États-Unis

Gérard Araud: «Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde»

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Le départ de Trump ne mettra pas fin aux tensions

FIGAROVOX.- L’invasion du Capitole ce mercredi était-elle un coup d’État?


Gérard ARAUD.- On ne peut pas dire que ce soit une révolution! Il y a eu quelques milliers de gens qui manifestaient - parce que Trump leur a demandé de le faire - et ces derniers ont réussi à pénétrer dans l’enceinte du Capitole, à leur grande surprise. Une fois qu’ils ont été dans le Capitole ils n’ont rien fait, car ils n’avaient ni programme, ni chef. Il faut voir dans ce qu’il s’est passé hier avant tout un énorme raté de la sécurité américaine. D’une certaine manière, c’est un évènement plutôt dérisoire. Ils sont d’ailleurs sortis sans faire de problèmes. Toutefois la prise de la Bastille était elle aussi dérisoire, donc attendons de voir ce qu’en dira l’histoire...


Le bilan est tout de même lourd avec 4 morts... Trump porte-t-il une part de responsabilité?


La police américaine est nettement plus brutale que la police française. Là où la police française tue 15 personnes par an, en Amérique ce chiffre monte à mille! Quant à la responsabilité de Trump, les évènements d’hier soir sont le résumé de ses quatre années au pouvoir. Vous avez une masse populaire non néligeable qui est en révolte et qui - à la différence de nos gilets jaunes - a trouvé une incarnation politique en la personne de Donald Trump. Il les a excités pendant quatre ans et a jeté de l’huile sur le feu de leurs colères. Les évènements d’hier sont donc un dénouement logique de ses quatre années. Les États-Unis ont un Président qui est le chef des rebelles américains.


Le génie de Trump a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir.


Cette rébellion est-elle causée par Trump ou précède-t-elle son arrivée au pouvoir? Lui survivra-t-elle?


Même s’il occupe beaucoup d’espace médiatique, Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde. Son génie a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir, car les résultats macro-économiques à la fin du mandat d’Obama étaient bons. Il a su parler aux oubliés, et son génie fut aussi d’arriver à continuer à être leur voix durant son mandat sans être récupéré par les républicains «classiques» qui pensaient pouvoir le manipuler. Cette rébellion est toujours là, et restera. Il y a un tiers des Américains qui pensent que l’élection leur a été volée. C’est là la poursuite d’une guerre civile américaine que nous connaissons depuis quatre ans.


Quelles sont les causes profondes de cette rébellion? Trump s’est-il attaqué à ces causes?


Nous touchons là aux limites du populisme, car s’il est une manière de prendre le pouvoir, il manque de substance et de programme. Certes, il faut savoir capter la colère, chose qu’en France personne n’a su faire avec les gilets jaunes, mais derrière la suite s’avère pour l’instant assez vide. Cependant, contrairement à l’establishment américain, je ne pense pas que Donald Trump soit mort ; il va continuer à être dans le dos des élus républicains. Pour répondre à la première partie de votre question, il y a deux cause possibles à cette rébellion . La première est économique. En effet, si quarante ans de néolibéralisme auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté, les classes moyennes inférieures ainsi que la classe ouvrière des sociétés occidentales auront vu leur niveau de vie stagner, voire diminuer. Ce phénomène a provoqué une hausse du chômage et un accroissement des inégalités. Ce n’est pas un hasard si la révolte touche particulièrement le Midwest où le chômage, lié à la désindustrialisation, est fort. La seconde est identitaire. La majorité des électeurs de Trump sont des hommes blancs ; plus de 60 % des hommes blancs ont voté pour lui. Sur fond de changement démographiques, l’Amérique blanche sent qu’elle perd le pouvoir. De ce point de vue, le trumpisme peut apparaître comme le baroud d’honneur de cette Amérique-là.


On peut se demander quel est le message national des Démocrates...


