DOUDOU SOW, SOCIOLOGUE, CONSEILLER EN EMPLOI ET CONFERENCIER DANS LA PROVINCE DE QUEBEC
«Le Québec est dans une situation problématique où il lutte aussi pour sa survie…»
Publié le 18/01/2012 | 03H20 GMT par Mame Aly KONTE
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Québécois d'origine sénégalaise comme il le réclame lui-même, Doudou Sow vit aujourd'hui dans la grande ville de Montréal. Au cœur des questions d'immigration dans la vieille province, l'ancien étudiant à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis qui est aussi passé par la France, travaille depuis quelques années, sur l'amélioration du regard de la société canadienne et québécoise plus particulièrement, sur les problématiques de l'immigration et l'insertion professionnelle des immigrants. Dans ce long entretien tenu aux abords de l'Université du Québec à Montréal (Uqam), le sociologue et observateur de la vie québécoise, creuse avec nous, la réflexion, sur cette vaste question qui a fait à la fois, l'histoire de l'Amérique du nord francophone et anglophone.
M. Sow, avec votre regard de sociologue, pouvez-vous nous faire une esquisse des différentes composantes de l’immigration dans le Canada d’aujourd’hui.
Ces composantes pour l’essentiel se situent au niveau des aspects culturels, sociaux, politiques et religieuse ; et aussi et d’une certaine manière au plan économique. Au niveau ethnoculturel des immigrants, nous avons noté récemment la forte poussée de l’immigration maghrébine, qui d’une certaine façon est de plus en plus représentée. Le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles parle de plus en plus de bassin géographique. Selon le bref portrait de l’immigration permanente du Micc, en 2010, la population des immigrants permanents admis, se répartit comme suit, selon le continent de naissance : Afrique 36,8 % (dont le Maghreb, 20,7 %), Asie 25,4 %, Amérique 21,1 % et Europe 16,6%). Il y a aussi une forte présence française ici au Québec avec une communauté estimée officiellement à plus de 100 000 personnes et 150 000 pour l’ensemble du Canada. Il y a également les asiatiques et les hispanophones. Et, c’est en ce sens que le Québec constitue un véritable laboratoire social parce qu’il regroupe plusieurs ethnies, selon le nouveau vocabulaire que nous utilisons ici maintenant pour ne pas parler de races.
Le trait commun ici, c’est donc la diversité ? Mais, aujourd’hui, est-ce que cette diversité est bien maîtrisée. Existe-t-il des études sérieuses sur la question ?
Oui, cette diversité a fait l’objet de plusieurs études. Mais, est-ce qu’on la connaît réellement ? Là, ma réponse sera beaucoup plus nuancée. Le Québec ayant été secoué à un certain moment par certaines formes de turbulences, cette question a été abordée sous le vocable des accommodements raisonnables. Et à une certaine époque, plus exactement, au printemps 2007. Cette question qui est loin d’être résolue, a alimenté les débats dans les salons et dans la presse et même à l’Assemblée nationale où une commission parlementaire a eu lieu sur le sujet. Récemment et pas plus tard qu’hier, un débat sur la diversité dans les médias a été également soulevé. On soulève la question de la diversité non pas seulement dans l’espace médiatique. On en parle un peu partout et de plus en plus au niveau de l’emploi et des entreprises.
Vous posez ici une autre question centrale, celle de l’adaptation de tous ces gens qui arrivent. Parmi ces gens, tous ne sont pas logés, n’ont pas un travail qui peut les couvrir. Et on risque d’avoir de futurs clochards parmi eux ?
