Cinq choses à savoir sur la Catalogne

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Vicent Partal

Étant donnée la tournure que prennent les événements, nous pensons que c’est le bon moment pour résumer le processus qui nous a menés à ce point et expliquer la nature spéciale de la décision prise par le parlement catalan le mercredi 6 septembre dernier.



1) L’Espagne a violé ses propres règles quand la Cour constitutionnelles a abrogé le statut d’Autonomie de 2006.


Les origines de ce que nous avons traversé au cours de ces dernières années peuvent être trouvées dans la décision de la Cour constitutionnelle espagnole d’abroger des éléments-clés du statut autonome de la Catalogne. Aujourd’hui, il est généralement reconnu que cela revenait à un coup d’État contre la Constitution qui annulait l’équilibre juridique établi à la fin de l’époque franquiste. La relation de pouvoir entre le centralisme espagnol et le gouvernement autonome catalan était fondes sur les dénommées « deux clés ». Si un désir catalan de changement de régime d’autonomie émergeait, Madrid détenait la « première clé » : la capacité de demander que cette nouvelle loi passe par le filtre légal de Madrid, où il pourrait être amendé. La  « seconde clé » de la Catalogne était le droit, si des changements était ordonnés par Madrid, de rejeter le changement de statut par référendum. Le processus était clair, transparent et équilibré. Une des clés donnait des garanties à Madrid, l’autre à la Catalogne. Chacune des parties avait voix au chapitre. Toutefois, l’entrée forcée d’une « troisième clé » qui n’avait jamais existé et avait été inventée par le Partido Popular (Ndt : de Rajoy) a détruit l’équilibre constitutionnel et brisé les conditions de la coexistence. La responsabilité de ce qui se passe aujourd’hui repose entièrement sur l’État espagnol qui, à travers ses actions unilatérales, a aboli un pacte forgé au cours de la transition vers la démocratie.


2) L’Espagne a refusé de dialoguer avec la Catalogne sur l’indépendance, ou d’ailleurs, sur quoi que ce soit d’autre.


La Catalogne n’a pas le droit d’imposer la sécession à l’Espagne. L’Espagne n’a pas non plus le droit d’imposer l’unité à la Catalogne. Dans l’occurrence de l’émergence d’un conflit comme celui auquel nous assistons aujourd’hui, la seule solution est la négociation, comme l’a éclairci la Cour suprême du Canada dans son opinion sur le très célébre référendum sur la question de l’indépendance du Québec.


Une négociation de ce type pourrait avoir pris plusieurs formes et aurait pu se concentrer sur plusieurs des aspects de l’impasse. Après les premières manifestations du 11 septembre (journée nationale de la Catalogne) en 2012, le gouvernement catalan a proposé que les deux côtés renouvellent leur dialogue sur les questions fiscales et les droits culturels. La proposition n’a pas seulement été rejetée, elle a été traitée avec mépris. Les forces politique catalanes ont appelé à une solution négociée à presque vingt reprises avant de passer à la préparation d’un référendum destiné à clarifier la volonté politique du peuple catalan. Comme encore aujourd’hui, le côté qui a toujours refusé de négocier est Madrid. L’Etat espagnol a systématiquement dédaigné les principes démocratiques selon lesquels les désaccords doivent être résolus à travers des négociations de bonne foi et le respect de l’expression démocratique de tous les projets politiques. Ce schéma de mépris systématique discrédite les arguments du gouvernement espagnol.


3) Le peuple de Catalogne a délivré un mandat clair au parlement catalan pour proclamer l’indépendance.


Dans les élections tenues le 27 septembre 2015, les citoyens catalans ont offert la victoire aux partisans d’un programme visant à la proclamation de l’indépendance, avec une majorité absolue des sièges au parlement catalan. Comme ce résultat n’a pas tout à fait atteint les 50% de votes populaires, les membres de la coalition gagnante ont souhaité valider leur programme par le plus démocratique de tous les processus de consultation populaire, le référendum. Ils avaient espéré que ce référendum serait validé par des négociations avec l’État espagnol. Hélas, cela s’est avéré impossible. C’est précisément ce refus de négocier du gouvernement espagnol qui justifie, et donne une force légale, au vote unilatéral du parlement catalan. Il n’y a aujourd’hui aucun autre moyen, pour le parlement catalan, de faire droit aux désirs du peuple catalan.


