Avec sept points en moins en un mois, la cote de popularité du président français semble en chute libre. Le philosophe Aymeric Monville y voit les conséquences d'une politique pleine de contradictions, aux services d'intérêts non-nationaux.
RT France : Emmanuel Macron a perdu sept points de popularité en un mois passant à 36%. Comment expliquer cette chute de popularité ?
Aymeric Monville (A. M.) : Elle semble vertigineuse. Au début de son mandat, celle de François Hollande avait été très faible. Elle rappelle plutôt celle de Jacques Chirac en 1995. Cette année-là, nous étions presque dans une situation pré-révolutionnaire, car la France connaissait alors ses plus grandes gréves depuis 1968. Il ne faut pas non plus oublier qu'Emmanuel Macron a été élu avec 15% des inscrits et a obtenu 85% des députés. Tout cela relève d'une certaine contradiction, qu'il essaie de compenser par un surcroît d'autoritarisme.
En outre, il a complètement renouvelé le personnel politique mais ce renouvellement n'a pas du tout marqué l'opinion de manière positive. Car certains nouveaux députés ont fait preuve d'une incompétence crasse. De fait, sa majorité a un vrai problème de légitimité face à l'opinion publique. Les mesures prises par Emmanuel Macron sont également empreintes de contradictions. Vous ne pouvez prôner une loi interdisant aux députés d'employer des membres de leurs familles tout en cherchant à créer un statut spécial pour votre épouse. Vous ne pouvez pas baisser l’impôt sur la fortune en ne taxant pas les biens mobiliers, comme les yachts, tout en baissant les aides au logement de manière aussi brutale.
Emmanuel Macron s'était, avant même son élection, aliéné les ouvriers et les employés. Il est aujourd'hui en train de s'aliéner la jeunesse
RT France : Quels sont, selon vous, les profils socio-professionnels les plus concernés par ce mécontentement envers le président français ?
A. M. : Les nouveaux sondages montrent aussi que cette baisse de popularité est générale et s'étend à toutes les couches de la population. Emmanuel Macron s'était, avant même son élection, aliéné les ouvriers et les employés. Il est aujourd'hui en train de s'aliéner la jeunesse avec les coupes sur les aides au logement et sa volonté de réformer le bac et l'entrée à l'université. Or, on sait bien que les situations révolutionnaires se développent lorsqu'il y a une sorte de lien entre la classe ouvrière – au sens large – et la jeunesse.
Les maires sont également très mécontents de la baisse de subventions aux collectivités locales de 13 millions d'euros. Ce qu'Emmanuel Macron appelle le «pacte girondin» n'est ni plus ni moins qu'un démembrement de nos départements sur le modèle des Lander allemands. Le jacobinisme est très ancré en France, y compris à droite avec l'héritage gaulliste et bonapartiste. Il ne faut pas oublier, aussi, le mécontentement de l'armée suite à la démission du chef d'Etat-major. On retient là qu'Emmanuel Macron est prêt à participer au budget de l'OTAN et à la défense européenne mais diminue les crédits de la défense nationale.
A force de ne pas aimer le pays, le pays finit par ne plus vous aimer non plus
Au delà d'un certain nombre de couacs et d'erreurs de communication, on voit se matérialiser une visée générale qui a pour but de défendre des intérêts qui ne sont pas nationaux mais plutôt liés à des grands groupes internationaux, à l'Union européenne et à l'OTAN. Cela finit nécessairement par se voir. Sa politique paraît profondément anti-nationale.
On peut dire que nous sommes dans une période pré-révolutionnaire. Le mécontentement est généralisé dans l'opinion publique, mais les élites restent aveugles. Il est évident qu'Emmanuel Macron partage avec la plupart de ses congénères un mépris profond pour ce qu'est l'histoire du peuple français, particulièrement anti-libéral. L'histoire de France s'est faite quasiment en opposition avec le grand rival anglo-saxon. Le sens de l'Etat colbertiste, à droite, ou du progressisme et de l'esprit révolutionnaire, à gauche, fait que le libéralisme ne passe pas en France. Or les élites françaises se disent qu'il faut tout faire pour réformer la France, la changer, la modifier. Fondamentalement, ils n'aiment pas ce pays. Sans oublier qu'ils subissent les pressions d'une élite globalisée qui déteste l'exception française. Or, à force de ne pas aimer le pays, le pays finit par ne plus vous aimer non plus C'est l'évidence même.
Un statut de Première dame, un symbole d'américanisation de plus que les Français ne supportent pas
RT France : Pourquoi pensez-vous que l'idée d'un statut pour la Première dame soit l'objet d'une telle opposition ? Est-ce lié à la chute de popularité du président ?
A. M. : C'est, à mon sens, tout à fait lié. C'est un symbole d'américanisation de plus que les Français ne supportent pas. Les Français sont très attachés au rejet de l'américanisation. On a déjà vu s'installer le processus des primaires, importé des Etats-Unis, ainsi que la transformation du paysage politique en deux grands partis, à l'instar des républicains et des démocrates. On ajoute à cela cette façon dont Emmanuel Macron chante la Marseillaise, la main sur le cœur, tel un pasteur évangélique alors que cela ne fait pas du tout partie des traditions françaises. Enfin, ce statut de Première dame est calqué sur le modèle américain. Tout cela est vécu par les Français comme une forme d'agression et de colonisation. Il faut avoir en tête ce que l'historien Fernand Braudel appelait le «temps long». Le peuple français s'est fondé sur une notion de cohésion de l'Etat, sur l'idée d'une république une et indivisible. Tout ce qui rappelle la concurrence libre et non-faussée du néolibéralisme apparaît alors comme un corps étranger et la nation est en train de le rejeter littéralement.
En septembre, il y aura sans doute d'immenses manifestations dans les rues. Le rapport de forces s'annonce déjà très dur
RT France : Emmanuel Macron peut-il encore remonter dans les sondages à l'automne ?
A. M. : Cette chute de popularité est d'autant plus étonnante que nous sommes en période de vacances. Il y a donc peu de chance que cela s'améliore. En septembre, il y aura sans doute d'immenses manifestations dans les rues. Le rapport de forces s'annonce déjà très dur. Les manifestations à Paris sont de plus en plus violentes, y compris celles du 1er mai, d’ordinaire plutôt bon enfant et familiales. Les forces de police encadrent et coupent de plus en plus les cortèges. L’état d'urgence a beaucoup servi de prétexte pour interdire les manifestations et les réprimer. Or, l'état d'urgence va être pérennisé, il va être inscrit dans le droit commun. Depuis la loi El Khomri, 2000 syndicalistes ont été poursuivis. Tout est réuni pour que nous voyions la situation s'envenimer. La comparaison avec les grandes grèves de décembre 1955 qui avaient suivi l'élection de Jacques Chirac s'impose tout naturellement.
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