Quand on regarde la grille de sélection du ministère de l’Immigration, l’adaptabilité qui est certes un critère subjectif y occupe une place centrale. Donc, cela veut dire que le gouvernement tient aussi en compte cette question. Mais, quand les gens arrivent ici, ils sont confrontés dés fois à des problématiques systémiques ; c'est-à-dire, des barrières d’ordre professionnel, pour faire allusion à la non-reconnaissance des diplômes, à la discrimination, au manque de réseaux socioprofessionnels ; ce qui rend difficile leur intégration professionnelle. D’un autre côté, il l’est encore plus du fait qu’il y a des gens qui arrivent et qui ne comprennent rien aux modes de fonctionnement de la société canadienne. Et parfois, des deux côtés, cela peut poser quelques problèmes. Est-ce qu’il s’agit à partir de ce moment d’une adaptation culturelle ? Où est-ce que ce sont des problèmes liés à leurs difficultés d’intégration économique ? Et là aussi, des deux côtés de la société, un débat se pose.
Et, quand tu poses par exemple aux Québécois dits « de souche », la question de l’intégration, ils font d’emblée allusion à la question identitaire. Et, si vous leur demandez comme ils perçoivent l’immigration ? Ils vous diront qu’ils veulent accueillir des immigrants qui respectent leurs valeurs, leur façon de faire également en préservant les acquis de la révolution tranquille. Maintenant, quand tu interroges l’immigrant, son premier réflexe est de dire qu’il veut une intégration économique. « Je veux trouver un emploi en fonction de mes compétences et de mes diplômes. » Donc, l’adaptation est un concept polysémique, et tout dépend de qui utilise le terme. Pour dire simplement que l’adaptation au Québec, n’a rien à voir avec ce que les Français conçoivent comme adaptation. En reprenant le modèle d’intégration, le multiculturalisme a connu un certain échec dans des pays qui prônaient le même concept. Je prends l’exemple de la Grande Bretagne où l’on a entendu le premier ministre, David Cameron se prononcer il y a quelques jours sur la question, en disant qu’il faut revisiter le concept. Même son de cloche chez la Chancelière allemande Mme Angela Merkel qui s’est inscrite dans la même veine que son homologue britannique. Et on voit le Canada aussi qui est en train de réviser d’une certaine façon, le même concept. On parle de plus en plus d’identité canadienne, et même pour ce qui est de la dénomination d’un certain ministère fédéral, on voulait carrément faire référence à l’identité canadienne.
«Les Sénégalais sont plus habitués à venir au Québec…»
On est là dans ces contrastes qui caractérisent tout mouvement migratoire dans le monde. Mais quels genres d’immigrés viennent ici aujourd’hui ?
Des immigrés très scolarisés, des jeunes aussi qui sont en très bonne santé. Je reprends toujours la grille de sélection du ministère de l’Immigration qui choisit toujours des gens qui sont en bonne santé, surtout des jeunes, des personnes diplômées qui ont fait de brillantes études. Pour la grille de sélection qui est en vigueur depuis le 14 octobre 2009, le gouvernement accorde un maximum de 16 points au critère relatif à l’âge, 8 points pour Séjour et famille au Québec. Pour ce qui est de la formation, le niveau de scolarité obtient 12 points tandis que le domaine de formation est de 16 points. Le critère adaptabilité est de 6 points et l’offre d’emploi validée est de 10 points. Le seuil de passage minimal exigé est de 55 sur 107 pour les candidats sans conjoint et 63/123 pour les candidats avec conjoint. Bref, les immigrants qui arrivent au Canada sont très scolarisés. C’est une forme d’immigration qui ne semble viser que les instruits. Cette nouvelle intelligentsia canadienne est très différente de toute forme d’immigration prolétarienne qu’on retrouve aujourd’hui en Europe, notamment en France, en Allemagne, en Espagne etc.
Revenons à la notion d’immigrés économiques. Même marginale, est-ce qu’elle englobe une véritable réalité ici. Peut-on dire, malgré tout, qu’il n’y a pas au Canada, des immigrés économiques ?
