L’un des faits marquants de la campagne pour les « primaires » de la Droite et du Centre, dont le premier tour se déroulait le dimanche 20 novembre a été la spectaculaire remontée de François Fillon. Cette remontée s’est soldé par un résultat imprévu : François Fillon enregistre plus de 44% des 4 millions d’électeurs qui se sont déplacés pour cette primaire, devançant de loin Alain Juppé (28%) et Nicolas Sarkozy (environ 20%).
L’une des raisons qui explique ce résultat est certainement la volonté de nombreux électeurs de droite d’échapper à l’alternative Juppé-Sarkozy. Il est vrai qu’entre la momie, transformé par la presse en clone de François Hollande, et l’Excité-Chef, le choix ne soit guère appétissant. En un sens, la victoire au premier tour de François Fillon est aussi une défaite de la presse et de la tentative d’imposer un candidat des médias.
Une autre raison a pu être le programme de François Fillon. Ce candidat a produit un véritable programme, fort détaillé. C’est un de ses points forts, comparé au vide intersidéral de personnes comme Copé, Le Maire ou « NKM » ; mais c’est aussi un point faible car la précision même du programme attire logiquement un œil critique. Et, si l’on peut partager certaines des propositions de François Fillon, d’autres sont incontestablement inquiétantes.
L’homme d’un programme
François Fillon a dit et écrit des choses assez justes sur plusieurs thématiques. Qu’il s’agisse de l’éducation, où il entend faire la chasse aux « pédagogistes », ou sur la sécurité publique, ou il dit fort justement que les lois et règlements permettant d’assurer la sécurité des français face au terrorismes existent déjà et que la véritable question posée est celle de la volonté de l’Etat à appliquer ses lois, on ne peut être que d’accord. Rien n’est pire pour l’autorité de l’Etat que la multiplication de lois et de mesures qui ne sont pas appliquées. On peut penser que les prestations de François Fillon sur le terrorisme, en particulier son débat avec le juge Trevidic sur France-2, n’ont pas été étrangères à sa percée spectaculaire lors du premier tour de la primaire de la Droite et du Centre.
De même, en politique étrangère, il entend rééquilibrer la position de la France, en particulier au Moyen-Orient, et rouvrir le dialogue avec la Russie. Ces mesures s’imposent à l’évidence. Le fait que dans sa tournée d’adieux le Président des Etats-Unis, M. Barack Obama, n’ait pas souhaité se rendre à Paris, alors qu’il fit un voyage remarqué à Berlin et à Athènes (quoi que pas pour les mêmes raisons) devraient faire réfléchir tous ceux qui pensent que la politique étrangère est chose importante. La France est, provisoirement, sortie de l’Histoire du fait de son alignement inconditionnel sur l’Allemagne et les Etats-Unis. Barack Obama, en homme occupé, n‘avait pas de temps à perdre. Il a « zappé » Paris et son insignifiant Président.
Mais, ces choses justes ne sont pas suffisantes. François Fillon se présente à nos yeux comme un homme neuf. Nous n’oublions pas cependant qu’il fut pendant cinq ans le Premier-ministre de Nicolas Sarkozy et qu’à ce titre il doit en embrasser le bilan. Nous n’oublions pas que des mesures désastreuses, comme l’implication de la France dans le drame libyen et la conversion de la politique française à l’atlantisme et à l’idéologie « néoconservatrice », ou la fameuse réforme Chatel, du nom de cet ancien DRH de L’Oréal passé à l’Education National, qui entendait supprimer l’enseignement de l’Histoire en classes de terminales scientifiques furent prises alors qu’il était Premier-ministre. Il est bien temps aujourd’hui de dire que la politique étrangère de la France est désastreuse ou qu’il faut reconstruire un récit (et non un « roman ») national ; quelle crédibilité peut-on avoir quand on n’a pas fait une profonde autocritique sur son action passée ? Mais surtout, on ne peut oublier que François Fillon fut à l’origine, par sa politique, de la forte hausse du chômage que la France a connue à partir de l’été 2011.
Graphique 1
Le chômage et la politique de François Fillon
(nombre de demandeurs d’emploi des catégories A, B et D de la Dares)
Source: Chiffres de la DARES
Le père du chômage ?
