Gaza, crimes de guerre, crimes contre l’humanité

Gaza: l'horreur de l'agression israélienne


La mission des Nations unies sur les événements de Gaza a rendu son rapport le 15 septembre, disponible en anglais sous le titre : « Human Rights Situation in Palestine and Other Occupied Arab Territories. Report of the United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict ». C’est un texte de plus de 570 pages, résultat du travail de plusieurs mois mené par la commission présidée par le juge sud-africain Richard Gladstone, un ancien membre de la cour constitutionnelle de son pays et un ancien procureur du tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie (TPIY) et sur le Rwanda (TPIR).
Cette mission s’est rendue à deux reprises à Gaza ; le gouvernement israélien lui a interdit l’accès à la Cisjordanie et à Israël, mais elle a pu entendre des témoins israéliens (dont le père de Gilad Shalit) à Amman. Elle a aussi effectué un certain nombre d’auditions publiques (sur son programme détaillé lire, « United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict. », qui donne les liens avec les auditions.
A écouter les commentateurs des médias, à lire la presse, on a l’impression que le rapport renvoie dos à dos les deux protagonistes, Israël et le Hamas. Effectivement, le rapport affirme que les deux sont coupables de « crimes de guerre », voire de « crimes contre l’humanité ». On serait donc dans une sorte d’équilibre... En fait, rien n’est plus faux. Et la lecture du rapport (on peut se demander si ceux qui en parlent l’ont lu), est accablante avant tout pour Israël.
Un des éléments les plus intéressants du rapport est la chronologie détaillée au chapitre III des événements entre le 18 juin 2008, date de la signature d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas sous l’égide de l’Egypte, et le début de l’offensive israélienne. Il apparaît clairement du travail de la commission que :
- Israël n’a pas respecté ses engagements d’ouvrir les points de passage à Gaza et a maintenu une politique de blocus contre la population, la privant des denrées de première nécessité ;
- le cessez-le-feu a été, en gros, respecté par les deux parties jusqu’à début novembre ;
- le début de l’escalade a eu lieu le 4 novembre, à la suite d’une incursion israélienne.
Cela confirme que, contrairement à ce que reprennent la plupart des médias et aussi le président de la République, ce n’est pas le Hamas qui a rompu le cessez-le-feu.
Autre point fort du rapport, le lien fait entre l’offensive contre Gaza et l’ensemble de la politique israélienne. Ainsi, selon le point 1674 du texte, cette opération est dans la continuité des « objectifs politiques israéliens concernant Gaza et les territoires occupés dans leur ensemble. » On ne peut donc comprendre l’offensive israélienne comme un seul ensemble d’objectifs militaires. Le point 1675 explique que cette offensive ne peut être vue indépendamment de « la politique de blocus qui a précédé l’opération et qui représente, selon la commission, une punition collective infligée intentionnellement par le gouvernement israélien au peuple de Gaza ».
Le point 1676 souligne : « Nombre de mesures adoptées par Israël en Cisjordanie durant et après l’opération militaire contre Gaza ont renforcé le contrôle israélien sur la Cisjordanie, y compris Jérusalem, et montrent une convergence d’objectifs avec les opérations militaires à Gaza. Parmi ces mesures, un accroissement de l’expropriation des terres, la destruction des maisons, des permis pour construire dans les colonies, des restrictions plus sévères aux procédures permettant à des habitants de Gaza de séjourner en Cisjordanie. »
Le paragraphe 1683 est consacré au principe de proportionnalité, un principe qu’André Glucksman et Bernard-Henri Lévy affirment ne pas comprendre. Nous leur en conseillons donc la lecture. « La commission reconnaît que toutes les morts ne représentent pas une violation du droit humanitaire. Le principe de proportionnalité reconnaît que dans des conditions très strictes, des actions qui ont occasionné des morts civiles ne sont pas forcément illégales ». Mais, « les actions des forces israéliennes et les déclarations des responsables militaires et politiques avant et durant les opérations indiquent que, de manière globale, elles était fondées sur une politique délibérée d’usage disproportionné de la force visant non pas l’ennemi mais des infrastructures qui les supportent ce qui signifie ici la population civile ». Et le rapport souligne que l’attaque a commencé le matin d’un jour ouvrable à 11:30, une heure à laquelle les rues sont bondées, les écoliers rentrent chez eux, etc.
