Falardeau : l'entrevue

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire


C’est au chic restaurant Mont-Royal Hot-Dog que j’ai rencontré Pierre Falardeau. qui avait lui-même été initié à ce temple de la gastronomie ordinaire par nul autre que Gaston Miron. Vous admettrez que ça fait une belle introduction à la conversation et que l’atmosphère « michel tremblay » du populaire resto convenait tout aussi bien à ce petit-déjeûner avec le cinéaste-patriote.
Ahhh, ce Falardeau ! Ses sorties à l’emporte-pièce et ses expressions dépourvues de l’emballage de la rectitude politique scandalisent les uns et font sourire les autres. Le milieu qui se dit branché (on pense à Martineau et Lagacé) a commencé à prendre ses distances avec le récalcitrant Falardeau. Bien sûr, il m’a emballé quelques phrases de mobilier liturgique, mais nous avons aussi exploré une zone moins connue qui lui a imprimé au visage ce sourire teinté d’une grande fierté …
Les origines …
Pierre Falardeau est né tout juste au lendemain de la deuxième guerre mondiale. En 1946 pour être précis. Au coin d’Aylwin et de la Catherine pour être encore plus précis. Un gars de l’Est dans Hochelaga-Maisonneuve. « Mais je suis un bâtard » m’affirme-t-il d’entrée de jeu. « Je ne suis pas un PUR gars de l’Est puisqu’à l’âge de 4 ans, ma famille déménageait à Châteauguay … Mes plus vieilles images d’enfance sont des images de chats dans les ruelles mais aussi de sentiers dans la forêt. Aujourd’hui, j’ai toujours besoin des deux ».
Son paternel, vendeur dans une mercerie, avait également suivi des cours à l’école des HEC, ces connaissances lui permettant de combler un poste de caissier, puis de gérant dans une caisse du Mouvement Desjardins sur la Rive-Sud. Voilà bien le premier élément de fierté de Falardeau : ce père qui navigue avec des hommes énergiques et progressistes de la fin des années 50, mettant sur pieds des coopératives agricoles et autres éléments économiques… affranchisseurs.
Sa première assemblée politique ? Avec son père, à l’âge de 15 ans : les Amis du docteur Philippe Hamel, un visionnaire qui réclamait la nationalisation de l’électricité depuis les années 30. Une initiation à l’achat chez nous et aux débats nationalistes. Tout ça en 1962, juste avant l’entrée en scène de René Lévesque chez les libéraux.
Ces années 60 résonnent encore dans la tête de Falardeau. Vous vous souvenez de ce RIN entre 60 et 68 ? Presque avec dépit, il m’avoue avoir manqué la première manifestation : l’affaire Gordon où un haut gradé du CN avait traité les canadiens-français (ancêtres des québécois …) d’incompétents sauf pour les binnes et Lili St-Cyr. Il était fièrement de la suivante, l’affaire McGregor, où ce cadre d’Air Canada, avec des propos semblables, avait donné lieu à une sérieuse perturbation d’une inauguration au Reine Élizabeth. Il se rappelle aussi avoir reçu crachats et quolibets en vendant le journal du RIN sur les coins de rues …
Parallèlement, il suivra un cours classique au Collège de Montréal sur Sherbrooke ouest. Enlevant son « habit-cravate obligatoire » à la fin de ce cours, il dira « plus jamais » de costume pour gagner sa vie. Un bac en anthropologie suivra à l’Université de Montréal, puis une année d’enseignement et un retour en classe pour compléter une maîtrise, toujours en anthropo.
Autre époque bénie (!!!) : la première vague du FLQ avec les Schreiber et Giroux. Il assistait au premier procès quand Villeneuve a garroché par terre les pile de feuilles remises par le juge. Un Falardeau trrrrèèèès impressionné par ce tribunal des Anglais de la Conquête. Époque fantastique, conclue-t-il.
Après les années fertiles 67-68-69, il entrevoit clairement le lien entre l’anthropologie et la politique. Ses idoles (Perreault, Groulx, Gosselin et Lamothe) lui font comprendre qu’une caméra, ça n’est pas que pour les « vues » de guerre, de Tarzan ou d’Elvis. Il se souvient même de ses premières niaiseries avec la 16mm d’une « matante ».
Il faut aussi mentionner le Vidéographe, cette boîte stimulante de l’époque coin St-Denis et Maisonneuve. On prêtait matériel et prodiguait conseils aux jeunes cinéastes en devenir. Quelques gars de l’ONF avaient remarqué Falardeau et lui ont facilité l’accès aux services.
Le vrai départ
On arrive à la première production ; un documentaire intitulé … Continuons le combat !!! Mais non, vous n’y êtes pas. Ça n’est absolument pas ce que vous pensez. On y parle de lutte (non, non, laissez moi finir …) mais bien de la vraie lutte, celle dans un vraie ring, celle que fréquentait Falardeau tous les lundis soirs au Forum avec le vrai monde. Allez, allez ! Admettez que je vous ai eus !
Son premier vrai film ? Un court métrage intitulé « Speak White ! », ramenant sur l’écran la superbe Michelle Lalonde que les baby boomers avaient sûrement remarqué dans La Nuit de la Poésie. À ma grande surprise, ces documentaires et ce film de Falardeau sont disponibles à la Boîte Noire.
La suite, vous la connaissez un peu. Trois courts métrages qui ont formé le presque mythique Elvis Gratton, le Party, l’underground Temps des Bouffons, Elvis Gratton 2 (avec un vrai contrat qui lui a permis d’acheter son bungalow rue Saint-André dans le Plateau en 2001) et le magnifique Chevalier de Lorimier avec Luc Picard et Sylvie Drapeau. Présentement, il planche lentement sur un projet de film inspiré par un travail de Francis Simard (les racines qui tiennent …) sur le Québec et la Première Guerre 14-18.
Les mots, les mots …
Me rappelle cette apparition à Télé-Québec. En réaction à un texte de Brecht que lui avait lu la sublime Françoise Faucher, il avait eu cette suave appréciation : « Ça c’est du théâtre ! C’est pas comme les jeunes flyés qui te récitent un texte en serbo-croate, pendus par les pieds avec une carotte dans le cul ! ». Ouf ! Mais c’est aussi le même bonhomme qui, en préambule à son film Le Party, nous lance cette brève et subtile réflexion : «La liberté n’est pas une marque de yogourt ».
Durant la discussion, une seule fois ai-je senti le regard se durcir et la voix s’emballer : quand nous avons discuté de la récente victoire d’Amir Khadir dans le Plateau. Falardeau n’a vraiment pas Amir, la belle Françoise et Québec Solidaire en admiration. Il considère comme une hypocrisie, voire une traîtrise, de reléguer l’indépendance et la libération d’une peuple au Xième rang d’un programme politique. Voilà !
La prochaine fois que vous verrez Falardeau dans une (vraie) entrevue, observez bien son sourire occasionnel : comme une gêne et une pudeur qui s’installent dans sa figure débraillée. Le compliment le désarçonne et il s’empresse de le minimiser.
Mais où donc est passé le baveux quand la lentille focalise sur sa personne plutôt que sur le personnage médiatique ? Le tigre devient presque minet et votre encens dévie vers son entourage et ses collaborateurs. Derrière le bouclier verbal et littéraire, je devine une poule couveuse choyant ses amitiés intimes.
À le voir aller avant, pendant et après notre rencontre, je sais que ce gars-là aime le monde. Si vous le croisez sur la rue, n’hésitez pas : son large et franc sourire vous prouvera que vous ne l’importunez pas !


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