C’est donc sur le versant économique que le projet politique de François Fillon pêche le plus. Il n’y a eu aucune autocritique sur les politiques qu’il a conduites en tant que Premier-ministre, si ce n’est pour exprimer des regrets de ne pas avoir fait plus d’austérité. Pire, son programme nous annonce un renforcement de ces mesures néfastes. Prenons ainsi les 5 premières mesures de son programme :
- 100 milliards d’euros d’économies en 5 ans sur les dépenses publiques.
- 40 milliards de baisse des charges pour les entreprises et 10 milliards d’allégements sociaux et fiscaux pour les ménages.
- Fin des 35 heures dans le secteur privé et retour aux 39 heures dans la fonction publique.
- Suppression de l’ISF pour aider au financement des entreprises,
- Recul de l’âge de la retraite à 65 ans et unifier tous les régimes de retraite pour maintenir le pouvoir d’achat des retraites
La première de ces mesures pose la question de la croissance. De telles réductions des dépenses publiques, environ 1% du PIB par an en moyenne, cela est maintenant admis par une majorité des économistes, y compris les économistes du Fond Monétaire International[1], auront un impact très négatif sur la croissance, et donc sur l’emploi. On ne demande certes pas à un homme politique de lire des travaux d’économistes. Mais, à tout le moins, ceci prouve qu’il est fort mal conseillé, et surtout qu’il n’a tiré nulle leçon de sa précédente expérience du pouvoir. D’ailleurs, le programme de François Fillon est en complet décalage avec ce que proposent les conservateurs anglais avec Mme Theresa May, ou ce que promet Donald Trump. Et cela, pour le coup, on est bien fondé à le lui reprocher. Non qu’il ne faille réviser l’orientation des dépenses. Le budget de l’Etat délaisse l’investissement de compétitivité du territoire au profit de dépenses clientélistes. Il faut donc réallouer une partie des dépenses publiques et non supprimer.
La « baisse des charges », qui est la deuxième mesure, est en réalité une baisse des cotisations. Il faudra donc baisser d’un même chiffre les prestations sociales OU faire payer aux salariés (ou aux contribuables) ce qui ne le sera plus par les entreprises. Ce qui exercera, là encore, un effet profondément dépressif sur la croissance et l’emploi. L’effet dépressif de ce choc fiscal, que François Fillon veut faire passer par la TVA, l’emportera sur les aspects positifs d’une baisse de la contribution des entreprises. Ici encore, c’est l’investissement qui sera la première victime, car les entreprises, pour construire leurs prévisions d’investissements, se fondent sur les perspectives de la consommation.
La troisième mesure est la fin des 35 heures, ce qui représente une des « vaches sacrées » de la Droite en France. Mais, faire travailler à 39h dans toutes les professions, cela se traduira par une diminution des heures supplémentaires et donc une baisse du revenu des ménages, avec par conséquence une baisse de la croissance et de l’emploi.
La quatrième mesure, la suppression de l’ISF, est elle aussi une des « vaches sacrées » de la Droite. Non que ce dernier impôt soit parfait. Il est évident qu’il nécessite des modifications. Mais, là aussi, Fillon jette le bébé avec l’eau du bain.
Quant à la cinquième mesure, elle porte non seulement sur le recul de l’âge de la retraite à 65 ans mais aussi sur l’unification des régimes de retraites, et donc la fin des régimes spéciaux. Cette dernière mesure à l’apparence de la « justice » pour elle ; mais l’apparence seulement. En effet, dans les régimes spéciaux, on a des fonctionnaires dont les conditions de travail se sont profondément aggravées depuis une vingtaine d’années, et en particulier les fonctionnaires qui sont « au contact du public » comme on dit, et qui sont constamment en buttes aux incivilités, quand ce n’est pire. Retirer les droits particuliers dont ils bénéficient aujourd’hui ne peut que conduire à une profonde démotivation de ces fonctionnaires, que ce soit les policiers, les personnels de santé ou les enseignants, au moment même où ces fonctionnaires donnent des signes inquiétants d’épuisement. Soit on remontera de manière très significative (au moins 30%) leurs rémunérations, et l’on s’engagera à embaucher plus dans ces secteurs, soit il faut s’attendre à un effondrement de ces services fondamentaux, sur lesquels l’Etat et la République s’appuient. Ces mesures, en apparence dictée par la « justice » contiennent en réalité une injustice si criante qu’elles pourraient bien aboutir à une crise majeure de l’Etat. François Fillon prend ici, et l’on pèse ces mots, le risque d’être – s’il est en mesure d’appliquer son programme – l’homme qui aura détruit la République et l’Etat.
