Les révélations en cascades des dernières semaines sur les systèmes de collusion, de trafic d'influences, de favoritisme, de patronage et de corruption font ressortir un phénomène troublant : le Québec aurait le plus mauvais réseau routier de l'Amérique du Nord et le plus haut niveau d'imposition et d'endettement des administrations nord-américaines, non pas parce que les Québécois pris individuellement seraient inefficaces économiquement parlant, et moins productifs, mais plutôt parce qu'ils seraient victimes d'un système de corruption et de mauvaise gestion, lequel gonflerait les coûts des services publics, de l'ordre de trente-huit (38) pourcent par rapport à la moyenne canadienne dans certains cas, et abaisserait leur qualité.
En d'autres termes, les Québécois devraient payer plus pour moins, quand ce ne sont pas des viaducs mal construits qui leur tombent dessus et écrasent des automobilistes qui ne se doutent de rien. On aurait là une réponse partielle à des questions laissées sans réponse jusqu'à maintenant, comme celle qui consiste à se demander, par exemple, pourquoi il faut vingt ans au Québec pour construire un hôpital qui ne devrait qu'en prendre quatre, et qui coûtera en bout de ligne de deux à trois fois plus cher qu'ailleurs.
Le problème ne date pas d'aujourd'hui, mais il semble s'être intensifié depuis quelques années. Il faut se rappeler que dans le passé, le Québec avait donné un triste spectacle au monde en construisant un Stade Olympique mal conçu et non fonctionnel, et qui brisa tous les records en coûts de toutes sortes. Ce stade demeure encore aujourd'hui le point de référence mondial du comment ne pas faire en pareilles circonstances. La saga des deux aéroports internationaux de Montréal dysfonctionnels est une autre démonstration que cela fait longtemps que les choses ne tournent pas rond quand il s'agit de planifier de grands projets de construction au Québec, qu'ils soient sous l'égide des gouvernements d'Ottawa ou de Québec.
Les manchettes proclamant à la face du monde que “La mafia est à l'Hôtel de ville” de Montréal ou que le Ministère des Transports du gouvernement du Québec a de facto été privatisé font ressortir un problème de fond, lequel ne pourra pas être solutionné avec quelques enquêtes policières dans les seuls cas de criminalité ouverte. Il s'agit d'un problème systémique si bien ancré dans les mentalités prévalant en certains milieux qu'on a même tendance à nier son existence.
Ainsi, on rapporte que la sous-ministre adjointe au Ministère des Transports du Québec, responsable aux infrastructures et technologies, justifie la délégation de la planification de milliards de dollars d'investissements publics à des firmes privées, lesquelles sont en conflit d'intérêts évident quand vient le temps de soumissionner pour de tels projets, en invoquant « qu'on a besoin de tout le monde pour mettre la main à la pâte... ». N'est-ce pas là la définition même de la collusion, quand des parties présumées être en négociation décident plutôt de former un cartel public-privé ? La question de fond est la suivante: est-ce qu'un ministère peut fonctionner sans devenir une officine des contracteurs et des firmes de génie-conseil avec qui il fait affaires et avec qui il se doit de protéger l'intérêt public en obtenant le meilleur rapport qualité-prix?
En mai 1974, le gouvernement Bourassa avait eu le courage de créer une Commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction (présidée par le juge Robert Cliche, assisté de Brian Mulroney et de Guy Chevrette), alors que la corruption originait alors du monde syndical. Est-ce que le gouvernement Charest aura le courage aujourd'hui de créer une commission d'enquête sur les pratiques de planification et d'octroi des contrats pour les projets d'investissements publics, tant au niveau du gouvernement provincial que municipal, alors que la corruption semble aujourd'hui venir du monde patronal ? La confiance des citoyens dans la démocratie et dans l'appareil de l'état dépend de la réponse.
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Rodrigue Tremblay, professeur émérite,
Université de Montréal,
ancien ministre de l'Industrie et du Commerce,
auteur du livre “Le code pour une éthique globale” (LIBER).
Corruption-Québec inc.
Chronique de Rodrigue Tremblay
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Rodrigue Tremblay, professeur émérite, Université de Montréal, ancien ministre de l’Industrie et du Commerce.
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