Fini le dialogue

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Harper brûle tous les ponts avec le Québec

Ottawa — Durant la campagne électorale de 2005, le chef conservateur Stephen Harper avait surpris beaucoup de Québécois avec son discours de Québec sur le fédéralisme d’ouverture où le respect des provinces et de leurs compétences tenait une place centrale.

À bien des égards, M. Harper a tenu promesse, du moins les premières années. Il n’a pas cherché à empiéter sur les platebandes provinciales en ce qui a trait à la santé et aux programmes sociaux. Il a reconnu l’existence du déséquilibre fiscal et offert des correctifs. En 2008, il a même signé des accords transférant à Québec ses budgets et les fonctionnaires assignés à la formation de la main-d’oeuvre.

Mais le dialogue avec les provinces s’est toujours limité à des échanges bilatéraux, M. Harper ayant les conférences fédérales-provinciales en aversion. Nombre de décisions touchant les provinces ont donc été prises sans les consulter, une tendance qui s’est aggravée depuis deux ans.

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Un cas très récent touche la formation de la main-d’oeuvre, celle dont tout le financement a été cédé au Québec en 2008 par ce même gouvernement. Dans le dernier budget, le gouvernement a décidé de créer une nouvelle subvention pour la formation en entreprise. La première mouture du programme en question, qui n’existe toujours pas mais a fait l’objet d’une campagne de publicité télévisée d’une valeur de 2,5 millions, aurait ressemblé à ceci. À partir du 1er avril prochain, le fédéral aurait versé jusqu’à 5000 $ par apprenti à la condition que l’entreprise en verse autant, et la province aussi.

Non seulement les provinces ignoraient tout de ce projet, mais elles ont eu la surprise d’être mises à contribution. Pour financer son propre effort, Ottawa a prévu de récupérer 300 des 500 millions qu’il transfère aux provinces pour la formation de chômeurs ne bénéficiant pas de l’assurance-emploi. Les provinces ont protesté et protestent encore.

Des négociations sont en cours pour arriver à un compromis. Ottawa pourrait se contenter de reprendre 200 millions. Mais là encore, il y a une astuce. Pour combler la différence, il réduirait de 100 millions les fonds transférés aux provinces pour la formation des bénéficiaires de l’assurance-emploi.

Québec ne veut rien entendre, et avec raison. Les autres provinces discutent, mais résistent à l’idée de perdre des fonds pour des programmes qui fonctionnent. Sinon, trois options s’imposent à elles. Ou elles financent elles-mêmes les programmes, ou elles les amputent, ou, pire, elles en abandonnent certains.

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Il aurait été possible de faire mieux, et ce gouvernement aurait pu trouver l’inspiration dans ses rangs, auprès de la sénatrice Diane Bellemare, une des plus grandes expertes québécoises en la matière. Mme Bellemare refuse de commenter les réformes conservatrices en matière de formation et d’assurance-emploi, mais il est clair que celles-ci auraient eu une tout autre allure si la sénatrice avait été aux commandes.

Selon Mme Bellemare, on prend les choses à l’envers. Il faut d’abord que le pays se dote d’une politique de plein-emploi, élaborée de façon toute fédérale, c’est-à-dire par le fédéral et les provinces. Elle note qu’il y a toujours six chômeurs pour chaque emploi disponible, ce qui lui fait dire que le vrai problème est une pénurie d’emplois et non de main-d’oeuvre, un problème localisé. Selon elle, les politiques de formation et d’assurance-emploi doivent être intimement liées et conçues pour contrer le chômage.

Ce qu’elle propose est audacieux (et plus élaboré que mon bref résumé). Elle suggère de mettre fin au cloisonnement qui existe actuellement dans la Loi sur l’assurance-emploi entre ce qu’on appelle les mesures passives (soutien du revenu géré par le fédéral) et les mesures actives (formation et aide à la recherche d’emploi gérées par les provinces).

Selon elle, les provinces devraient gérer à la fois les mesures actives et passives (le fédéral resterait responsable des cotisations). Les provinces pourraient alors accroître la part des mesures actives afin d’encourager la participation au marché du travail et de prévenir, avec un peu d’imagination, le chômage cyclique, fréquent ou prolongé.

Elle pense, entre autres, à des mesures incitatives qui rendraient plus attrayant de former ses employés plutôt que de les mettre à pied chaque année. Elle cite, par exemple, la formation en vue d’une diversification de la production. Ou encore ces entreprises ayant des cycles de production différents qui partagent déjà des employés, évitant à ces derniers de se retrouver au chômage.

Chercheuse de profession, Mme Bellemare n’est pas du genre à faire des vagues. Elle croit pouvoir faire avancer ses idées à travers ses livres, ses articles et ses conférences. Elle souhaite aussi utiliser la tribune du Sénat pour lancer une étude sur la sécurité sociale au XXIe siècle. Mais cela s’arrête là pour l’instant.

Il est toutefois franchement dommage que ce gouvernement ne tienne pas compte de l’avis d’un membre informé de son propre caucus. Cela en dit beaucoup sur l’objectif ultime de ses réformes : marquer des points politiques et donner l’impression d’agir tout en continuant de réduire ses dépenses pour dégager un surplus à temps pour les élections.


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