Dieudonné interdit

Le Conseil d’État français a tranché: le spectacle Le mur n’a pas pu être présenté à Nantes

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Une affaire qui n'a pas fini de rebondir

Paris — Après une semaine de polémique et un véritable imbroglio juridique, le spectacle de Dieudonné intitulé Le mur qui devait inaugurer la nouvelle tournée de l’humoriste a finalement été interdit jeudi à Nantes. Les 5000 spectateurs réunis devant le Zénith ont accueilli la nouvelle avec colère et des huées, mais se sont dispersés calmement en fin de soirée. L’artiste leur a d’ailleurs enjoint de rester calmes. « Ils cherchent l’affrontement physique, donc rentrez chez vous en chantant La Marseillaise ! », a-t-il affiché sur sa page Facebook. Malgré les tensions palpables, la police n’a pas eu à déplorer d’incident.

Il faut dire que l’émotion était à son comble après que, quelques heures plus tôt, le tribunal administratif de la ville eut annulé l’interdiction décrétée par le préfet en application des directives du ministre de l’Intérieur. À quelques heures du spectacle, le Conseil d’État saisi par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls et exceptionnellement réuni d’urgence a in extremis validé l’interdiction en moins de deux heures de délibérations. Le plus haut tribunal du pays a jugé que, même si l’avocat de Dieudonné avait annoncé que certains passages jugés litigieux seraient retirés du spectacle, les risques de trouble à l’ordre public et d’atteinte à la dignité humaine demeuraient trop importants.

Très contestée juridiquement, cette interdiction est cependant considérée comme une victoire politique décisive de Manuel Valls qui était depuis une semaine littéralement parti en guerre contre l’humoriste plusieurs fois condamné pour ses propos antisémites. « La République a gagné, a déclaré le ministre. […] On ne peut pas tolérer la haine de l’autre, le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme, ce n’est pas possible, ce n’est pas ça, la France. » Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a estimé que « nous ne pouvons pas accepter que, dans notre société, il y ait la moindre complaisance avec l’antisémitisme, totalement étranger à nos valeurs et à nos principes ».

« Aucun républicain ne peut se satisfaire qu’un professionnel du racisme, de l’antisémitisme et de la haine continue à bénéficier d’une telle tribune », a renchéri le secrétaire de l’UMP, Jean-François Copé.

Une décision contestée

Malgré cette apparente unité politique des deux principales formations politiques françaises, cette décision exceptionnelle du Conseil d’État prise par le seul juge Bernard Stirn est loin de faire l’unanimité, même chez les socialistes. La veille, la position de Manuel Valls entérinée jeudi par le Conseil d’État avait été désavouée par les deux juristes et anciens ministres socialistes Pierre Joxe et Jack Lang. Il faut dire qu’elle va à l’encontre de toute la jurisprudence puisque, ces dernières années, les tribunaux ont déjà annulé 15 interdictions de spectacles semblables et même forcé la ville de La Rochelle à verser 40 000 euros de dommages à Dieudonné à cause d’une annulation. Le Conseil crée donc une toute nouvelle jurisprudence.

Surpris que le plus haut tribunal du pays puisse se réunir en moins de trois heures et prendre une décision aussi rapidement, le président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Pierre Tartakowsky, a déclaré à l’Agence France-Presse que cette décision instaure un « cadre juridique lourd de conséquences pour la liberté d’expression ». Selon lui, « le juge n’a pas fait prévaloir la liberté d’expression sur l’interdit et c’est une décision qui est lourde de périls. […] On se trompe en pensant qu’on va régler la question à partir d’interdiction strictement juridique ». Créée lors de l’affaire Dreyfus, la LDH a toujours refusé les interdictions préalables de réunion au nom de la liberté d’expression. L’un de ses avocats, Agnès Tricoire, parle même d’un « coup politique ».

Nombreux sont ceux qui estiment que cette décision ne fera qu’augmenter le capital de sympathie d’un personnage dont l’antisémitisme ne fait pourtant plus aucun doute en France. Un sondage réalisé cette semaine révélait que 64 % des Français considéraient que l’interdiction n’était pas la bonne méthode pour combattre l’antisémitisme.

Et Internet…

Selon plusieurs juristes, les interdictions déjà annoncées à Bordeaux, Tours, Orléans et Marseille seront ainsi totalement validées. Le jugement pourrait peut-être même justifier l’interdiction du site Internet de l’humoriste. La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a d’ailleurs affirmé qu’elle n’excluait pas d’en « appeler à la responsabilité » de YouTube et DailyMotion pour interdire la diffusion sur Internet des vidéos de Dieudonné, dont certains datent pourtant de nombreuses années. On sait aussi que la Ville de Paris cherche à faire annuler le bail de son théâtre, La Main d’or. Les services fiscaux enquêtent de plus sur une éventuelle évasion fiscale vers le Cameroun, pays d’origine de son père.

Le seul recours possible pour l’humoriste reste maintenant la Cour européenne des droits de l’homme, une démarche qui peut demander de trois à cinq ans. Rien n’empêcherait cependant l’humoriste de créer un spectacle différent de celui qu’il interprétait jusque-là à Paris depuis le mois de juin sans que la justice s’en mêle. Dieudonné a annoncé qu’il rendrait publique une vidéo ce vendredi sur son compte YouTube. Plus que jamais, Manuel Valls semble devenu l’homme fort des socialistes.


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