C’est vrai, parce qu’il y a de plus en plus de gens qui viennent des États-Unis, pays dans lequel les conditions deviennent de plus en plus difficiles. Et, le Canada qui était vu comme un nouvel eldorado est devenu moins généreux. Il y a aussi des changements dans la politique d’immigration au plan gouvernemental qui fait que la version petersonnienne du Canada (l’ancien ministre canadien des Affaires étrangères, Lester Bowles Pearson avait présenté une résolution qui avait été adoptée de force d'interposition, plus connue sous le nom de Casques Bleus à l'Assemblée générale des Nations unies) au niveau des relations nord-sud, des relations internationales est en train de changer. La crise est aussi présente avec des gouvernements recentrés sur eux-mêmes. Et là, de plus en plus, le fédéral qui accueille à peu près 250 000 immigrants permanents a établi en parallèle aussi un recrutement d’immigrants temporaires à peu près 400 000 personnes. Ce qui veut dire qu’à un certain moment, ce sont peut-être ces immigrants temporaires taillables et corvéables à merci qui viendront ici. Là maintenant, c’est une vision qui est différente de celle du Québec. Et cela, avec l’Accord Canada-Québec, du nom de Gagnon-Tremblay–McDougall qui date de 1991, le Québec a défini une politique d’immigration différente de celle plus globale du Canada dans son ensemble.
Venons-en aux contrastes géographiques. On a parlé tout à l’heure de contraste économique. Est-ce qu’immigrer dans le nord, l’ouest du Canada comme en Colombie britannique, c’est la même chose que s’installer dans le sud ou l’est comme l’Ontario?
Il y a déjà une différence au niveau de la langue. Si par exemple l’immigrant vient d’un pays francophone ou francophile, la première tendance est de venir dans un pays francophone. La langue étant le premier élément d’intégration économique de l’individu même si parfois, elle n’en est pas le seul facteur. Quand on prend l’exemple des Sénégalais, ils sont plus habitués à venir au Québec. Mais de plus en plus, avec les problèmes d’intégration au Québec, il y en a certains qui tentent de s’installer dans les provinces anglophones. Il faut dire que dans ces zones, le taux de chômage des immigrants est encore moins important quand on le compare à la zone francophone. En février 2008, il y a eu des chiffres alarmants de Statistique Canada sur certaines communautés culturelles qui démontraient que le taux de chômage chez les maghrébins était de 28%, chez les Noirs africains, il était de 20% et chez les Haïtiens de 18%. Par contre, pour les populations locales, ce taux était estimé à 7%. Cette situation pose un véritable problème. Maintenant, plusieurs facteurs sont liés à cela : il y a des gens qui viennent au Québec et qui sont dans des professions réglementées ; et parfois, il y a des barrières au niveau de ces ordres professionnels. Notamment en citant l’exemple du Collège des médecins du Québec ; il y a aussi des barrières systémiques qui entraînent la discrimination, même si elle n’est pas exclusive à un groupe.
Qui peut donc venir aujourd’hui au Québec et Canada ?
Celui qui peut venir au Canada, c’est celui qui a un âge compris entre 16 et 25 ans et qui veut poursuivre ses études ou changer sa vie. Celui qui a 35 ans ou moins et qui veut donner une nouvelle direction à sa carrière professionnelle. Celui qui veut venir au canada doit pouvoir utiliser les deux langues : l’anglais et le français. Celui qui vient au canada notamment dans les provinces anglophones devrait d’abord se renseigner sur les conditions d’installation dans le pays et qu’il a la capacité de s’adapter à ce nouvel environnement. Que ce soit dans une province francophone ou anglophone. Il doit être capable de savoir comment on entretient un réseau parce qu’ici tout est relié autour des réseaux professionnels. Chose très différente de nos pays d’origine comme le Sénégal où l’on parle parfois de pistons. Or, il y a une différence entre piston et réseau. Au Sénégal et dans les pays africains, on pistonne quelqu’un en fonction des relations qu’il entretient avec des autorités. Ce qu’on appelle dans le jargon sénégalais « un bras long ». On dira par la suite que c’est la fille d’un tel ou d’une telle. Ici par contre, on met en contact les gens avec le réseau professionnel sur la base des compétences réelles. La personne possède des compétences mais aussi un capital social, au sens de Bourdieu, qui multiplie les chances d’intégration en emploi. Ce qui fait que n’importe qui ne peut pas du jour au lendemain, venir au Canada. Il faut une préparation qui exige beaucoup d’efforts, des informations utiles, un accompagnement, un soutien et un moral de fer.
