France 2017 : une élection décevante. Entretien avec Caroline Valentin.

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Le multiculturalisme de Macron, c’est Munich, c’est du pacifisme à la petite semaine. Celui qui nous vaudra le déshonneur et la guerre





L’élection présidentielle passionne en France mais ne passionne pas qu’en France. Pour comprendre les grands enjeux qui la traversent, je multiplierai dans les prochains jours les analyses et les  entretiens avec des observateurs de la société française et de la politique française. Première rencontre avec Caroline Valentin, essayiste et coauteur du livre Une France soumise (Albin Michel, 2017). Au menu : la question identitaire en France, la vision politique d’Emmanuel Macron, la percée de Jean-Luc Mélenchon, la crise de la droite et la présence du Front national de Marine Le Pen au second tour.


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Vous êtes préoccupée par la question identitaire et plus exactement, par celle de l’identité culturelle française. Est-ce que cette question a eu la place qu’elle méritait dans cette élection présidentielle? Trouvez-vous que cette élection était à la hauteur de la situation historique que la France traverse depuis quelques années?


Absolument pas. C’est la grande déception de cette campagne. Malgré une série d’attentats sanglants perpétrés sur notre sol par des terroristes pour la plupart élevés en France, malgré près de 400 victimes, la question de l’identité n’a pas du tout été évoquée. Ou plutôt, elle ne l’a pas été comme elle aurait dû l’être. Elle est pourtant au cœur des préoccupations des Français et c’est l’un des enjeux majeurs, non seulement de notre pays, mais de notre civilisation occidentale.


Le problème, c’est que les candidats n’ont été interrogés que sur leur conception de la laïcité, notamment lors du premier débat avec les 5 principaux candidats. A part dire, ce qui fait de toute manière consensus entre tous les partis de gouvernement et plus largement au sein de la société, qu’ils ne se hasarderaient pas – et c’est heureux -  à remettre en question la loi de 1905 qui régit essentiellement les rapports, les non rapports en fait, entre l’Etat et les religions, les candidats n’ont rien dit sur la laïcité ; et ils ont fait l’impasse sur le sujet identité.  


Or, l’identité est un thème bien plus large et bien plus émotionnel que la laïcité. Ce qui fait d’un individu une personne intégrée à la société française, c’est le fait que son comportement d’ensemble soit conforme aux mœurs, us et coutumes français. Cela ne se réduit pas à son opinion personnelle sur la laïcité. Or l’identité est un sujet fondamental dans notre pays soumis une pression migratoire très forte. En effet, tous les peuples, partout dans le monde, réagissent mal à la perspective de devenir culturellement minoritaires chez eux. Cette angoisse identitaire a, de tous temps, été au cœur des guerres. Les Français de la Première guerre mondiale sont allés mourir au feu par millions pour rester Français. Quand Hitler a envahi la Russie de Staline en 1941, ce dernier n’a pas demandé à son peuple d’aller défendre la faucille et le marteau, il a mis en place toute une propagande pour ressusciter l’image de la Sainte Russie dans les consciences, allant même jusqu’à rouvrir des églises et faire revenir des prêtres du front et des prisons. Pour le moment, la médiacratie et les responsables politiques arrivent à canaliser les passions en réduisant tout débat à ce sujet au concept très technique et beaucoup moins galvanisant de laïcité. Mais c’est un artifice qui, je le crains, ne pourra pas durer éternellement. Le fait que plus de 40% des Français aient voté pour des partis préconisant la table rase et dont les programmes incluent plus ou moins explicitement la rupture avec la démocratie libérale est extrêmement alarmant. Il est un signe du degré d’exaspération des Français devant la médiocrité de leur classe politique et son incapacité à comprendre et à répondre à leurs préoccupations essentielles.


Emmanuel Macron a déjà affirmé qu’il n’y avait pas de culture française mais une culture en France. Hier, dans son discours de victoire, il a parlé non pas du peuple français, mais du peuple de France. De quoi ce vocabulaire est-il le symptôme?