L’aile radicale du parti démocrate n’a-t-elle pas exacerbé, elle aussi, la question identitaire?


Ce qui nous avait frappé en 2016, c’est que l’on avait d’un côté «Make America Great Again», c’est-à-dire le degré zéro de la pensée, mais qui restait tout de même un appel à tous les américains quel que soit la couleur de peau ou leur orientation sexuelle. Or, les démocrates de leur côté n’utilisaient pas de message national, ils demandaient, pour simplifier aux noirs de voter pour leur camp simplement en raison de leur couleur de peau! Cela n’a pas vraiment changé. Quand on regarde leur vision de la constitution du gouvernement américain, nous avons l’impression que c’est une répartition avec deux noirs, deux latinos, six femmes et un gay. C’est d’ailleurs présenté comme cela dans la presse. On peut se demander quel est le message national des Démocrates... Les démocrates ne voient plus les citoyens américains qu’à travers leurs identités. La «cancel culture» dans les universités, même si elle reste extrêmement minoritaire, exacerbe ce phénomène. S’il y a un bon exemple des erreurs des Démocrates, c’est la question des transgenres. Si l’on doit le respect à ces derniers, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population. En faire un sujet national n’était sans doute pas un bon calcul.


Trump a-t-il fait certains diagnostics justes?


Naturellement. Trump pense en dehors du système et sur un certain nombre de sujets il arrive à poser des questions légitimes que ne se poseraient pas des hommes politiques issus de l’establishment. Par exemple, Trump a posé comme question «Pourquoi les USA devraient-ils être les gendarmes du monde?». Lorsqu’ on est un habitant du Wisconsin, on peut, en effet, se demander légitimement pourquoi l’Amérique s’ocuperait de l’Estonie! Son bilan économique, même si l’on peut dire qu’il a été payé par un massacre de l’environnement, est excellent. Sans le COVID, il aurait été réélu. Avec le COVID, qu’il a très mal géré, il a tout de même réussi à obtenir 4 millions de voix en plus qu’en 2016. On peut également regretter que dès le premier jour les Démocrates et l’ensemble de l’establishment aient refusé de reconnaitre sa légitimité. Le problème est que le personnage est moralement peu sympathique. Trump a bien vu qu’en face certains voulaient sa peau et cela n’a fait qu’exacerber ses tendances narcissiques naturelles.


Ce qui va compter désormais sera la politique de Biden, mais cette politique sera paralysée par le Sénat.


L’administration Biden pourra-t-elle réconcilier l’Amérique?


Au vu des personnes nommées, nous pouvons d’ores et déjà dire que cette administration est l’administration «Obama III». C’est assez frappant de constater que cette administration grouille de numéros 3 qui sont devenus numéros 2, et de numéros 2 qui sont devenus numéros 1! Ce sont des gens très compétents, mais qui s’inscrivent dans la logique néolibérale de centre-gauche issus de l’ère Clinton-Obama. Il ne faut pas non plus oublier le fait que la crise de 2008 a été beaucoup plus douloureuse pour l’Amérique que pour la France. La question qui va se poser dans la semaine est celle de l’avenir du parti républicain, car il y a une rupture entre les conservateurs qui n’ont pas suivi Trump et les Trumpistes. Est-ce que le parti républicain va exploser? Va t-il être trumpisé? Va t-il se réconcilier? Un fils de Trump a dit que les républicains qui ne choisissent pas Trump seront bannis lors des prochaines primaires... C’est intéressant car c’est le même débat que nous avons en France entre Les Républicains et le Rassemblement national. Quoi qu’il en soit, ce qui va compter désormais sera la politique de Biden, mais cette politique sera paralysée par le Sénat. Même s’il a la majorité, la plus grande partie des décisions du Sénat doivent être prise par 60 % voix donc il ne pourra pas faire passer la plupart des réformes. Biden met en place un gouvernement très centriste, et s’il veut aller à gauche il se heurtera au Congrès.