Et le point 1691 conclut que pour les autorités israéliennes, les attaques disproportionnées, celles contre les populations civiles et la destruction de bâtiments civils sont des moyens légitimes.
Un des points les plus importants concerne l’absence d’enquêtes sérieuses menées par les autorités israéliennes sur les crimes de guerre (points 1756, 1757 et 1758). Cela renforce, selon la commission, la nécessité d’utiliser le principe de juridiction universel qui permet à des tribunaux nationaux de juger des personnes de nationalité étrangère accusées de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Lire, dans Le Monde diplomatique de septembre, l’article de Sharon Weill, « De Gaza à Madrid, l’assassinat ciblé de Salah Shehadeh ».
Le rapport n’épargne pas le Hamas, mais il est clair qu’il n’y a pas équivalence dans le texte entre une simple organisation et un Etat souverain. Le gouvernement israélien ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Il a décidé d’engager une grande offensive diplomatique pour contrer les effets du rapport, relatent Barak Ravid, Jack Khoury et Avi Issacharoff dans Haaretz le 16 septembre, « Israel girds for diplomatic war over ’biased’ UN Gaza report ». La crainte exprimée est de voir des responsables israéliens traduits devant la Cour pénale internationale.
Selon une dépêche de l’AFP en provenance de Jérusalem :
« “Nous allons faire tout notre possible pour empêcher qu’il y ait des suites juridiques à ce rapport en démontrant qu’il est malhonnête et politiquement biaisé”, a affirmé à la radio publique Gabriela Shalev, l’ambassadrice d’Israël auprès de l’ONU. (...) Dans un communiqué, le président Shimon Peres a estimé que ce rapport “se moque de l’Histoire”. “Les auteurs ne distinguent pas les agresseurs et ceux qui se défendent. C’est le Hamas qui a engagé cette guerre en commettant des crimes horribles. Ce rapport confère une légitimité au terrorisme et ne tient pas compte du devoir d’Israël de se défendre”, a affirmé M. Peres. “Goldstone n’aurait pas écrit ce rapport si ses enfants habitaient à Sderot”, une ville du sud d’Israël régulièrement visée par les roquettes palestiniennes, a ajouté le président israélien. »
Comme il est d’origine juive, le juge Goldstone a été violemment attaqué comme « juif honteux ». Interviewée par la radio militaire israélienne, sa fille a affirmé que son père est un « juif sioniste ».
Le porte-parole du Quai d’Orsay Bernard Valero a déclaré, le 16 septembre, que « les faits exposés dans le rapport de la Commission Goldstone sont d’une extrême gravité et méritent la plus grande attention (...) La France étudie actuellement le document dans le détail, ainsi que ses recommandations, sur lesquelles il est encore trop tôt pour se prononcer ».
Le rapport, toutefois, omet un problème important qui avait été souligné par Richard Falk, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, dans un article du Monde diplomatique de mars 2009, « Nécessaire inculpation des responsables de l’agression contre Gaza » :
« Israël a tout fait pour biaiser cette perception en obtenant des médias et des diplomates qu’ils se concentrent sur une seule question de droit international : son usage de la force était-il ou non "disproportionné" ? Or cette manière de poser le problème occulte la question fondamentale : celle de savoir si ces attaques avaient bien, au sens juridique, un caractère « défensif ».
Et là, nous rejoignons le domaine politique et ce fait fondamental abordé de manière oblique par la commission (ce n’était pas son mandat), l’origine du conflit et le fait qu’il résulte de l’occupation illégale des territoires palestiniens par Israël depuis plus de 40 ans, en violation de toutes les résolutions des Nations unies...

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Alain Gresh29 articles

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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.





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