De hockey et de dérives identitaires

Il est vrai que le CH ne compte pas beaucoup de joueurs québécois dans son alignement, et c'est bien dommage.

Le Devoir se paye un pratte-track


Rémi Bourget - Montréal - Décidément, il est temps que le hockey recommence. À l'aube du camp d'entraînement du CH, toute l'attention médiatique semble se porter uniquement sur un projet de Colisée-jouet pour milliardaire financé à même nos taxes d'un côté et sur un complot fédéraliste mené par le club de hockey Canadiens contre les joueurs de hockey québécois et, par extension, l'identité québécoise et la langue française. Les médias résolvent cette équation par le raccourci simpliste selon lequel les deniers publics investis dans le retour des Nordiques forceront le CH à «respecter» sa clientèle et à embaucher plus de joueurs québécois.
En moins d'une semaine, Pierre Curzi, Jean-François Lisée et Pauline Marois ont énoncé, avec tout le sérieux du monde, des opinions sur le hockey frisant le délire identitaire. Venant de M. Curzi, nous ne sommes guère surpris. Mais M. Lisée et Mme Marois nous avaient habitués à plus de rigueur.
En moins d'une semaine, donc, Pierre Curzi dénonçait un complot fédéraliste orchestré par la méchante famille Molson — des Anglos faut-il le rappeler — ayant pour but d'usurper l'identité québécoise en épurant le CH de ses joueurs francophones. Jean-François Lisée, lui, parlait d'obliger le CH à rendre des comptes sur le choix de son alignement au bureau du premier ministre (!), rien de moins. Quant à Pauline Marois, elle soutenait que le CH faisait la promotion du fédéralisme en confinant ses joueurs québécois à des postes de deuxième ordre, l'équivalent en hockey du sempiternel porteur d'eau. Non mais, quel délire!
Il est vrai que le CH ne compte pas beaucoup de joueurs québécois dans son alignement, et c'est bien dommage. Cependant, le propriétaire et président de l'équipe s'exprime dans un excellent français, le directeur général et l'entraîneur-chef sont francophones, le premier choix au repêchage de 2009, Louis Leblanc, est Québécois.
Également, le camp des recrues qui s'ouvre cette semaine compte une douzaine de joueurs québécois sur une trentaine de joueurs au total. Récemment, le CH a été le seul à donner une chance à certains joueurs francophones se retrouvant sans travail une fois la saison commencée, boudés par les autres équipes de la ligue nationale, pensons aux Marc-André Bergeron, Steve Bégin, Mathieu Darche et Patrice Brisebois. Quant aux entraîneurs, le CH fut la porte d'entrée dans la ligue nationale pour des hommes comme Alain Vigneault, Michel Terrien, Claude Julien et Guy Carbonneau.
La nouvelle réalité de la Ligue nationale est fort complexe et plusieurs facteurs expliquent la quasi-absence de joueurs québécois avec le CH. D'abord, le plafond salarial empêche le CH de se porter acquéreur de joueurs comme Simon Gagné ou Vincent Lecavalier, faute de marge de manoeuvre financière. Ensuite, le hockey québécois souffre de nombreuses carences en matière de développement des joueurs, comme en fait foi l'insuccès presque chronique des équipes québécoises de la LHJMQ à la Coupe Memorial.
Finalement, les hockeyeurs québécois de premier plan boudent systématiquement Montréal comme destination lorsqu'ils atteignent l'autonomie. Martin Lapointe, Daniel Brière et quelques autres n'ont qu'utilisé le CH pour attiser une surenchère d'offres contractuelles. Vincent Lecavalier, Martin St-Louis, Martin Brodeur et Roberto Luongo n'ont pas souhaité atteindre l'autonomie complète et ont préféré s'entendre à long terme avec leur équipe respective plutôt que d'offrir leurs services au CH. À moins que le Lightning, les Devils et les Canucks fassent aussi partie du complot dénoncé par Pierre Curzi...
Vivement le retour du hockey! Lors du parcours inspiré du CH à l'occasion des dernières séries éliminatoires, personne n'avait d'oreille pour ces corbeaux de malheur. La raison étant fort simple, l'équipe du CH était composée d'un nouveau noyau, formé en majorité de joueurs ayant choisi Montréal. Des mercenaires? Sans doute. Mais quand Cammalleri enflammait le filet avec ses 13 buts marqués, quand Halak multipliait les prouesses devant le filet, quand Gill et Gorges sacrifiaient leur corps meurtri pour bloquer les tirs foudroyants des Ovechkin, Malkin, Crosby, Pronger et compagnie, tout le monde se foutait pas mal qu'ils ne parlent pas français.
Quand le CH a accédé au carré d'as pour la première fois en 17 ans ce printemps, toute la ville, toute la province et tout le pays étaient unis derrière eux. Pour une fois, on oubliait toutes ces vieilles chicanes de race, de langue, de religion, pour vibrer à l'unisson au rythme de notre équipe de hockey.
Pour ma part, j'ai bien hâte de revoir cette équipe inspirante sauter sur la glace à nouveau cet automne. Advenant un retour des Nordiques, même si ces derniers comptaient 23 joueurs québécois, je resterais un partisan du CH, mon équipe. Une équipe à l'image de ma ville, composée d'un tas de gens venant des quatre coins du monde, luttant ensemble dans un but commun. Quant aux Curzi, Marois et Lisée, ils pourront toujours continuer de délirer en appliquant au hockey sur glace leur théorie du complot fédéraliste et leur dérive identitaire. Ils ne feront de tort qu'à eux-mêmes.
Il y a près de 60 ans, un intellectuel du nom de Pierre Elliott Trudeau, après une longue réflexion, a pris position (notamment dans son essai intitulé La Nouvelle Trahison des clercs) contre le nationalisme ethnique qu'il considérait comme trop émotif, aveuglant, ne laissant aucune place à la raison. Aujourd'hui, bien malgré eux, avec toute l'absurdité de leur analyse farfelue de la situation des joueurs francophones chez le CH, les Curzi, Marois et Lisée sont en train de donner raison à Trudeau, une fois de plus.
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Rémi Bourget - Montréal


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