Ciel, le peuple!

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« Contrairement aux élites mondialisées, le petit peuple, lui, n’a guère le loisir de mépriser sa nation, son terroir et sa culture. »

Elles se nomment Alison Hubert, 28 ans, Priscilla Ludosky, 32 ans, et Jacline Mouraud, 51 ans. On pourrait remplir cette chronique et plusieurs autres de leurs seuls noms tant la présence des femmes est importante dans la révolte des gilets jaunes. Le Figaro rapportait récemment le cas de Marine Charrette-Labadie, une serveuse au chômage de 22 ans à Brive-la-Gaillarde. Aux tout premiers jours du mouvement, elle venait d’être interdite bancaire pour avoir fait un chèque sans fonds afin de payer son… plein d’essence ! La voilà devenue coordonnatrice du mouvement en Corrèze.


Impossible de ne pas les voir, car elles sont aux premiers rangs de toutes les mobilisations. D’ailleurs, Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé en évoquant dans son allocution de lundi « ces femmes de courage » qui pour la première fois disent leur « détresse sur tant de ronds-points ». Qu’on ne s’y trompe pas cependant. Les effluves de lacrymos, les barricades et la douce anarchie des ronds-points n’y changent rien. Si ce romantisme révolutionnaire est bien français, la révolte des gilets jaunes n’a rien à voir, comme on l’entend dire ici et là, avec un quelconque Mai 68.


Un demi-siècle plus tard, les révoltés des Champs-Élysées sont même le portrait inversé de ceux de Saint-Germain-des-Prés. Ici, pas de mutins libertaires issus d’une jeunesse dorée. Que des employés au statut précaire, des chômeurs et de petits artisans qui peinent à joindre les deux bouts. À cinquante ans de distance, le riche théâtre parisien a été remplacé par de petites villes de province souvent en déshérence. La jeunesse imberbe s’est muée en pères et en mères de famille, souvent même en retraités. Loin d’exalter la libération sexuelle et les réformes « sociétales », ces mères célibataires, veuves ou divorcées, en ont souvent payé le prix amer. On aura aussi noté que le drapeau rouge et l’Internationale ont partout cédé la place au tricolore et à la Marseillaise. Contrairement aux élites mondialisées, le petit peuple, lui, n’a guère le loisir de mépriser sa nation, son terroir et sa culture.



Rien n’est plus étranger à l’esprit des gilets jaunes que cet « interdit d’interdire » qu’exaltèrent naguère les jouvenceaux de Nanterre. On sent même chez ces indignés des ronds-points une certaine demande confuse d’autorité face à une société qui se délite. Ce n’est pas tout à fait un hasard si certains ont évoqué le nom de l’ancien chef d’état-major Pierre de Villiers à Matignon. Celui-là même que le président congédia brutalement au début de son mandat et qui déclarait récemment qu’« un chef, c’est quelqu’un qui écoute, qui entend et qui comprend ».




 


C’est ce ton qu’Emmanuel Macron n’a pas vraiment su trouver lundi dernier. Comme s’il ne parvenait pas à trouver l’équilibre entre ce mépris tant de fois affiché et ce mea culpa qui le fait ressembler à un enfant pris la main dans le pot de biscuits. Si le train de mesures annoncé lundi a de bonnes chances de calmer un peu la colère à l’approche de Noël, comme disent les Anglais, il dissimule mal « l’éléphant qui est dans la pièce ».


Car il y a à l’évidence un non-dit dans le tête-à-queue que le président a été obligé d’opérer depuis une semaine. Ces dépenses de plus de 10 milliards d’euros font entrer la France dans le club des mauvais élèves de l’Union européenne, dont elle n’était à vrai dire jamais vraiment sortie. Avec un déficit de plus de 3 %, la France se situe loin derrière l’Italie (2,2 %) dont Emmanuel Macron avait récemment dénoncé le budget déficitaire, en choeur avec Bruxelles.


À cinq mois des élections européennes, le président a beau vouloir prendre la direction du combat contre la « lèpre populiste », sa stratégie vient d’exploser en plein vol. Celle-ci consistait à donner des gages d’orthodoxie budgétaire afin d’obtenir quelques inflexions dans la gestion de l’euro et s’ériger en « leader européen ». Déjà que l’Allemagne avait répondu par la bouche de ses canons en demandant à la France d’abandonner rien de moins que son siège à l’ONU au profit de l’Europe. Voilà dorénavant la France en porte-à-faux avec Bruxelles et Berlin.


Le « leader européen » a plus que du plomb dans l’aile. Le ministre italien Roméo Salvini ne s’est d’ailleurs pas gêné pour interpeller l’Europe. « Je refuse d’imaginer qu’on fasse semblant de rien devant les demandes milliardaires qui arrivent d’un Macron en difficulté évidente et qu’on s’en prenne aux poches des Italiens. Ce serait vraiment la fin de cette Union européenne », a-t-il déclaré.


> La suite sur Le Devoir.



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