées pensent que Viktor Orbán est « le dirigeant le plus apte à garantir la sécurité de la Hongrie pendant le conflit russo-ukrainien », alors qu’elles ne sont que 25% à penser la même chose de Péter Márki-Zay, le candidat de l’opposition unie.


Depuis l’entrée des troupes russes en Ukraine, la campagne électorale hongroise est totalement dominée par la guerre en Ukraine, et l’opposition peine à trouver un espace dans ce bouleversement brusque de son agenda politique. Représentée par un candidat à l’assise fragile et mettant mal à l’aise son propre camp, l’opposition fait désormais campagne en se contentant d’augmenter les décibels lorsqu’elle scande ses slogans vieux de plusieurs années : « Nous choisissons l’Ouest contre l’Est », « Poutine et Orbán sont des dictateurs, l’Union européenne fait partie du monde libre et démocratique », etc.


S’il s’est incontestablement passé quelque chose dans l’esprit des Hongrois depuis le début de l’opération militaire russe le 24 février, ce n’est pas pour autant que ces slogans de l’opposition auront nécessairement un impact significatif dans les urnes. Les intentions de vote pour le candidat de l’opposition ne décollent pas depuis, et ce sont au contraire les forces gouvernementales et le Premier ministre qui semblent bénéficier de cette situation de crise.


Il semblerait que, pour les Hongrois, condamner l’invasion russe de l’Ukraine n’équivaut pas automatiquement à remettre en cause la politique d’ouverture à l’Est engagée par Viktor Orbán il y a dix ans — en réalité dès 2003-2004 par l’ancien Premier ministre socialiste Péter Medgyessy, sans que cela ne suscite alors d’émoi particulier. En tout cas, même si les cartes de cette politique d’ouverture à l’Est risquent à l’avenir d’être rebattues en raison du conflit russo-ukrainien, le climat actuel de forte tension aux portes de la Hongrie ne suffit pas à modifier la tendance des intentions de vote.


Hormis la frange la plus radicale de l’électorat d’opposition, les électeurs hongrois ont par ailleurs parfaitement conscience qu’une remise en cause soudaine de la politique énergétique hongroise — notamment en termes d’approvisionnement en gaz russe — aurait des conséquences dramatiques sur leur portefeuille. Malgré la volonté de certains à l’Ouest de mettre fin aux livraisons de gaz russe sur le sol européen, il ne semblerait pas qu’un bouleversement de telle nature soit d’actualité immédiate. C’est en tout cas ce qu’affirment le Premier ministre Viktor Orbán et son ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó, qui, depuis le début du conflit, s’opposent à ce que les sanctions européennes concernent le secteur énergétique.


Selon l’aveu même du politologue Gábor Török, l’opposition est passée à côté d’une opportunité dans la gestion politique du conflit russo-ukrainien. Au lieu d’appeler d’emblée à l’unité nationale et ainsi bloquer toute offensive du camp gouvernemental, l’opposition a fait le choix d’accentuer le clivage avec Viktor Orbán sur la question russe. Elle a laissé le chef du gouvernement hongrois endosser ce rôle d’unificateur, Viktor Orbán ayant visiblement réussi à montrer qu’il est le seul candidat en lice à être en mesure de défendre les intérêts et la sécurité des Hongrois — une observation également faite par le média américain Bloomberg, corroborée par plusieurs enquêtes d’opinion.


Peu sont ceux à penser que ce rôle de protecteur des intérêts et de la sécurité de la Hongrie pourrait revenir au candidat de l’opposition unie. À la traîne dans tous les sondages, ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à accuser des membres de son propre camp de le saborder en commandant des enquêtes d’opinion lui étant défavorables. À ce sujet, il est allé jusqu’à déclarer le 16 mars :


« Si c’est moi qui avais payé ce sondage et que son résultat s’était avéré défavorable à l’opposition, alors c’est sûr que je ne l’aurais pas envoyé à la presse pour le faire publier »


Tout semble indiquer que, malgré le nouveau contexte politique européen créé par l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février, l’opposition ne parviendra pas à grappiller des électeurs au Fidesz. L’opposition peut remporter les élections si les forces gouvernementales font face à une érosion de leur socle électoral le 3 avril prochain. Or, ce n’est manifestement pas la tournure que prennent les événements, essentiellement pour deux raisons.


Premièrement, Viktor Orbán a bien conscience que son électorat est divisé sur la question russo-ukrainienne — au moins une division de surface, et peut être sans que cela n’ait d’impact sur le niveau de mobilisation de la base électorale du Fidesz. En tout cas, le Premier ministre hongrois ménage toutes les tendances de son camp sur la question russo-ukrainienne. Bien évidemment, il condamne fermement l’intervention russe, mais se garde bien de verser dans la surenchère, une partie de son électorat (24% selon un sondage de l’institut proche de la gauche Publicus) allant même jusqu’à évoquer une responsabilité ukrainienne dans le déclenchement de ce conflit.


Viktor Orbán s’efforce d’adopter une position équilibrée depuis le 24 février. Il prend le train des condamnations et se place clairement au sein du bloc euro-atlantique, mais se garde bien de le faire de manière tapageuse. Il est très actif sur la question de l’accueil des réfugiés, voulant ainsi montrer que la Hongrie n’a pas de leçon de bonne conduite à recevoir de la part de ses partenaires occidentaux. Cette position semble convenir à sa base électorale, et même séduire au-delà, les Hongrois ayant parfaitement compris qu’ils n’avaient rien à gagner à se montrer radicaux et trop tranchés sur la question russo-ukrainienne.


Deuxièmement, les système électoral mixte hongrois est a priori peu perméable aux impacts à court terme de ce genre de tensions internationales. Les sondages ne parviennent pas en prendre en compte la spécificité électorale que représente le scrutin uninominal à un tour, se contenant souvent de jauger les rapports de force en termes de scrutin de listes nationales. Sur les 199 sièges au Parlement, 106 seront attribués sur scrutin uninominal à un tour. L’appareil du Fidesz dispose d’un suivi quotidien de la situation dans les circonscriptions, un outil que n’a pas l’opposition faute de moyens humains — des moyens dont ne disposent que le DK et le Jobbik, deux partis toujours ambigus dans leur soutien à Péter Márki-Zay.


Pour gagner le 3 avril, l’opposition doit non seulement faire mieux en scrutin de listes que le niveau d’intentions de vote que lui donnent les derniers sondages, mais aussi consolider la trentaine de circonscriptions où elle a de bonnes chances de l’emporter et rafler l’autre trentaine de circonscriptions indécises. Autant dire : une tâche difficile. Rappelons qu’en 2018, sur les 106 sièges répartis au scrutin uninominal, le Fidesz-KDNP en avait remportés 91. Certes moins unie que cette année, l’opposition n’avait alors réussi à remporter que trois circonscriptions hors de Budapest.