conciliation identité québécoise et intégration économique des immigrants

Tribune libre

Durant la période des accommodements raisonnables, deux versions s’affrontaient : une version qui faisait état de la précarisation de la culture québécoise, du Québec assiégé par les personnes immigrantes et une autre qui insistait sur la nécessité d’une intégration économique. Certains commentaires des Québécois dits « de souche » allaient dans le sens que les personnes immigrantes aimeraient la société d’accueil si elles trouvaient un emploi dans leur domaine de compétences ou un domaine connexe et que la résolution des problèmes de reconnaissance d’acquis et de diplômes constituerait une condition indispensable à l’intégration des professionnels diplômés de l’étranger.
La version médiane se situe dans la conjugaison des deux approches qui renferment des éléments de rapprochement, de fracture identitaire, mais aussi de logique basée sur le principe du ″donner″ et du ″recevoir″. Selon notre lecture de la situation sociopolitique, la question des accommodements raisonnables est loin de connaître son épilogue.
La commission Bouchard-Taylor devenait le lieu où les Québécois s’interrogeaient sur la place de la religion dans la société québécoise. Mieux, elle était un cadre où le questionnement se faisait sur la religion des immigrants. Cette situation devenait une forme de croisade contre les signes religieux des immigrants.
Cette commission a donné lieu à un exercice qui a ressemblé parfois à une thérapie de groupe, mais aussi qui a laissé les personnes s’exprimer pour régler certains problèmes, un débat nécessaire où il fallait trouver des réponses pertinentes aux multiples problématiques sociétales. Si cette commission a permis de tenir des propos discriminatoires envers les personnes immigrantes, elle était devenue également un mal nécessaire. Elle a aussi donné la possibilité à des populations modérées de se prononcer sur la perte de leur identité. Même si des dérapages xénophobes ont été notés, il n’en demeure pas moins que le débat sur les accommodements raisonnables a permis aussi de faire redécouvrir à la population québécoise les difficultés rencontrées par les personnes immigrantes.
Il faut également faire de la pédagogie pour faire disparaître le cliché qui veut que l’accommodement raisonnable constitue une arme des immigrants contre les Québécois. Il est important de faire de la pédagogie sur ce point central pour ne pas mêler la population québécoise.
La demande des accommodements religieux ne facilite pas non plus l’intégration des personnes immigrantes d’origine musulmane. Ce serait également une erreur de généraliser.
La religion musulmane est considérée comme un obstacle à l’intégration des musulmans. À ce sujet, le député péquiste Maka Kotto avait questionné un représentant de la communauté musulmane en commission parlementaire sur la planification de l’immigration pour la période 2012-2015.
« […] quand il y a échec en matière d'intégration, est-ce que c'est la faute des immigrants ou est-ce que c'est la faute de la société d'accueil, la vérité, entre les deux. Alors, sur la base de cette équation que je vous expose, est-ce qu'il y a lieu de penser qu'il y ait des efforts qui soient faits de la part de ce concitoyen ou de cette concitoyenne d'obédience musulmane versus une société qui a pris des distances depuis des lustres déjà avec la chose religieuse ? », s’interrogeait M. Kotto.
Un membre de l'Association de la communauté algérienne de Québec, en l’occurrence, M. Boufeldja Benabdallah, a apporté une réplique sur le fait religieux en soutenant qu’:
« Il ne faut pas bannir des choses ou dire : Le Québec, il [a] adhéré à la laïcité, par conséquent le religieux n'a même plus place à la discussion.[tout en rajoutant qu’on ne peut pas nier son identité religieuse] [...] Vous l'avez bel et bien dit, le musulman est porteur de sa peau, une peau qui est religieuse, et il ne peut pas se défaire de ça, et ça va apparaître, transparaître tôt ou tard. Comment on concilie les choses dans un respect de la société qui est laïque? Comment respecter les autres? Il y a des modalités qu'on peut mettre en place pour changer les mentalités . »
M. Boufeldja préconise un plaidoyer sur le changement des « mentalités » par le biais d’un débat ou d’un sommet sur l’intégration :
« Vous l'avez dit tout à l'heure quand je vous écoutais le groupe précédent. Vous avez dit: Il va falloir qu'on change les cœurs, il va falloir qu'on amène plus la sérénité que la peur. Et je ne suis pas démagogique quand je dis ça - je te le dis parce que je ne vais pas donner encore ni mon cas ni le cas de mes enfants qui sont grands maintenant, et je suis grand-père aussi - et qui, à cause de leur nom, il y a toujours ce frein: Vous vous appelez Mohamed. Toujours il y a ce frein. Vous vous appelez Benabdallah. Oh! Benabdallah, toujours cette... . »