4) Le droit international offre une base légale à l’autodétermination et à la sécession unilatérale.


Le droit à l’autodétermination des peuples est un élément essentiel de la doctrine légale internationale. C’est un droit absolu qui transcende les législations nationales, et qui est inscrit dans les deux Conventions sur des droits de l’homme de 1966 des Nations Unies, que la constitution espagnole reconnaît comme le droit suprême du pays. Le parlement de Catalogne est donc habilité à invoquer légitimement ce principe général pour fonder son référendum. De plus, la décision de la Cour internationale de justice au sujet du Kosovo a définitivement résolu deux questions importantes. La première est qu’il n’y a pas de clause, dans le droit international, qui puisse invalider la proclamation unilatérale d’indépendance d’un territoire. La seconde est que le principe de l’inviolabilité des frontières se n’applique qu’à des conflits entre États et ne peut en aucune façon être invoqué pour empêcher la sécession de la partie d’un État.


5) La pratique internationale récente a donné un soutien explicite au processus d’autodétermination, créant ainsi une norme caractérisée par l’acceptation de nouveaux États dans la communauté internationale.


Quelques chiffres seront utiles à rappeler. Depuis 1991, 53 entités sous-étatiques, comme la Catalogne, ont tenu des référendums sur l’autodétermination. Sur ce total, 27 référendums ont été menés à bien en accord avec les États dont ces entités faisaient partie. Les autres 26 ont été mis en oeuvre de façon unilatérale. L’État espagnol a reconnu 26 des 27 nouveaux États constitués dans le monde depuis 1991, dont la majorité avaient été proclamés de façon unilatérale. En fait, 7 États qui font aujourd’hui partie de l’UE étaient, en 1991, intégrés à d’autres États et donc, dans des situations très similaires à celle de la Catalogne actuelle. Ces 7 pays-membres de l’UE qui n’étaient pas indépendants en 1991 (la Croatie, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la République Tchèque) ont été créés via des mobilisations unilatérales, et dans 5 de ces cas, à travers la modalité spécifique d’un référendum unilatéral. Ils sont tous reconnus par l’Espagne et font partie de l’UE.


Alors que l’UE ne prévoit pas de disposition en cas de sécession d’une partie d’un Etat-membre, elle a une pratique régulière de reconnaissance de référendums sur l’autodétermination. Par exemple, l’UE n’a bloqué ni le référendum du Brexit, ni celui de l’Écosse (2014). Et, comme nous l’avons vu, elle a accepté en tant que membres 7 États issus de processus unilatéraux, tout en accordant son soutien à la pratique de l’autodétermination dans des cas comme celui du Kosovo. Ceci contredit clairement la position de l’Espagne quant à la Catalogne.


Pour résumer : Si nous en sommes arrivés à ce point, c’est à la base grâce à la légitimité que le peuple catalan a offert au parlement catalan le 27 septembre 2015 et aussi, à la légitimité que la communauté internationale a offert au processus d’autodétermination. Mais nous en sommes aussi arrivés à ce point à cause de la perte de légitimité de la position espagnole, qui s’oppose aux pratiques et règles internationales, ainsi qu’aux dispositions de sa propre constitution.


Le moment est arrivé de passer à l’étape suivante, en gardant à l’esprit la force civique bâtie aux cours de cette dernière décennie, et le fait que la communauté internationale réagira comme elle l’a toujours fait : en résolvant un problème qui ne s’effacera pas à la suite de manigances illégales.


Vicent Partal est le fondateur et le directeur du journal catalan en ligne Vilaweb.


Traduction Entelekheia