Le chantage s’arrêtera-t-il un jour ? Malgré les lourdes concessions grecques, les eurocrates, à quelques exceptions près, paraissent chercher une reddition totale du gouvernement Tsipras. Pour les Allemands, en pointe dans ce saccage de l’idéal européen, tous les mauvais coups sont permis.
Les Grecs pourraient tous se couper un bras et une jambe, s’arracher les yeux ou la langue… que ça ne suffirait pas ! Sordide spectacle d’une machine de guerre lancée contre un peuple européen, bien décidé à choisir démocratiquement son destin et à en finir avec le calvaire de l’austérité qui, en cinq ans, a provoqué une terrible crise humanitaire et complètement détruit la société. Des heures et des heures de débats, à Bruxelles (Belgique), dans les bâtiments du Conseil européen, d’abord, au sein de l’Eurogroupe, samedi après-midi et dimanche dans la journée, puis lors d’un sommet des chefs d’État de la zone euro, dimanche en fin d’après-midi, et au bout du bout, quoi ? À l’heure de mettre sous presse, hier en début de soirée, l’issue du sommet des chefs d’État demeurait encore incertaine. Mais une semaine à peine après la victoire retentissante de l’oxi au référendum en Grèce, le mal est fait, et la blessure sera, à n’en pas douter, profonde. L’Union européenne se remettra-t-elle de cet étalage de vilenie, de ressentiment, de hargne et même de xénophobie ? Comment peut-elle prétendre incarner encore un quelconque idéal démocratique quand elle entrave méthodiquement toute politique alternative ?
Pour les Grecs, c’est le supplice de Tantale ou le rocher de Sisyphe, au choix. Blocage des fonds européens depuis l’été dernier, asphyxie financière organisée par la BCE, chantages sur les réformes à réaliser, ultimatums permanents… Et rebelote !
Dans la spirale infernale du régime d’exception, un coup tordu survient à peine qu’un autre est déjà prêt. Après avoir fait, jeudi soir, sur fond de catastrophe bancaire en germe dans leur pays, des concessions très importantes (lire ci-contre) par rapport au programme électoral de Syriza, les représentants du gouvernement Tsipras sont arrivés en fin de semaine avec l’espoir de recevoir enfin les premières contreparties, en particulier sur la restructuration de la dette publique grecque, à la fois insoutenable – ce que tout le monde, ou presque, admet désormais –, illégitime et odieuse – puisqu’elle a servi quasi exclusivement à recapitaliser les banques. Une perspective de conciliation, déjà très dure à avaler pour les Grecs, mais immédiatement bloquée par un tir de barrage. Pour empêcher cette discussion déterminante de s’ouvrir, les enragés ont repris un à un le même élément de langage : « Notre confiance vis-à-vis du gouvernement grec a disparu », ont-ils ânonné pour exiger plus de gages encore. Un code pour dire « nous allons faire payer à Tsipras son référendum, et le peuple grec qui nous a infligé une gifle va sentir passer le vent du boulet ! ». Au fond, bien sûr, si le prétexte au pinaillage demeure le programme économique, tous savent qu’en fait, l’objectif n’est plus, chez ces têtes brûlées, que de faire tomber le gouvernement en Grèce et parachever le coup d’État qui a commencé avec les restrictions bancaires planifiées en réponse à l’annonce du référendum. Sous couvert d’anonymat, quelques eurocrates avouent par ailleurs : ils veulent la tête de Tsipras. « Ça aiderait au miracle car il a vraiment irrité tout le monde », rapportent leurs porte-voix.
