Katia Gagnon et Denis Lessard -
Journaliste un jour, politicien le lendemain. Pour Bernard Drainville, la transmutation ne pose pas problème. Pour ses ex-collègues, les avis diffèrent. Et les questions s'empilent. Décision mûrie ou spontanée?
Dès la semaine dernière, l'ex-premier ministre Jacques Parizeau a offert au journaliste Bernard Drainville de se présenter pour le Parti québécois. Pendant trois jours, le journaliste a réfléchi à l'offre, puis l'a déclinée. Une seconde offre, venue mardi dernier, l'a finalement décidé à faire le saut dans la circonscription de Marie-Victorin.
Entre les deux offres, affirme M. Drainville, «la page était tournée, la cloison entre le journalisme et la politique se referme». Et lorsqu'il réalise une entrevue avec André Boisclair, le samedi, «j'arrive en journaliste, je redeviens journaliste et je fais mon job de journaliste», plaide-t-il. «Il a joué son rôle de chef de l'opposition et j'ai joué mon rôle de journaliste.» Pourtant, pas plus tard que la veille, le journaliste avait annoncé au téléphone au chef péquiste qu'il ne porterait pas les couleurs du Parti québécois.
Radio-Canada a d'ailleurs diffusé hier un échange entre Bernard Drainville et André Boisclair, enregistré juste avant que l'entrevue ne commence. L'atmosphère est manifestement détendue. «Six diffusions, cette entrevue-là. C'est payant. Il faut que tu sois bon», dit M. Drainville. Hier, le chef péquiste n'accompagnait pas sa nouvelle recrue dans sa première rencontre avec la presse.
Première offre : dans Joliette
Mais où le Parti québécois, lors de cette première offre, lui offrait-il de se présenter? Deux sources indiquent qu'il s'agissait de la circonscription de Joliette. Et l'investiture n'y était pas gagnée, puisque le frère du chef bloquiste Gilles Duceppe, Claude, veut y être candidat.
Bernard Drainville n'a pas voulu confirmer ces informations. Du mercredi au vendredi, pendant qu'il réfléchissait à cette première offre, il indique s'être volontairement retiré des ondes, sans cependant informer ses patrons, à Radio-Canada, qu'il songeait à se lancer en politique.
Sur le site Web de la société d'État, en date du mercredi, le journaliste pondait une analyse dans les carnets de Radio-Canada. «Il serait dommage que les électeurs se détournent du Parti québécois avant même que les élections soient déclenchées. Tout ça parce que le chef et aspirant premier ministre est contesté de l'intérieur», écrivait-il.
Un oui après
Bernard Drainville soutient que son premier refus ne visait pas à faire monter les enchères pour obtenir une circonscription plus calme. Pourquoi, donc, a-t-il dit oui la deuxième fois? «Essentiellement, ça tient à Cécile Vermette. Elle a pris la décision de ne pas se représenter. Elle était prête à être à mes côtés», explique-t-il. «Je ne peux rien contre les apparences. Ils sont arrivés avec une deuxième proposition et je l'ai acceptée», se défend-il.
Pourtant, au moment où il couvrait la conférence des présidents péquistes, Bernard Drainville avait tout de même pris la peine de demander à son collègue Sébastien Bovet s'il pourrait, en catastrophe, faire à sa place l'entrevue avec André Boisclair.
S'il n'attendait pas d'autre offre, pourquoi cette demande? «Je sortais d'un dilemme éthique. Si je me retrouvais avec un autre dilemme éthique, j'avais Sébastien sous la main, prêt à réaliser cette entrevue.»
Jour 1 de candidat
Le journaliste rêvait depuis longtemps de faire de la politique. Il avoue d'ailleurs avoir été approché par l'équipe de Paul Martin en 2004, une offre qu'il avait refusée. Mais on ne peut pas dire que la première journée du candidat Drainville de l'autre côté du micro ait été facile. Il a été la cible d'attaques virulentes de la part de ses nouveaux adversaires, tout au cours de la journée.
«Vous avez quelqu'un qui se représente comme un journaliste objectif, il sait très bien qu'il s'en va faire une entrevue avec son chef de parti éventuel. C'est de la manipulation de l'information, c'est de l'hypocrisie, et c'est du manque de loyauté», a lancé le vice-premier ministre Jacques Dupuis.
Jean Charest, lui, s'en est plutôt pris au manque de jugement du chef péquiste. «Je constate qu'André Boisclair se place en situation d'entrevue avec une personne avec qui il négocie une candidature. Et là-dessus, je pense qu'on doit se questionner sur son jugement.»
Croisé dans un couloir de l'Assemblée nationale, le chef du Parti québécois, André Boisclair, a refusé catégoriquement de répondre aux questions de La Presse sur le sujet.» Je n'ai pas le temps de vous parler», a-t-il lancé.
La leader parlementaire du PQ, Diane Lemieux, a affirmé que «les adversaires politiques sont jaloux et envieux. C'est une excellente candidature».
Pour le chef de l'ADQ, Mario Dumont, l'ex-journaliste Drainville s'est livré à «une comédie» avec ses explications d'hier. «Avec Pierre Curzi, André Boisclair et Bernard Drainville, on a trois excellents comédiens.» Le chef du Parti québécois s'est prêté à une comédie dimanche, «il avait devant lui quelqu'un à qui il avait ou allait faire une offre... il savait qu'il avait devant lui un candidat potentiel du PQ, et s'est livré à une bizarre entrevue difficilement acceptable pour les Québécois», a dit M. Dumont.
«C'est un manque de jugement de la part de M. Boisclair. Là il profite d'un manquement à l'éthique. C'est le fun la journée où cela joue pour toi, mais une fois qu'ils sont dans l'équipe, c'est une question de temps avant que cela ne se retourne vers toi», a commenté le chef de l'ADQ.
Selon lui, les gens sont «assez unanimes pour dire que les journalistes peuvent avoir le droit de se lancer sur la scène publique. Mais quand on compte en heures le moment où vous avez le chapeau de journaliste et celui de candidat pour un parti politique... Je comprends que les gens puissent avoir des cloisons étanches dans leur coeur ou dans leur tête, mais c'est difficile à accepter pour le commun des mortels».
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