La très grande majorité des musulmans n’ont pas peur de débattre sur la laïcité à condition que le sujet soit bien posé et traité de manière respectueuse, sans vouloir systématiquement rejeter leurs croyances. En poursuivant son analyse, M. Boufeldja s’interroge sur le comment :
« Alors, comment changer les cœurs? Comment changer les mentalités? Ça ne se change pas à l'intérieur d'une commission parlementaire. Ça ne se change pas à l'intérieur d'une discussion en tête-à-tête avec des gens qui sont ouverts à la chose. Mais ça vaut la peine d'en faire un débat national.
« Nous avons connu le débat Bélanger-Campeau, ça a été extraordinaire pour la société, ça a ouvert des horizons. Et j'ai parlé des états généraux de la science, ça a ouvert des horizons. Le Québec est fort dans ces grands mouvements, dans ces grands rendez-vous de l'histoire du Québec.
« La laïcité, on en a discuté... On dirait qu'on veut cacher pour... Non, il va falloir ouvrir le chantier, il [sic] falloir qu'on débatte. Et de cette façon, je suis entièrement de votre côté en disant que ça va donner la sérénité et enlever la peur. Je suis du côté de Mme la ministre [Weil] pour dire: Voilà, on a des paramètres pour améliorer cette notion et cette compréhension de la diversité. N'ayez pas peur de nous qui sommes musulmans. Ça fait 40 ans que je suis ici, et je suis ce qu'on dit «un musulman pratiquant». Jamais un patron ne m'a interdit d'aller faire ma prière ni de me dire «tu es un musulman», etc. Mais, moi aussi, j'ai une responsabilité, comment je montre ce visage pour avoir plus de sérénité et enlever la peur de l'autre.
« Et il va falloir amener autour de la table des psychologues, des psychiatres, des sociologues. On en a des économistes, on peut les écouter, mais il n'y a pas que l'économique quand il y a aussi le discours des cœurs. Excusez-moi si je suis un peu émotif sur certains aspects », conclut-il.
Le repli identitaire est encouragé parfois par la difficulté des néo-Québécois à se trouver un emploi. Les difficultés d’intégration des immigrants, comme le démontre le taux de chômage très élevé, avaient poussé la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) à tirer la sonnette d’alarme. En 2010, la TCRI avait publié un bulletin pour marquer sa déception à l’application des recommandations de la commission Bouchard-Taylor de 2008.
« Selon le bilan établi à ce jour par la TCRI, le gouvernement a concrétisé moins de 6 % [8 des 84 recommandations contre 30 sur 37 selon l’ancienne ministre du MICC, Yolande James] des stratégies proposées. (14 avril 2010) . »
Toujours selon cette solide institution représentative des préoccupations des organismes communautaires dédiés à l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes,
« face aux débats entourant les malaises et les tensions qui tiennent le Québec en haleine sur les questions d’immigration et de la cohabitation des citoyens québécois de toute origine, la TCRI a accueilli avec optimisme et satisfaction la majorité des recommandations des Commissaires Bouchard et Taylor lors de la publication de leur rapport Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation déposé le 22 mai 2008. Même si les constats et le diagnostic de la Commission n’auront pas fait consensus, nous sommes d’avis qu’il est temps de revisiter les 84 recommandations et sous-recommandations de la Commission . »
Les musulmans sont des Québécois au même titre que les autres citoyens. Les immigrants souffrent énormément de certains accommodements qu’on leur prête. La majorité des immigrants ne demandent pas des accommodements, mais veulent travailler et éduquer leurs enfants comme tout bon Québécois. Malheureusement, ils subissent les dommages collatéraux d’une infime minorité, ce qui incite certains Québécois à penser qu’on donne des chèques en blanc aux immigrants sur certaines questions.
Le voile intégral ne constitue pas une obligation religieuse. Loin de là. Le fondateur du Congrès musulman canadien, Tarek Fatah, affirmait ceci :
«Les musulmans progressistes et libéraux ont mené la lutte contre cette abomination au cours des 100 dernières années. C'est l'un des aspects les plus laids de l'islam politique qui a été importé au Canada et dans d'autres pays occidentaux . »
Mais focaliser sur cette question, en stigmatisant toutes les autres communautés, est également arbitraire. La plupart des immigrants d'obédience musulmane qui ne soumettent pas de demandes d'accommodement pour des pratiques religieuses en formulent pour l'assouplissement des ordres et pour une plus grande ouverture des employeurs à leur égard. Le gouvernement péquiste devra également faire de la question de l’intégration professionnelle une de ses priorités pour l’intérêt de la société québécoise dans son ensemble (apport maximal dans l’économie et maintien de la cohésion sociale).
L’auteur est sociologue-blogueur, conférencier et conseiller en emploi.
Pour aller plus loin sur ce sujet, lire L’Avis préliminaire- Charte des valeurs québécoises http://doudousow.wordpress.com/2013/09/09/avis-preliminaire-charte-des-valeurs-quebecoises/


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