Tout ce que vous dites là, les gens ne les ont pas toujours avant de venir ici ?
Ils ne l’ont pas forcément. Même s’il y a parmi eux certains qui ont la capacité de s’adapter à de telles situations. Il y a certains qui peuvent être encadrés en organisant leur venue, mais il y en a beaucoup qui arrivent au Canada et qui se rendent compte que la réalité n’est pas la même que celle qu’ils avaient imaginée au départ ou qu’on leur avait décrite.
Quand vous parliez de la question liée à l’âge, vous avez souligné que l’âge idéal devrait s’arrêter aux alentours de 35 ans. Ce qu’on constate cependant est que de plus en plus de gens âgés de 40 voire 50 ans ou plus, arrivent au Canada.
Oui, j’ai pensé à cette classe d’âge. Parce que quand on regarde au niveau de l’âge, on dit par exemple 35 ans, 37 ans au maximum, parce qu’on sait que ce sont des gens qui vont faire l’effort de recommencer à « zéro » ou de pouvoir s’adapter rapidement à la nouvelle tendance qu’ils ont choisie. Mais celui qui a 40 ans voire 45 ans, il avait une situation confortable pré-migratoire (voiture de fonction, femme de ménage, toutes les conditions réunies pour mener une vie tranquille) ; et que parfois il a du mal à faire ce qu’on appelle le deuil professionnel. Dès son arrivée, il se rend compte tout de suite que la réalité est plus difficile. S’il vient en famille, il doit trouver une place en garderie pour chacun de ses enfants. Si on lui demande de retourner à l’école parfois, c’est souvent un choc qu’il ressent parce qu’il a été sélectionné sur la base de ses compétences. Alors que le jeune qui arrive se dit « j’ai mon avenir devant moi, je suis capable de recommencer à zéro » ; ce qui n’est pas le cas de celui qui est âgé qui a acquis une solide expérience dans son pays d’origine. Cette personne expérimentée subit un double choc culturel et professionnel. Elle n’était pas informée de la réalité qu’elle allait trouver sur place ou semblait l’ignorer ou avait fait le choix pour assurer l’avenir de ses enfants. Les gens ont parfois des attentes irréalistes par rapport au marché du travail québécois. L’image idyllique qu’ils avaient de la société avant leur arrivée risque de leur jouer un mauvais tour s’ils ne prennent pas le temps de bien s’informer sur les réalités socioculturelles de la société d’accueil.
Comment venir dans de bonnes conditions aujourd’hui au Canada ?
L’arrivée ici se fait par des conseils auprès des associations. Il y a des associations ethnoculturelles, de même que les technologies de l’information qui permettent d’avoir vite certaines informations. Le Québec est une société formidable, mais avant d’y venir il faut se donner la peine de regarder les réalités de ce pays au plan sociétal. Peser aussi le pour et le contre, bref établir un plan de match. Si j’appartiens à une profession réglementée, je suis sûr et certain que je ne pourrais pas exercer dans ma profession immédiatement en venant ici. Je dois savoir aussi que j’ai des efforts supplémentaires à faire. Peut-être penser faire des formations de perfectionnement ; ce qui suppose de se renseigner d’abord avant d’immigrer.
«Le collège des médecins du Québec est l’ordre professionnel le plus fermé…»
Venons-en maintenant au contexte socio professionnel pour finir cet entretien. Le nerf de la guerre. S’il est un peu aisé pour certains de venir dans ce pays, il y a des problèmes énormes à intégrer certains corps de métier comme dans la médecine.
