Éloge de la traîtrise

Tribune libre

L'éditorial de Michel Kelly-Gagnon, [Non à l’étouffement !->3498]
La Presse - vendredi 29 décembre 2006, aurait pu aussi bien s'intituler l'éloge de la traîtise.

En effet, il prend comme exemple à suivre pour nos entrepreneurs, rien de moins que Médard Chouart Des Groseillers, qui s'est fait mettre en prison par le gouverneur pour contrebande de pelleteries, puis avec son associé, va convaincre l'Angleterre de leur confier une Charte de monopole commerciale pour la traite par comptoirs dans le bassin de la baie d'Hudson. Laquelle entreprise commerciale subsistera dans la chaîne de magasin Zellers.

Comme nos ancêtres coureurs des bois qui prenaient la clé des champs envers et contre la volonté du gouverneur de la colonie, nous sommes férus de liberté, ingénieux, créateurs et entrepreneurs.

Un petit effort de mémoire m'est sans doute nécessaire, mais les Français n'avaient pas le droit de courir les bois pour les fourrures. C'était un privilège laissé à leurs alliés amérindiens. L'habitant devait cultiver son lopin de terre. Il y avait infraction à répétition aux traités conclus. Et Des Groseilliers n'était pas discret, alors le gouverneur se devait de sévir. Se lancer dans les comptoirs de traite dans la Baie d'Hudson, c'était disposer des ressources difficilement sécurisables à la portée de cannonières anglaises. Les hommes sur place ne pourraient cultiver la terre et vivre autarciquement. La dépendance envers la métropole étant trop forte, il n'y avait pas d'intérêt à développer les territoires nordiques, ni à y susciter la convoitise. D'ailleurs, les comptoirs britanniques de la Baie d'Hudson furent facilement capturés par Pierre Lemoyne d'Iberville, ce qui justifira le raisonnement du gouverneur de l'époque.

On peut répondre que, même si illégale, la chasse par les Français furent encouragé clandestinement par certains gouverneurs, notamment Louis Buade de Frontenac. Lequel Frontenac aurait répondu à la Cour Royale, que seulement au plus une dizaine d'Habitants s'y adonneraient et que les rumeurs sur des centaines, voire des milliers de coureurs des bois n'était que de la calomnie . Évidemment, notre Frontenac national est proche de nombre de nos politiciens actuels : Il est arrivé en poste surendetté et a finalement quitté avec le pécule bien regarni.

Alors, si l'on suit le discours du président du Conseil du Patronat du Québec, on devrait laisser libre cours au trafic des stupéfiants et à la prostitution en autant qu'aucune gang ou corporation ne s'élève au statut de monopole économique. Ou encore, nos soldats en Afghanistan devraient avoir le droit, entre deux combats, de vendre armes, munitions et renseignements aux Talibans, en échange de fleurs de pavot qu'ils pourront importer au Canada. Ou nos scientifiques nucléaires devraient être libre de revendre la technologie CANDU à l'Iran et la Corée du Nord.

Le point faible de son raisonnement est justement la réussite de la Hudson's Bay comme monopole commerciale qui chercha à étouffer la compétition (principalement celle du Nord-Ouest) et qui s'imposa comme un empire dans l'Ouest et le Nord. De même, toute corporation laissée à elle-même et qui s'impose au point d'influer sur les règles devient en quelque sorte un empire commercial étouffant les petits entrepreneurs qu'elle ne peut asservir. De même, les gangs criminels s'unissent pour former des cartels et se délimitent des territoires respectifs tout en bloquant les nouveaux joueurs.

Je ne sais pas pourquoi cette année, le cartel GESCA-Radio-Canada nous ressasse ces histoires de héros canadiens constitués par des gens trahissant leur entourage. Le premier héros fut Étienne Brûlé, un homme de Champlain qui passa au camp des Hurons des Grands Lacs et qui travaillera par la suite pour les Anglais, amenant la prise de Québec par les frères Kirk. Puis Radisson fera de même en amenant les Anglais dans la Baie d'Hudson et en épousant la nièce des Kirk. Et j'oublie le nom d'un métis qui trahira le Sieur de Cadillac en vendant d'abord ses peaux aux Anglais d'Albany, puis des renseignements sur les éléments de défense des comptoirs français dans les Grands Lacs. Y aurait-il des blasons de traîtres à redorer chez GESCA et dans la Société Radiocanadienne?


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 janvier 2007

    Comme j'écrivais, c'est ce que selom ma mémoire permettait.
    J'ai lu su Internet que les associés Radisson et DesGroseilliers se sont fait confisquer leurs fourrures et emprisonnés par qu'ils n'avaient pas de permis de chasse ou de traite de fourrures.
    Il faut mettre une perspective historique. Si on suit la logique économique, la société de la Nouvelle-France aurait intérêt à diversifier ses sources de traites pour maintenir son approvisionnement et pour faire baisser les prix chez ses fournisseurs amérindiens, voir couper dans la sous-traitance en envoyant les Habitants faire de la trappe. Et c'est un peu ce que fit Frontenac.
    Mais il y a l'autre logique. La logique stratégique. La Nouvelle-France devait prendre une expension vers le Sud plus chaleureux. Elle avait besoin du concours des Amérindiens de ce secteur dans un réseau d'alliances qui surpasserait ceux de la Nouvelle-Angleterre, de la Nouvelle-Hollande (la Nouvelle-York d'aujourd'hui) et du Delaware suédois. Une façon de monnayer les alliances est dans les rapports commerciaux en surévaluant la valeur des peaux. Cela n'a pas d'importance si on peut revendre à fort prix, tel un cartel.
    La fatigue de la guerre et les intérêts commerciaux ont incités les tribus des Grands Lacs, de l'Ohio et des territoires plus éloignés à signer la Grande Paix de Montréal en 1701. Ce qui permit l'expansion vers le Mississipi et l'établissement de la colonie de la Louisiane par Pierre LeMoyne d'Iberville.
    Les colonies anglaises avaient auparavant annexé la Nouvelle-Hollande et le Delaware (Charles II, soudoyé par Louis XIV, avait rompu la Triple Alliance avec la Hollande et la Suède). Les débouchés s'amenuisaient pour les tribus indiennes. Et l'ouverture des comptoirs de la Baie d'Hudson créait une pression baissière sur le prix des fourrures du côté anglais. Les différentes tribus au sud des Grands Lacs alignèrent leurs intérêts sur une paix et une alliance avec les Français qui achetaient à plus haut prix leurs fourrures. Ils n'avaient pas l'intérêt de voir partir le dernier compétiteur de l'Angleterre.
    Finalement, les Anglais comprendront la leçon et payèrent plus cher les peaux durant la Guerre de Sept Ans pour rompre les alliances françaises dans le sud des Grands Lacs, ce qui dégarnira les rangs français après 1758 et nombres de forts durent être abandonnés.
    La chute de la Nouvelle-France s'accompagnera de la chute des cours de la fourrure. Et les colons américains se faisait déjà distribuer des terres dans l'Ohio. Ces évènements mèneront les tribus des Grands Lacs à se soulever avec Pontiac contre le vainqueur britannique et dans l'espoir d'un retour des Français, en vain.

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    31 décembre 2006

    Oh que voilà d`éclairantes et délicieuses précisions historiques...!
    Merci !
    Et TRÈS BONNE ANNÉE dansle "PARADIS" d`un PAYS avant la fin de nos jours.
    Georges-Étienne Cartier