Ses déclarations – et d’autres qu’il a pu faire pendant sa campagne - démontrent sans équivoque que l’identité culturelle française n’est pas pour Emmanuel Macron un sujet central, que sa défense ne fait pas partie de ses préoccupations. Emmanuel Macron est en réalité un candidat multiculturaliste, c’est-à-dire qui envisage tout à fait une société d’individus appartenant chacun à sa propre communauté culturelle sans que la Nation ne fasse peser sur lui un devoir d’intégration à l’identité culturelle française. Sa référence au « peuple de France » est un écho désespérant à la multitude de drapeaux maliens, algériens et palestiniens qui flottaient derrière François Hollande place de la République le soir de son élection. Or, si la France est une société multiculturelle, elle n’est en principe pas pour autant multiculturaliste : l’histoire de notre pays, son ADN, c’est une république une et indivisible, nourrie d’influences étrangères certes compte tenu de son cosmopolitisme et de sa longue tradition de terre d’accueil, mais qui se sont fondues et adaptées dans un creuset unique et commun à tout le monde. Cette unité est la condition sine qua non pour faire nation, c’est aussi la garantie de notre union. Emmanuel Macron considère que l’identité culturelle française est un patchwork fait d’une addition d’une multitude de cultures étrangères. Il se trompe, ce n’est pas un patchwork, c’est un camaïeu.


Or ce sujet n’est pas que théorique, loin s’en faut. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une guerre de civilisation que nous ne pourrons pas résoudre avec des fleurs, des bisous et des bougies. Notre ennemi veut nous diviser, notamment en dressant les Français musulmans et non musulmans les uns contre les autres. Nous devons plus que jamais tout faire pour rester unis. Le multiculturalisme de Macron, c’est Munich, c’est du pacifisme à la petite semaine. Celui qui nous vaudra le déshonneur et la guerre comme l’avait prédit Churchill. Or nous avons une formule éprouvée pour préserver notre unité, la seule au monde qui ait fait ses preuves : l’intégration.


Pour le moment, Emmanuel Macron a pu traverser cette campagne sans être mis en difficulté sur ce thème. Il est probable qu’il ressurgira, soit entre les deux tours, soit au moment des législatives, soit au pire des cas au prochain attentat meurtrier en France. C’est malheureux à dire, mais il n’y a peut-être que cela qui pourra forcer notre probable futur président à prendre ce problème à bras le corps.


Jean-Luc Mélenchon en a surpris plusieurs avec sa percée. Comment expliquez-vous cette étrange percée? Témoignait-elle de la persistance d’une forme d’anticapitalisme dans la culture française?


Bien sûr. L’esprit du programme de Jean-Luc Mélenchon, c’est finalement la lutte des classes, jouer sur les tendances agonistiques fondamentales de la société dans le but de souder un électorat contre l’ennemi désigné, le capitalisme, la mondialisation, intronisés grands responsables de tous les malheurs du monde en général et de ceux de la France en particulier. L’argent n’est plus un moyen mais un ennemi. Toutes les sources de financement actuels de l’Etat et de l’économie française, les marchés sur lesquels la France emprunte, les contribuables les plus aisées doivent se sacrifier sur l’autel du bien « commun », mais commun aux seuls plus démunis. La promesse d’une société idéale, d’un homme nouveau désaliéné, ce sont des utopies finalement assez classiques dans les projets d’inspiration marxiste, même si Jean-Luc Mélenchon et ses électeurs rejettent cette qualification en évoquant la démocratie participative. C’est peut-être une révolution par la loi, certes, mais cela reste une révolution. Bien sûr, le projet ne se réduit pas à cela, il a le mérite de faire preuve de hardiesse et d’ingéniosité sur des thématiques fondamentales (environnement, santé) ; mais, sans contraintes financières, est-ce si difficile d’être inventif ...