Justement, je suis ambassadeur de bonne volonté du Québec et du Canada en matière d’immigration. Mais sur la question spécifique des médecins étrangers, je vais utiliser mon chapeau de chercheur et de conseiller en emploi qui a fait beaucoup de travaux sur problématique. Et, je dirais à des médecins qui décident de venir au Québec, de se renseigner davantage. Parce qu’au niveau des ordres professionnels, il y en a qui ont fait preuve d’un certain assouplissement ; mais les ordres n’avancent pas de la même façon et n’ont pas aussi les mêmes réalités. Le Collège des médecins du Québec est l’ordre professionnel le plus fermé et pour plusieurs raisons. C’est un Collège qui présente les médecins d’origine étrangère comme incompétents. C’est aussi un Collège qui « diabolise » d’une certaine façon aussi, les immigrants en leur collant une image que ces derniers n’ont pas. Et toujours comme explication au niveau de la société, on parle de la différence de formation. Et juste pour donner un exemple, le Québec a signé une entente avec la France en matière de reconnaissance des compétences professionnelles. Malgré cette entente, l’agence QMI rapportait qu’après deux ans et demi de la signature de ladite entente, il n’y a qu’une cinquantaine de personnes qui ont été reconnues par les ordres professionnels au Québec aussi bien au niveau des médecins, des avocats et autres. Et, pourtant cette mesure ne respecte pas la réciprocité ou du moins ne s’applique pas selon les termes de l’entente. Les médecins québécois peuvent pratiquer en France alors que dès que des médecins français débarquent au Québec, ils ont des difficultés à exercer leur métier ou plutôt vocation. Pour résumer sur cette question précise, les personnes qui font partie des métiers réglementés, notamment des médecins, devraient réfléchir avant de mettre les pieds ici. Obtenir un permis d’exercer est un véritable parcours du combattant : un véritable panier de crabes. Il y a aussi une discrimination systémique.
Et au niveau de la Commission des droits de la personne, une conclusion a été faite et largement partagée par tous les acteurs sur le terrain : une discrimination basée sur l’origine ethnique des médecins. Il s’agit d’un problème qui a fait l’objet de plusieurs rapports gouvernementaux. Il y a un excellent rapport du nom de Bazergui qui a été publié et dont les principales recommandations sont rangées aux oubliettes. Le Collège des médecins du Québec est très puissant. Et ce Collège est un organe qui peut, d’une certaine façon, destituer un ministre. Je donne cet exemple du reportage de Radio-Canada dans lequel Ghislaine Desrosiers, présidente de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec disait que « moindrement qu’un ministre puisse se mettre à dos le collège des médecins, il perd son poste. » Et ça, c’est une vérité. Ce sont des gens qui sont là qui vivent une situation endémique. Une preuve de leur mépris vis-à-vis des médecins étrangers : Docteur Yves Lamontagne, ancien président du Collège des Médecins qualifiait à une certaine époque, certains de « médecins des colonies ». Pourtant, on est dans une société où l’on réclame la justice sociale.
Qu’est-ce qui se cache derrière de telles réticences ? Racisme ou simple volonté de protéger les emplois des canadiens de souche ?
Comme je disais tantôt, la commission des droits de la personne a statué sur la question et a dit en fonction des dossiers qui lui ont été fournis avec le concours de la Fondation canadienne des relations raciales qu’elle était certaine qu’il y avait une discrimination. Mais en même temps aussi, il y a une question d’adaptation aussi de ces médecins diplômés à l’étranger sur la pratique québécoise. Parce que s’il est vrai qu’ils peuvent être opérationnels, il y a aussi la culture de la pratique de leur profession quand ils changent d’environnement, quand ils abordent les patients etc. Ça, c’est aussi une réalité.