Les Allemands ont fait fuiter un plan prévoyant un « Grexit provisoire »
Au sein de l’Eurogroupe, qui, en présence de la Commission et du FMI, rassemble les 19 ministres des Finances de la zone euro, les Grecs se sont trouvés face à une grosse équipe d’acharnés, emmenés par l’Allemand Wolfgang Schäuble. Pour ces pays (Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Belgique, Estonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie), l’objectif affiché est d’expulser la Grèce de la zone euro (Grexit). Et tous les coups sont permis. Alors que, d’après des sources grecques, l’hypothèse n’avait même pas été soulevé en séance, les Allemands ont fait fuiter un plan prévoyant un « Grexit provisoire » de cinq ans. Selon Schäuble, c’était une forme de cadeau aux Grecs pour leur permettre de « restructurer leur dette ». Dans le même document, qui a plongé dans l’embarras le SPD, partenaire de la CDU-CSU au gouvernement, les Allemands proposent aussi aux Grecs de transférer dans un fonds — basé par exemple au Luxembourg, détaillent-ils même – une série d’entreprises et de services publics pour l’équivalent de 50 milliards d’euros qui auraient vocation à être privatisés pour payer la dette.
À la sortie d’une réunion qui a duré, entre samedi et dimanche, une quinzaine d’heures, l’institution exige, avant de consentir à rouvrir les négociations sur le plan d’assistance financière de 53,5 milliards d’euros réclamé par le gouvernement Tsipras, que la Vouli, le Parlement grec, adopte sur-le-champ la réforme proposée de la TVA et réclame un nouveau train de mesures néolibérales aux Grecs : ouverture des commerces le dimanche, libéralisation des professions réglementées comme les pharmacies, limitation drastique des effets de la décision du Conseil d’État qui, en juin dernier, a déclaré inconstitutionnelles les coupes dans les retraites imposées par les mémorandums en 2012, restriction sur les garanties collectives des travailleurs et attaques contre les droits sociaux, retrait de certaines mesures de justice sociale prises depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza en janvier… Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici la joue plus matois en réclamant une « Grèce fortement réformée qui reste dans la zone euro ». D’autres jouent leurs cartes internes comme les Finlandais qui ménagent leur extrême droite au gouvernement, les Portugais ou encore les Espagnols comme leur premier ministre, Mariano Rajoy, qui promet un « accord pire que le précédent » aux Grecs, mais ceci n’a rien à voir, bien sûr, avec les slogans entendus ces derniers jours à Athènes : « Syriza-Podemos, venceremos ! »
La France va tout faire pour que la Grèce, puisse rester dans la zone euro
En dehors de la France et, dans une moindre mesure, de l’Italie, peu de voix se font entendre dans l’Eurogroupe pour chercher le « compromis honnête » qu’Alexis Tsipras continue de réclamer en arrivant, hier après-midi, à Bruxelles. Devant les caméras, lors de son entrée au Conseil européen, François Hollande écarte fermement la perspective d’une expulsion de la Grèce de la zone euro : « Il n’existe pas de Grexit provisoire, il y a une sortie de la Grèce de la zone euro ou non. La France va tout faire pour que la Grèce, si elle respecte les conditions, puisse rester dans la zone euro. Un Grexit signifierait une Europe qui recule, qui n’avance plus, et je n’en veux pas ! » Mais jusqu’à preuve du contraire, les voix comme celle du président de la République française ne pèsent guère.
Dans le communiqué final de l’Eurogroupe, toujours pas publié officiellement hier en début de soirée, quelques heures après la fin de la réunion, c’est l’hypothèse allemande d’un « Grexit provisoire » qui s’affiche « en cas d’échec sur l’accord » en discussion. Par ailleurs, dans le même texte, l’Eurogroupe écarte fermement toute perspective d’une réduction de la dette publique grecque. Une preuve de plus qu’à ce stade, malgré cette outrance qui suscite une indignation croissante un peu partout en Europe, ce sont les Allemands et leurs alliés qui font la loi…
« L’Eurogroupe traite la Grèce comme un pays ennemi vaincu auquel ils ne font pas confiance car il n’est pas obéissant, conciliant ou assez résigné à l’esclavage », glissait samedi dans la soirée un représentant grec. Difficile de lui donner tort alors que la nuit tombait sur l’Europe dimanche soir.
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