Échange père-fils sur un Québec qui change

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Inquiétant !

À quoi s’identifient les jeunes Québécois, quelle place donnent-ils à la langue, aux valeurs communes ? Entre élans locaux et mouvements mondiaux, Le Devoir raconte une jeunesse qui s’engage autrement, comme l’illustre cette conversation intergénérationnelle entre Dominic Champagne et son fils Jules. Si leurs coeurs battent à l’unisson, leurs yeux, eux, ne voient pas le même horizon.
Ils ont à peu près la même taille et portent chacun un sac à dos jeté sur l’épaule. En regardant vite fait, on pourrait presque se demander lequel est le père et lequel est le fils. En risquant fort de se tromper, puisque le plus sage des deux n’est pas le plus vieux. « Mon fils est bien plus posé que moi. C’est mon idole ! » lance tout sourire l’auteur et metteur en scène Dominic Champagne en parlant de l’aîné de ses trois garçons, Jules, âgé de 27 ans.

À l’ombre de l’Opéra de Montréal, où le père travaille sur la version lyrique de The Wall, les deux hommes discutent identité, langue, politique, culture et souveraineté, vastes sujets qu’on leur livre en pâture. Dans une conversation empreinte de respect, leurs visions divergent et se complètent. Lorsqu’il ne gesticule pas avec fougue, Dominic est d’une grande écoute, comme curieux de savoir ce que pense véritablement son fils. À son tour, Jules laisse patiemment parler son père, rit de ses blagues et, par moments, lève les yeux au ciel.

Vingt-six ans séparent le père et le fils, mais aussi deux époques. Le premier, « un enfant de René Lévesque » qui se dit l’« héritier d’un projet manqué », avait 17 ans au référendum de 1980. « J’ai plus été le contemporain de la désillusion, de l’effondrement de cette utopie. » À 27 ans, l’âge qu’a aujourd’hui son fils, Dominic Champagne venait justement de voir naître Jules. Plongé dans le théâtre, il travaillait sur La cité interdite, une pièce portant sur le FLQ qui marquait les 20 ans de la crise d’Octobre, tout en donnant des charges de cours et en écrivant pour la télé.

À quelques printemps de la trentaine, la vie de Jules est tout autre. Le jeune avocat qui sera assermenté sous peu est trilingue, a deux baccalauréats, l’un en science politique et l’autre en droit, et termine un stage au Centre québécois du droit de l’environnement. Il a voyagé et étudié à l’étranger, notamment en Espagne, et a connu l’effervescence et le tintamarre des casseroles du printemps 2012. « Je suis plus conservateur dans mes choix, j’ai certainement pris moins de risques que mon père », constate le jeune homme.

L’âme québécoise

On leur pose, d’emblée, une question toute simple : si vous croisez un étranger en voyage, comment lui expliquez-vous en quelques mots ce qu’est un Québécois ?

« Je dis toujours qu’on est le petit village d’irréductibles au nord du continent », répond Dominic Champagne tout de go. Il s’étonne et se dit fier à la fois de faire partie de cette « petite mafia canadienne-française » qui fait rouler une partie des affaires à Las Vegas. « On est des Nord-Américains, mais on est une entité distincte et un petit peuple. J’ai envie de croire qu’on serait quelque chose comme un grand peuple… mais cette flamme-là est vacillante. »

Jules réfléchit, semble un peu dépassé. « Je ne serais pas à l’aise de parler au nom des miens. Je ne sais pas c’est quoi, l’âme québécoise, l’identité québécoise. C’était très imprécis. Je ne sais même pas si c’est descriptible », dit celui qui admet avoir plus de facilité à s’identifier à Montréal. « Il y a une telle diversité et des contradictions qui font en sorte que c’est très difficile » de cerner ce qu’est un Québécois.

Pour le jeune avocat, qui est né et a vécu dans le même quartier toute sa vie, l’identité culturelle est une question complexe et délicate. « Je ne sais pas comment la souveraineté étatique pourrait être un véhicule pour porter notre identité culturelle. Je ne vois pas comment ça pourrait fonctionner », admet-il. Pour son père, fils d’un sous-ministre qui, en 1974, a racheté l’île d’Anticosti à travers le gouvernement afin de la redonner aux Québécois, « l’État » n’est pas une structure rebutante.

Souveraineté du territoire

Mais d’autres arguments existent en faveur du grand projet de nation. Pour Jules, c’est dans la lutte environnementale qu’il y a un « besoin immense » de souveraineté. « Le Canada, en tant que conception étatique étrange, c’est quelque chose qui peut encore susciter des débats et un désir de souveraineté, dit-il. Pourquoi devrait-on souffrir les contraintes que le Canada nous impose en environnement et en quoi ça devrait supplanter le propre contrôle qu’on veut nous-mêmes exercer sur notre territoire ? »

Sur ce point, Dominic — qui a beaucoup porté la lutte contre les gaz de schiste — rejoint son fils. Les deux se sont d’ailleurs alliés pour réaliser le documentaire Anticosti. La chasse au pétrole extrême. « Dans ce combat-là, j’ai sûrement retrouvé un sentiment d’appartenance que je n’avais jamais vécu de mon vivant, que l’idéal de la souveraineté et les combats pour la langue ne m’avaient pas donné. Tout à coup, je me suis mis à mener des combats où je me suis senti lié au sculpteur, au producteur maraîcher, à l’électricien, juste parce qu’on est dans le même terreau commun, parce qu’il y a une gazière qui débarque et qu’on a une cause commune. » Pas besoin, selon le metteur en scène, de prononcer le mot indépendance pour se réclamer de cet idéal. « La vision de la souveraineté qui est “je suis celui qui occupe le territoire”, je l’ai toujours plus défendue que l’indépendance du Québec, dit-il. Ça me fait plaisir qu’il y ait un “nous” qui peut exister, qui transcende le “nous” patriotique qui nous a portés. »
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