Mais, en dehors de cela, il est vrai qu’il y a une volonté manifeste du Collège des médecins de ne pas ouvrir les portes parce qu’il y a la question de l’argent aussi dans cette affaire. Ce sont des gens qui ont des salaires très intéressants (des orthopédistes, des anesthésistes, des chirurgiens peuvent gagner plus de 350 000 $ par année). Et on parle aussi du phénomène de la loi du marché, de la main d’œuvre et encore. Et en même temps, ce sont des gens qui se disent, que si on ouvre les vannes est-ce qu’au niveau du salaire, il ne risque pas d’y avoir une baisse. Ici au niveau des médecins, il faut savoir que les médecins sont payés à l’acte. Et, ils ont donc intérêt à voir plus de patients pour faire passer la carte d’assurance-maladie. Qui plus est, ce sont des gens qui vont rencontrer des patients dans les hôpitaux publics ou cliniques privées pour une durée de visite de 5, 10 minutes ou plus, dépendamment des besoins de la personne. Il y a également des listes d’attente énormes, ce qui est néfaste pour l'état de santé des patients. Parce que cela aboutit souvent à des morts dans les corridors. La population québécoise souffre beaucoup de ce problème à cause de la pénurie de médecins. Et aussi un problème d’organisation au niveau du secteur de la santé.
L’autre question, sur ce volet, est que dans la partie anglophone du canada, il est plus facile aujourd’hui d’exercer comme médecins. Et c’est là, à mon avis, tout le paradoxe ?
C’est vrai que dans la partie anglophone du Canada, il est plus facile d’exercer parce que dans cette zone, on réserve des places pratiquement à des médecins étrangers. En Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, dans l’ouest canadien, il existe encore des postes réservés aux médecins étrangers. Il y a un autre aspect intéressant à souligner : à l’époque du gouvernement dirigé par le Parti Québécois, la ministre de la Santé du Québec d’alors, Pauline Marois ; il y a eu des médecins québécois qui ont été mis à la porte et certains hôpitaux d’ailleurs ont été fermés. Dans ce contexte, il était difficile d’intégrer les médecins étrangers puisque le gouvernement péquiste venait de se débarrasser des médecins locaux et il aurait été inconcevable pour la population québécoise que l’État québécois recrute massivement des médecins étrangers. L’actuel Premier ministre provincial, Jean Charest, a été élu sur la base d’un mandat où il avait fait la promesse de régler définitivement les problèmes en santé. Et depuis qu’il est au pouvoir, le problème n’a pas été résolu pour autant.
Parlons un peu des autres métiers. Il a été remarqué un peu partout que le niveau des salaires est plus élevé ou plus bas selon qu’on est blanc québécois ou étranger. On est dans un jeu à géométrie variable selon la couleur et/ou l’origine ?
Évidemment, il y a une précarisation de l’emploi. Le salaire va être moins élevé si on occupe un poste en deçà de ses compétences. Parce que si tu étais ingénieur dans ton pays d’origine et que tu viens occuper un emploi de technicien, si on fait la comparaison, tu vas te retrouver avec un salaire moindre que ce que gagne le Québécois. Certains immigrants, pas tous, ont des salaires moins élevés parce que les employeurs ne sont pas encore prêts à reconnaître automatiquement les diplômes et les compétences des diplômés hors du Canada notamment ceux travaillant dans des professions réglementées. Ceci explique en partie la différence salariale. Mais au bout d’un certain temps, il y a le salaire de l’immigrant qui va être nivelé à celui du natif d’ici. C’est sur une période de cinq voire dix ans. Parce qu’il y a toujours la dimension temporelle qui reste un élément extrêmement important ici pour ce qui est de l’adaptation de la personne. Aussi, le fait que les nouveaux arrivants sont confrontés à des réalités ou à des difficultés ne facilite pas souvent les choses. Mais, le Québec est dans une situation problématique où il lutte aussi pour sa survie. Le Québec qui compte une population de 8 millions de personnes est entouré par plus de 275 millions d'anglophones. Cette société francophone minoritaire en Amérique du Nord défend également son identité qui est par définition, évolutive et inclusive.
