François Bayrou dénonce le "retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'Etat et la religion."

Raffarin : «Il faudra compléter la loi de 1905»

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Laïcité — débat québécois

www.bayrou.fr - Dans un entretien accordé au Figaro, le 26 décembre 2007 , François Bayrou, président du Mouvement démocrate revient sur le discours du président de la République prononcé à Saint Jean-de-Latran : "Quand on a besoin d'un adjectif, c'est qu'on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite".François Bayrou exprime une vision exigeante du modèle français de laïcité : "L'idée qui fonde la démocratie, c'est la vision géniale que Pascal a exprimée de la distinction des ordres : il y a l'ordre du pouvoir, l'ordre de la religion et l'ordre de la science."
LE FIGARO. Que pensez-vous du concept de «laïcité positive» défendu par Nicolas Sarkozy ?
François BAYROU. Quand on a besoin d'un adjectif, c'est qu'on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite. S'exprimant comme président de la République, il introduit la notion de «racines essentiellement chrétiennes» de la France, oubliant le grand mouvement d'émancipation des Lumières. Il affirme que la République a «intérêt» à compter beaucoup de croyants. Il demande aux religions, toujours dans «l'intérêt» de la République, de fonder la morale du pays. C'est le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'État et la religion. Ce mélange des genres n'a jamais produit de bons fruits, je le dis comme citoyen, et je le dis aussi comme chrétien de conviction.
Est-ce une erreur de parler d'espérance quand on fait de la politique ?
La République n'a pas à sous-traiter l'espérance aux religions. La République est en charge de réaliser un monde meilleur, et pas d'inviter à l'attendre. Cette conception sociologique de la religion, fournissant «l'espérance» qui fait que les peuples se tiennent tranquilles et respectent les règles établies, on croyait qu'elle était loin derrière nous ! Ce n'est pas autre chose que «l'opium du peuple» que dénonçait Marx. C'est un leitmotiv chez Nicolas Sarkozy, notamment quand il a parlé des bienfaits de la présence de l'islam pour pacifier les banlieues. En réalité, l'espérance religieuse et l'espérance civique ne sont pas de même nature. Elles ne sont pas du même monde. Au demeurant, la foi, ce n'est pas seulement l'espérance, ce n'est pas seulement pour l'avenir. C'est pour le présent, c'est voir le monde et voir l'autre dans une certaine lumière qui les révèle et les grandit. C'est en cela qu'il existe un humanisme chrétien.
La République doit-elle prendre en compte ce que Nicolas Sarkozy appelle l'«aspiration spirituelle» de l'être humain, qui existe selon lui chez chacun de nous ?
L'aspiration spirituelle est un mouvement précieux de l'être humain. Sur ce point, je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy. La société doit la respecter. Mais lorsqu'on suggère que la morale républicaine doit se fonder dans les religions, on change d'approche. D'abord, il ne revient à aucune autorité civile de trancher ainsi une question de conscience. Il est aussi anormal de voir un président dire qu'il faut se référer à la religion que d'en voir un autre affirmer qu'il faut rejeter toute religion. Cette orientation, dans un sens ou dans un autre, n'est pas dans ses compétences. De surcroît, en tenant ce discours dans une société plurireligieuse, on pré­pare les conditions d'un affrontement entre les différentes religions. Car, quand elles se contredisent, qui décidera qu'une religion est supérieure à une autre dans le domaine de la morale et des valeurs ?
Quelle est votre conception de la laïcité ?
Celle de Jules Ferry. Quand Nicolas Sarkozy dit que «jamais l'instituteur ne pourra remplacer le pasteur ou le curé» dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, parce qu'il lui «manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance», il exprime exactement le contraire du message de Jules Ferry. La morale de l'instituteur n'est pas inférieure à celle du prêtre. Pour Jules Ferry, elle est la morale universelle au genre humain, qui prend garde à ne choquer aucune des familles qui confient leur enfant aux maîtres. La laïcité est un bien très précieux que la France a su définir avant et mieux que les autres. Elle détermine un espace public à l'intérieur duquel on ne fait pas intervenir la religion par l'autorité du dogme, et un espace intime, familial, où chaque être humain cultive des convictions, une vision du monde, qu'il ne peut imposer aux autres. L'idée qui fonde la démocratie, c'est la vision géniale que Pascal a exprimée de la distinction des ordres : il y a l'ordre du pouvoir, l'ordre de la religion et l'ordre de la science. Le pouvoir doit garantir la liberté de prier et la liberté de penser dans les deux autres ordres. Mais l'homme n'est libre que si on empêche toute interférence entre ces ordres distincts. De la même façon, quand Nicolas Sarkozy établit un parallèle entre la vocation religieuse et sa vocation présidentielle, il mélange ce qui ne doit pas l'être.
Cela vous choque ?
Oui. En outre, c'est un paradoxe troublant que celui d'un pouvoir qui affiche chaque fois qu'il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l'espace public. Cela s'est déjà produit dans l'histoire. Aujourd'hui, par exemple, chez Bush. Et cela, les citoyens républicains, laïques aussi bien que chrétiens, ne peuvent l'admettre : ils ont quelque chose en commun, c'est le «rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu».