Un européisme fondamental
Fondamentalement, François Fillon est conscient du déficit de compétitivité qui s’est établi entre la France et ses principaux partenaires. Mais il raisonne « comme si » on pouvait parler de cette question sans aborder le problème des parités de change, c’est à dire le problème de l’Euro. La cécité dont il fait preuve à cet égard est assez étonnante. Il le fait parce qu’il ne veut sous aucun prétexte remettre en cause la monnaie unique. Or, l’existence d’un écart lié à la fois à la sous-évaluation de la monnaie allemande dans le cadre de l’Euro et à la surévaluation de la monnaie française est indéniable. Une étude du FMI, encore lui, l’évalue à 21%[2]. On peut considérer cette évaluation comme juste, tout comme on peut considérer qu’elle tend à sous-estimer l’ampleur du problème.
En fait, sans un écart du taux de change d’au moins 25% entre l’Allemagne et la France (et sans doute plus, de l’ordre de 30%), la France n’est pas compétitive. Mais, comment peut on obtenir un tel écart dans un régime qui fixe les parités monétaires, tout comme l’étalon-Or des années vingt et trente du vingtième siècle le faisait ?
Alors cet écart peut, bien sûr, être obtenu en faisant baisser les salaires en France et en espérant que ces mêmes salaires augmentent en Allemagne. Mais, même en espérant, ce qui est en réalité illusoire, une hausse réelle de 10% en Allemagne, cela implique une baisse de 15% en France, avec les effets dévastateurs qu’aura une telle politique sur l’économie française, et ce d’autant plus que nous sommes, et selon les propres mots de François Fillon, dans une situation grave, avec un très fort chômage et une baisse de l’investissement.
L’autre solution, qui serait non seulement incontestablement moins coûteuse, mais aussi dont la garantie de succès est considérablement plus élevée, consisterait à sortir de l’Euro, à laisser le « nouveau » Franc se déprécier d’environ 10% tandis que l’Euro allemand (et plus certainement encore le DM, car une sortie de la France ferait exploser la zone Euro) se réapprécierait d’environ 20%. Cette solution est en réalité la seule qui permette à la fois de résorber une partie du chômage de masse que nous connaissons (entre 1,5 et 2,0 millions à court terme), et de rééquilibrer nos comptes sociaux (moins de chômage signifiant plus de cotisations et moins de prestations) mais aussi nos comptes publics.
On a donc le sentiment que François Fillon promet à la France une politique qui va s’avérer extrêmement douloureuse et ceci sans aucune garantie de succès, alors qu’il pourrait proposer une autre politique dont le succès, lui, est garanti. On est bien ici en présence d’un aveuglement idéologique, d’une clôture autistique, qu’il partage – il faut l’ajouter – avec ses adversaires de la primaire de la Droite et du Centre, mais aussi avec les candidats potentiels de la gauche traditionnelles.
François Fillon, de Gaulle et Jean Monnet
La raison en est que François Fillon n’arrive pas à couper les ponts avec l’européisme, qu’il a pourtant critiqué que ce soit aujourd’hui ou dans le passé. Il reste soumis à cette idéologie et incapable de voir qu’elle détruit non seulement la France mais aussi l’Europe toute entière. L’aveuglement de François Fillon sur ce point a des conséquences extrêmement profondes et graves sur le reste de son programme. Il ôte toute cohérence à l’effort qu’il veut faire pour restaurer la souveraineté de la France, et assurer les conditions de sa véritable indépendance. François Fillon prétend parler comme de Gaulle, mais il pense comme Jean Monnet.
Derrière le discours gaullien qu’il affectionne et derrière la posture d’héritier qu’il se donne, il faut reconnaître la réalité de la soumission aux règles européennes, une soumission qui, en définitive, détruira ce que la coopération avec les autres nations a pu construire de positif. Car, la coopération ne se construit jamais dans la soumission, et cette vérité historique, François Fillon semble l’avoir décidément oubliée.
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