Jean-Luc Mélenchon a par ailleurs bénéficié d’une mansuétude typiquement française à l’égard des idées autoritaires dès lors qu’elles viennent de la gauche. On continue à préférer avoir tort avec les héritiers de Sartre que raison avec ceux de Aron. La candidature de Jean-Luc Mélenchon n’a donc pas souffert de la diabolisation qui continue de peser sur celle de Marine Le Pen. Cette dernière a pourtant de nombreux points communs avec Mélenchon, non seulement dans son programme mais aussi dans cette manière de fédérer son électorat dans une lutte contre un ennemi commun, sauf que pour elle, l’ennemi, c’est grosso modo les étrangers et l’Europe.


Mais il n’y a pas que cela. D’un point de vue purement électoral et politicien, au regard de la simple tactique politicienne et de la toponymie partisane française, Jean-Luc Mélenchon a largement bénéficié du désastreux quinquennat de Hollande et de la faiblesse du parti socialiste éclaté entre un centre gauche de gouvernement qui a choisi Macron et une gauche plus extrême dont Benoît Hamon n’a pas compris, contrairement à Jean-Luc Mélenchon, l’attirance irrésistible pour la contestation révolutionnaire.


Enfin, le talent de Jean-Luc Mélenchon, ses qualités de tribun, sa longue expérience politique et un sens de la formule qu’aucun de ses concurrents n’est arrivé à égaler ont également été des atouts déterminants dans la réussite de sa campagne. Cela dit, c’est aussi une faiblesse du mouvement que de reposer à ce point-là sur la personnalité de son leader qui n’est plus tout jeune et n’a à ce jour pas de successeur désigné, en tout cas aucun avec autant de charisme. A contrario, son « homologue » d’extrême-droite, Marine Le Pen, a dans son écurie la très jeune et redoutablement talentueuse Marion Maréchal-Le Pen. A 27 ans, elle a donc une très longue carrière politique devant elle, avec entre 7 et 8 élections présidentielles et autant d’élections législatives pour se faire la main et peaufiner son message. Il va falloir que les partis républicains cessent de se contenter d’invoquer le « front républicain » pour faire barrage à l’extrême-droite et se mettent à travailler leur argumentaire s’ils veulent espérer lui barrer la route de la magistrature suprême.


Comment expliquez-vous l’effondrement de la droite républicaine et la présence de Marine Le Pen au deuxième tour ? Assiste-t-on à une recomposition du paysage politique français ?


Il s’agit moins de l’effondrement de la droite républicaine que de celui du candidat désigné par les primaires, dues aux fameuses « affaires » judiciaires qui ont grevé sa campagne, démoli sa réputation et rendu son message inaudible jusqu’aux dernières semaines de la campagne. Mais à la sortie des primaires, les sondages contre Marine Le Pen étaient favorables à François Fillon. Ce qui a pêché, ce n’est pas le programme de François Fillon, c’est François Fillon. Cela dit, la mise au rebut des ténors de la droite que sont Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, les dissensions internes aux LR provoquées par les scandales Fillon laissent la droite dépourvue de leader. Mais dans la mesure où Emmanuel Macron – ou Marine Le Pen – devront se composer une majorité qu’ils n’ont pas aujourd’hui et que le Parti socialiste est en ruines, c’est sans doute Les Républicains qui vont bénéficier des appels du pied les plus appuyés.


Quant à la présence de Marine Le Pen au second tour, elle n’a rien d’une surprise. C’était même la seule candidate dont la présence était certaine au second tour depuis plusieurs années ! Toutefois, si ce n’est pas une surprise, cela reste un symptôme d’un mal plus profond et qui affecte tous les partis de gouvernement : la décrédibilisation dont ils souffrent suite à des expériences de pouvoir qui se sont toutes révélées décevantes. Leur faiblesse la plus tragique réside dans leur incapacité totale à penser « en dehors de la boîte », à faire en sorte que la France puisse bénéficier de ses immenses atouts dans le cadre de la compétition mondialisée, tout en protégeant les parties les plus exposées et les plus fragiles de sa population. Notre système repose sur la création de richesses et des mécanismes de redistribution solidaires sur la pérennité desquels les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont été incapables de rassurer.




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