Propos recueillis par Judith Waintraub, Le Figaro, 26 décembre 2007
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Raffarin : «Il faudra compléter la loi de 1905»
Le Figaro, 27 décembre 2007


(Bertrand RIOTORD / Le Figaro)

L'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin répond à François Bayrou qui, dans nos colonnes, a critiqué l'idée de «laïcité positive» de Nicolas Sarkozy.
LE FIGARO. En quoi la laïcité vue par François Bayrou vous heurte-t-elle?
Jean-Pierre RAFFARIN. J'y vois une déclinaison d'un vieux concept, exclusif des religions. Cette vision historique doit être modernisée. Notre paysage religieux n'est plus celui du temps des «cultes révolutionnaires» de Robespierre. Aujourd'hui, nous avons besoin de la laïcité partagée pour régler les relations entre religions et politique, mais aussi pour servir de grammaire entre les différentes religions, pour leur permettre de se parler dans l'espace public.
La France doit-elle renoncer à son exception républicaine ?
Non, mais nous devons l'adapter. Défendre la spécificité française en reprochant à Nicolas Sarkozy ses références aux racines chrétiennes de la France, comme le fait François Bayrou, c'est nier la réalité. En cette période de Noël, que voit-on ? Des Français qui, partout, célèbrent une fête religieuse, familiale et sociale. Au débat passéiste entre «la morale laïque» et «la religion civile», telle que la définissait Rousseau, je préfère le concept d'«éthique antérieure» de Paul Ricœur, car les religions sont, en amont, des sources pour les normes de la morale publique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis favorable à l'enseignement de l'histoire des religions à l'école.
Êtes-vous partisan d'une révision de la loi de 1905 ?
Il faudra sans doute la compléter, notamment en matière de santé publique, mais je ne pense pas utile de remettre en cause ses fondements. La société française ne peut accepter qu'une religion tente de lui imposer un projet politique. Face au prosélytisme, à des provocations particulières, comme le port de signes religieux ostentatoires à l'école, il a fallu réagir. C'est pourquoi j'ai fait voter la loi interdisant le port du voile dans les établissements scolaires, et aussi pourquoi je suis favorable à des procédures transparentes en matière de construction d'écoles religieuses. Ce serait un moyen efficace de lutter contre des pratiques clandestines. Avec Nicolas Sarkozy, nous avons eu d'utiles débats aussi bien sur la question du voile que sur celle de l'organisation du culte musulman en France ; cela a été le début d'une vraie proximité en contribuant à notre réflexion sur la nécessité de sortir la laïcité du carcan historique dans lequel elle était enfermée. Je partage tout à fait sa conception d'une laïcité «positive» représentant la diversité des religions en France.
Est-ce le rôle du politique de se mêler de questions spirituelles ?
Bien sûr. On ne peut pas limiter le politique à un rôle de technicien. Il ne s'agit pas de penser à la place des citoyens, mais pour garantir leur liberté, il faut avoir la conscience de la profondeur de la question du sens. On ne peut donc pas l'exclure du débat public. Je pense que l'apostasie n'est pas une force de progrès dans nos sociétés.
De nombreux pays ne souffrent-ils pas plutôt d'un excès de religiosité ?
C'est évidemment vrai pour des pays qui fondent leur projet politique sur un islam radical, mais le meilleur moyen de les aider à s'en sortir, c'est d'être attentif, chez nous, à l'expression d'un islam modéré.
Aux États-Unis également, la religion envahit le débat public. Est-ce souhaitable en France ?
Non, absolument pas. Les États-Unis sont entrés dans un mélange des genres qui n'est pas, pour nous, acceptable. Le discours politique n'a rien d'une prière, et je suis hostile à l'affichage ostentatoire des pratiques religieuses chez les politiques. D'ailleurs, quand j'étais premier ministre, j'ai veillé à la discrétion de mes pratiques religieuses personnelles.
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