Départ de Moubarak - La mutation

Géopolitique — Proche-Orient


Le départ de Hosni Moubarak est le symbole d'une mutation: ce qui était une révolte est maintenant une révolution. Le changement de régime qu'il a induit, l'assurance formulée par les militaires que l'aspiration démocratique du peuple égyptien serait respectée permettent d'avancer que le printemps arabe est désormais à l'horizon. L'horizon du court terme.
Amorcé le 25 janvier dernier par deux mouvements laïques, le soulèvement des Égyptiens vient d'atteindre son premier point d'orgue: Moubarak a démissionné. En fait, si l'on en croit des conseillers de la Maison-Blanche, leurs homologues égyptiens leur ont assuré qu'il avait été... «démissionné» par l'armée. Ce scénario semble d'autant plus en phase avec l'évolution des événements que, tandis que les membres du gouvernement se livraient avant-hier à une valse-hésitation, les bonzes de l'état-major se réunissaient d'urgence. Simultanément, les sous-officiers et les sans-grade poursuivaient l'expansion, au sens le plus géographique du terme, du contrôle de toutes les villes du pays.
Toujours est-il qu'à la suite des basculements observés au cours des dernières heures, l'armée a les rênes du pouvoir entre les mains. Signe de son emprise, le numéro 2 du régime, nommé par Moubarak il y a une quinzaine, soit Omar Souleimane, a été écarté du premier cercle. Quoi d'autre? L'article constitutionnel afférent à la passation du pouvoir a été relégué au statut de fiction, de légende.
Dans une allocution succincte, le général des généraux a indiqué que les revendications du peuple étaient au rendez-vous de la gestion des affaires au cours des prochains mois. Qu'il y aura donc des discussions, voire des négociations, avec les représentants des divers courants qui ont animé la fronde des dernières semaines, une révision de la Constitution et l'organisation, après coup, d'élections libres. Le tout devrait être précédé dans les prochains jours par la levée de la loi d'urgence que réclame à cor et à cri la rue égyptienne.
Jusqu'à présent, l'armée a revêtu le costume de la neutralité. Va-t-elle le conserver? Rien n'est moins sûr. Si les promesses faites deviennent réalité, alors on va assister à un remodelage, à un partage des pouvoirs affaiblissant ceux de la présidence au profit de l'assemblée. On va assister à la confection d'un gouvernement composé de civils qui tôt ou tard sera confronté à un rapport de force musclé avec les militaires. Ces derniers, il faut le souligner deux fois plutôt qu'une, ont des intérêts significatifs à défendre.
Qu'on y songe: sur le flanc économique, l'armée est propriétaire d'Egyptian Air, de chaînes d'hôtels, de vêtements, d'alimentation, elle détient le monopole de la distribution du gaz, etc. En un mot, dans les affaires de l'argent, du fric, son poids oscille, bon an, mal an, entre 10 % et 20 % du PIB. Dans un cas comme dans l'autre, c'est énorme. Cette prépondérance laisse entrevoir des pourparlers rugueux avec la société civile égyptienne bien avant la communication des résultats de l'élection, si élection il y a.
On le sait, l'armée mise à part, les Frères musulmans s'avèrent le groupe le mieux organisé et le plus apprécié du pays grâce au travail effectué depuis des années en matière de santé, d'éducation, de formation syndicale et d'autres sphères sociales. Ici et là, on postule que les Frères pourraient récolter environ 40 % des votes lors d'un scrutin réalisé selon les règles de l'art. En Occident, bien des voix se sont élevées pour crier au danger. Lequel? Qu'à l'instar de l'Iran il y a 31 ans, on assiste à l'émergence d'une république islamique. C'est aussi court...
C'est aussi court que malhonnête. Tracer la diagonale entre Téhéran et Le Caire, c'est nier les dissonances, dans certains cas énormes, qu'il y a entre le chiisme et le sunnisme. Autant le premier a une structure verticale, très hiérarchisée, autant le deuxième est travaillé par quatre écoles juridiques et théologiques souvent en concurrence entre elles. En Égypte, l'école chafiite a plus d'ascendant que les autres. Et alors? À la différence de certaines d'entre elles, elle reconnaît l'importance du raisonnement et de la déduction.
Cela étant, sur un plan plus terre à terre, confondre Le Caire avec Téhéran, c'est omettre qu'aux yeux des Égyptiens la mainmise des ayatollahs pendant 31 ans, on le répète, a valeur d'exemple. Prétendre que ce qui a cours aujourd'hui en Égypte est un écho à ce qui s'est passé en Iran revient à faire l'illustration de l'adage qui enseigne que comparaison n'est pas raison. Faut-il le rappeler, quand l'histoire se répète, elle se répète autrement.


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