"Citizen Black" risque 101 ans de prison

L'histoire de Conrad Moffat Black ressemble à un mauvais roman dont l'intrigue se nourrit de l'arrogance et de la cupidité du personnage central.

Conrad Black - persona non grata

Plus dure est la chute. Le procès de l'ancien magnat des médias, le Lord britannique Conrad Black, qui vient de s'ouvrir à Chicago, marque l'épilogue d'une déchéance peu commune. L'ex-patron du groupe Hollinger, naguère cousu d'or et qui menait grand train, risque jusqu'à 101 ans de prison, s'il est reconnu coupable des accusations de fraude, racket, évasion fiscale et obstruction à la justice. Celui qu'on surnommait "Citizen Black" au faîte de sa gloire est notamment soupçonné par la justice américaine d'avoir participé, avec trois associés, à un montage frauduleux lors de la vente d'actifs au groupe de presse canadien Canwest, en 2000. Ce détournement leur aurait rapporté 84 millions de dollars.
L'histoire de Conrad Moffat Black ressemble à un mauvais roman dont l'intrigue se nourrit de l'arrogance et de la cupidité du personnage central. Né en 1944 dans une famille fortunée de Toronto, celui-ci n'a que 23 ans lorsqu'il achète son premier journal canadien. En 20 ans, il construira un véritable empire de presse - le troisième du monde - qui comprendra jusqu'à 600 journaux, dont 400 en Amérique du Nord.
En 1985, il acquiert son fleuron, le quotidien britannique Daily Telegraph, plus fort tirage de la presse de qualité. Sept ans plus tard, il devient le quatrième mari de sa seconde femme, Barbara Amiel, chroniqueuse de choc de ce même journal, éditorialiste au vitriol, eurosceptique et ultraconservatrice. Sa boulimie dépensière, les milliers de robes et les centaines de paires de chaussures qu'elle se vante de posséder contribueront à attirer les soupçons sur son mari.
C'est l'époque où le couple acquiert quatre résidences somptueuses à Londres, Palm Beach, New York et Toronto, voyage à bord d'un luxueux avion privé, roule dans une Rolls Royce de fonction et donne des soirées fastueuses. En 2001, le patron de Hollinger renonce à sa citoyenneté canadienne pour pouvoir être anobli par la reine : il devient Lord Black of Crossharbour, du nom de la station de métro voisine de l'immeuble du Telegraph.
En 2003, l'un des actionnaires, Herbert Denton se demande pourquoi le couple Black est si huppé, et le groupe Hollinger si peu performant. Il découvre que 95 % des bénéfices nets de la compagnie vont dans la poche d'un tout petit groupe de dirigeants. Conrad Black, dira M. Denton, se comportait comme s'il était le propriétaire, et non l'un des principaux actionnaires, de la société. Il s'enrichissait, par divers moyens frauduleux, au détriment des autres détenteurs de parts. Il confondait sa cassette personnelle et celle d'une compagnie cotée en Bourse.
Mis en cause par les actionnaires, Conrad Black est contraint à la démission en novembre 2003. Deux ans plus tard, la justice fédérale dresse à son encontre une liste de 17 accusations criminelles. Trois anciens dirigeants du groupe, John Boultbee, Peter Atkinson et Mark Kipnis, sont jugés en même temps que lui. Le procès devrait durer quatre mois. Un ancien associé, David Radler, a accepté de plaider coupable, de payer quelque 50 millions de dollars pour mettre fin à l'enquête contre lui et d'être cité comme témoin par l'accusation en échange d'une peine maximale de 29 mois de prison.
Conrad Black, 62 ans, plaide non coupable. Il joue gros et risque, s'il perd, de passer le restant de ses jours derrière les barreaux. Il ne lui resterait alors que son titre de Lord, par nature inamovible.
Jean-Pierre Langellier

Article paru dans l'édition du 22.03.07.
LE MONDE | 21.03.07 • Mis à jour le 13.07.07


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