En homme de terrain qui connaît aujourd’hui toutes ces questions soulevées dans cet entretien, avez-vous un espoir sur la poursuite de l’immigration ici. Comment voyez-vous l’avenir ?
Je suis quelqu’un d’optimiste. Et je suis quelqu’un qui a déjà connu certaines étapes difficiles dans ma vie professionnelle depuis mon passage en Europe et plus particulièrement en France. Si je compare le Québec aux sociétés européennes, ou à d’autres pays d’immigration, je dirais que même si les immigrants ont des difficultés à s’intégrer sur le marché de l’emploi, au Québec, on garde toujours l’Espoir. C’est une société où véritablement la personne peut se retrouver du jour au lendemain, avec des perspectives de carrière fulgurantes. Cela demande certes beaucoup d’abnégation, de persévérance ; mais dans notre culture sénégalaise, on nous demande d’être patients. Heureusement, pour les Sénégalais, il faut se réjouir qu’on s’en tire bien ici. A part les médecins étrangers, ceux qui sont dans le domaine communautaire, arrivent à trouver un emploi. Dans le domaine de l’enseignement, après quelques années d’adaptation, ils arrivent souvent à s’en sortir. Aussi, pour ce qui est du service à la clientèle, des gens ont réussi aussi à se trouver un emploi parce que les Sénégalais savent s’adapter à leur environnement. Les Sénégalais font partie de la communauté, qui s’adapte le plus à n’importe quel environnement. Ils font preuve de débrouillardise. On a aussi développé toute une expertise au niveau associatif et il y a le Regroupement Général des Sénégalais du Canada, mais comme je vous le disais tantôt, avec l’élection de Cheikh Faye comme président, j’ai bon espoir que les Sénégalais auront une visibilité plus grande dans tous les secteurs de la vie canadienne (économique, social, culturel et politique).
« Le canada n’est pas un pays raciste. »
Vous avez parlé quelque part de remèdes imaginaires, qu’est-ce que vous entendez par cette formule ?
Oui, certains auteurs ont tendance à minimiser l’apport de l’immigration à la société québécoise et canadienne. Benoît Dubreuil et Guillaume Marois ont écrit un essai dans lequel ils disent que l’immigration est un remède imaginaire et donnent des arguments discutables. Dans le livre « Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec », les coauteurs concluent en disant que « économiquement et démographiquement, le Québec n’a pas besoin de l’immigration ». C’est une tendance qui a été incarnée avant par un parti populiste de droite, l'Action démocratique du Québec (L’Adq), qui tirait toujours à boulets rouges sur les immigrants et prônait une réduction de l’immigration au Québec (en moyenne 45 000 par année à l’époque. En 2010, le niveau d’immigration atteignait 53 981 personnes). Même si c’est un discours marginal, on sentait que les gens au Québec s’interrogeaient beaucoup sur le modèle d’immigration et son corollaire l’intégration. Puisqu’il y a beaucoup de problèmes liés à la question des accommodements raisonnables, des problèmes identitaires, à l’adaptation à la société québécoise et canadienne et aussi à la capacité d’accueil. Sur cette dernière question, est–ce que le Québec qui reçoit aujourd’hui 50.000 immigrés annuels, au lieu de 54 000 initialement, est prête à recevoir aujourd’hui 55 000 voire 60 000 immigrants par an ? Cela pose évidemment, la question de l’équilibre et dans ce cadre, il y a, en ce moment, la commission sur la planification de l’immigration qui est en train d’y réfléchir au niveau de l’Assemblée nationale. Dans cette perspective, je suis en train d’ailleurs de travailler sur les trois consultations sur l’immigration dans le cadre d’un livre intitulé « Intégration professionnelle des personnes immigrantes et identité québécoise : une réflexion sociologique ». Il y en a eu une sur la politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination. Et deux autres sur la planification triennale de l’immigration. L’objectif visé par le gouvernement libéral provincial est de faire adhérer la société québécoise à la question de l’immigration. Donc, si on reçoit 50 000 immigrants est-ce qu’on se donne les moyens de bien accueillir ces personnes ? Parce qu’il ne suffit pas juste de faire rentrer du monde, si on n’a pas les moyens de ses ambitions. Et, évidemment, le gouvernement actuel pêche dans ce cadre-là. On sait que si on répartit équitablement les immigrants sur le territoire québécois, la réponse est oui. Le Québec est composé de 17 régions administratives. La majorité des immigrants restent à Montréal (plus de 80%). On sait que dans les autres régions, on a encore besoin d’immigrants.
