Deux cent soixante-dix victimes libanaises, 25 victimes israéliennes: voici le bilan de la première semaine d'affrontements opposant l'armée israélienne au Hezbollah libanais. S'il est inutile de rappeler les faits, il est important de souligner que leur interprétation ne fait pas unanimité. S'il y a eu provocation du Hezbollah qui a franchi la frontière internationale la semaine dernière dans une opération qui s'est soldée par la capture de deux soldats israéliens, les supporters du mouvement chiite estiment l'opération justifiée eu égard au contentieux entourant les fermes de Chebaa, ce lopin de terre que le Liban réclame comme sien et dont Israël ne s'est pas retiré.
Si le droit d'Israël à se défendre est fermement établi au regard du droit international, l'ampleur de la riposte ne fait pas l'unanimité. Alors que la secrétaire d'État américaine Condoleeza Rice appelait Israël à faire preuve de retenue, les gouvernements français et russe condamnaient une réponse « disproportionnée » alors que le gouvernement libanais parlait d'une agression « barbare » et déclarait le pays « zone sinistrée ».
Et le Canada? La réponse du premier ministre Harper est claire. Israël a non seulement le droit de se défendre mais sa riposte serait « mesurée ». La position du premier ministre a suscité de vives réactions dans la communauté canado-libanaise. Elle est d'autant plus difficile à comprendre à la lueur de la catastrophe qui a frappé une famille montréalaise dont sept membres ont péri dans le bombardement d'un village frontalier du Sud-Liban et du refus du premier ministre de revenir sur ses propos.
Monsieur Harper, nous le savons, est avant tout un conservateur proche de la droite américaine. Fervent supporter de la lutte contre le terrorisme, il avait condamné la position du gouvernement Chrétien lors de la guerre en Irak, souhaitant une implication plus soutenue aux côtés du gouvernement américain sur ce terrain comme d'ailleurs sur d'autres. Il a récemment réussi un coup de force sur la question du déploiement des troupes canadiennes en Afghanistan. Pour lui, le Hezbollah n'est qu'un mouvement terroriste et son éradication est donc souhaitable. En ce sens, il rejoint les objectifs déclarés du gouvernement israélien.
Mais à quel prix? Si Israël a de bonnes raisons de vouloir régler son compte au Hezbollah qui est le seul mouvement à pouvoir se targuer l'avoir mis en échec pendant la longue occupation du Liban-Sud, le gouvernement canadien a-t-il des raisons également valables de durcir le ton ainsi? Le Canada, nous le savons bien, est aujourd'hui aux prises avec une première instance présumée de menaces terroristes contre son territoire. En effet, le démantèlement et l'arrestation en juin dernier de 17 suspects à Toronto pourraient avoir contribué à la décision du premier ministre Harper au côté de ses convictions idéologiques. Il n'empêche que cette position intransigeante détonne pour un pays qui s'est historiquement distingué pour sa position de médiateur et qui avait la confiance de plusieurs dans le monde arabe.
Outre les conséquences pour les relations entre le gouvernement Harper et la communauté canado-libanaise, ce virage sans équivoque a de plus larges répercussions sur la politique étrangère du Canada. Le gouvernement de M. Harper s'intéresse aux États faibles et effondrés. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a d'ailleurs récemment établi un Fonds pour la paix et la sécurité mondiale de même qu'un Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction (GTSR). Ces nouveaux organes de politique étrangère s'appuient notamment sur les positions canadiennes exprimées dans le rapport de l'ONU sur la responsabilité de protéger, rapport qui avait été élaboré avec la participation active du Canada.
« La responsabilité de protéger »
« La Responsabilité de Protéger » entérine le principe de la souveraineté responsable. Seul un État qui veut et peut défendre sa population a droit à l'exercice de la souveraineté. Tout État qui faillit à ses obligations révoque sa souveraineté et devient susceptible d'interventions internationales au nom de la sécurité des populations. C'est ici que le bât blesse. En effet, l'État libanais n'a pas pu, d'uns diront voulu, assumer sa souveraineté et désarmer le Hezbollah conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU. Tout le monde, y compris Israël, s'accorde à qualifier le gouvernement libanais de faible.
Mais le coeur même du principe de la « Responsabilité de protéger » est aujourd'hui remis en question par la position canadienne. Celle-ci a pour objectif de permettre à la communauté internationale d'intervenir pour éviter des crises humanitaires là où un gouvernement souverain est impuissant. Elle n'a pas pour but de permettre des interventions militaires musclées qui annihilent un pays au nom de l'incapacité de son gouvernement. Si les gouvernements britannique et français respectent l'esprit de cette norme émergente en appelant au déploiement d'une force internationale au Liban, le Canada, promoteur de son adoption, y déroge en appuyant inconditionnellement la réaction d'Israël. De quoi s'inquiéter pour notre image et pour la crédibilité de l'intervention canadienne dans les zones de crise.
Canadienne d'origine libanaise l'auteure est professeure de science politique à l'Université de Montréal et directrice scientifique du Réseau Moyen-Orient du CÉRIUM.
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