Peut-on en conclure, malgré tous ces constats, que le canada est un pays raciste ?
Pour répondre à cette question, sincèrement, je dirais que le Canada n’est pas un pays raciste. Le Québec n’est pas un pays raciste. Même s’il y a du racisme, à l’intérieur de la société. Parce qu’il y a une nuance. Le Québec était la première province à se doter d’une politique en matière de lutte contre la discrimination : il faut saluer le courage politique du gouvernement libéral provincial à ce sujet. Mme Yolande James, députée de Nelligan et adjointe parlementaire à la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, assurait la présidence du Groupe de travail, sur la participation à la société québécoise des communautés noires. Un document préparatoire qui servait de cadre de réflexion à la commission parlementaire. Le gouvernement s’était rendu compte également qu’il y avait des immigrants d’origine maghrébine qui se servaient de nom d’emprunt Tremblay, par exemple, dans le but d’intégrer facilement le marché de l’emploi. Mais, cela ne veut pas dire que c’est toute la société qui est comme ça. Oui, il y a certains employeurs qui sont plus à l’aise de travailler avec des gens qui leur ressemblent culturellement. Mais, en même temps, le Canada s’est doté d’un dispositif juridique pour pouvoir lutter contre la discrimination. Et, je pourrais vous dire aussi que le racisme n’est pas l’apanage des blancs. Parce qu’à l’intérieur même des communautés ethnoculturelles, il y a du racisme.
Terminons par le communautarisme que vous avez évoqué. On a l’impression qu’il se développe de plus en plus avec ses imperfections ?
Effectivement, c’est un danger. C’est pourquoi dans la thèse de mon prochain livre, je dis qu’il faut la conciliation de deux éléments : oui : il y a la question de l’intégration socioéconomique, qui est importante pour les immigrants, mais aussi celle liée à l’identité qui est importante pour les Québécois. Et, si par exemple, les gens se regroupent, si on fait une juxtaposition des communautés, les unes sur les autres, ça finira par poser la question de la ghettoïsation. Dans notre culture, nous Sénégalais, on nous dit qu’il faut qu’on s’ouvre vers les autres ; et d’ailleurs même au Sénégal, il y a surtout une certaine diversité ethnoculturelle qui fait qu’on a tendance à aller vers les autres sans attendre qu’ils fassent le premier geste. Et si on vient dans cette société et on reste entre nous, cela ne présente aucun intérêt pour le pays d’accueil. Pourquoi pas ne pas rester chez nous simplement ? C’est pourquoi, je préfère plus la notion d’interculturalité à celle de multicultarité. Je suis contre le multicultarisme absolutisé. Cette deuxième notion veut dire tout simplement que les communautés ethniques peuvent vivre les unes à côté des autres, une conception trudeauiste (l'ancien Premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau est considéré comme le père du multiculturalisme canadien).
Entrevue de Doudou SOW avec Mame Aly Konté, journaliste scientifique à Sud Quoti
«Le Québec est dans une situation problématique où il lutte aussi pour sa survie
Tribune libre
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Sociologue de formation, spécialisé en Travail et organisations, l’auteur
est actuellement conseiller en emploi pour le projet Mentorat
Québec-Pluriel au Carrefour jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé
(Montréal-Nord).
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