Catalogne/Espagne: le «choc» de deux nationalismes !

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Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise


Alors que les tensions s'exacerbent entre Barcelone et Madrid, Jorge Cagiao y Conde, professeur à l'Université de Tours, analyse pour RT les mouvements nationalistes en marche en Espagne et définit les enjeux de demain.


Le président indépendantiste de Catalogne, Artur Mas, a convoqué lundi 3 août par décret de nouvelles élections régionales pour l'automne. Ce scrutin qu'il présente déjà comme «décisif» pourrait lui permettre, dit-il, de déclarer (ou de négocier) l'indépendance de Barcelone dans les prochains mois. Une posture qui agace Madrid, voire l'inquiète selon certains commentateurs.

Jorge Cagiao y Conde est maître de conférences à l'Université de Tours, il enseigne la politique et le droit espagnol, il revient pour RT sur ces derniers événements.


RT France: Artur Mas, selon vous, souhaite-t-il réellement l'indépendance de la Catalogne ?


Jorge Cagiao y Conde: Oui. Je pense qu'il faut s'enlever de la tête qu'Artur Mas est ici dans un jeu d'artifice. Il vise l'indépendance réelle de sa région. Il le dit clairement. Il est vrai que l'on a eu quelques doutes au début en 2012 sur son positionnement idéologique et sur ses intentions effectives. A l'époque, certains disaient qu'il voulait juste négocier, un meilleur statut fiscal ou plus de reconnaissance pour la Catalogne. Et c'était sans doute vrai. Mais devant le «non» ferme de Mariano Rajoy -le chef du gouvernement espagnol- la machine s'est mise en route. Et on voit mal aujourd'hui comment cette bombe pourrait être désamorcée.




RT France: Comment expliquer cette fin de non-recevoir adressée par Madrid à Barcelone  ?


Jorge Cagiao y Conde: C'est culturel ! L'Espagne a historiquement une position très rigide. Elle a tendance à se raidir dès que l'on touche au symbole de la nation. Il existe en réalité un nationalisme espagnol très fort. Au Royaume-Uni et au Canada, les gouvernements étaient également très opposés à une possible indépendance de l'Ecosse et du Québec, mais ils se sont dits "laissons d'abord le peuple s'exprimer". En permettant la tenue de référendums sur ces questions (le «non» l'a emporté à chaque fois!), ces gouvernements ont eu une attitude progressiste, à l'écoute des revendications nationales. De ce point de vue-là, le nationalisme espagnol est beaucoup plus archaïque, il est d'un autre siècle. Et c'est ce positionnement-là qui rend la négociation entre ces deux nationalismes -catalan et espagnol- presque impossible à l'heure actuelle.



Artur Mas ( à droite) et les membres de sa coalition politique pro-indépendante

© Gustau Nacarino
Source: Reuters




Artur Mas ( à droite) et les membres de sa coalition politique pro-indépendante



RT France: Justement jusqu'où peut aller cet affrontement entre Madrid et Barcelone ? 


Jorge Cagiao y Conde: Il y a ici beaucoup d'incertitudes et pas mal d'étapes à franchir. Déjà, il y a ce scrutin en Catalogne qui doit se dérouler fin septembre, et puis il y a à la fin de l'année les élections générales en Espagne. Ce que l'on sait en revanche, c'est qu'il est peu probable que le prochain gouvernement espagnol ait, comme l'actuel, une majorité absolue. Mais quelle que soit l'alliance qui sera au pouvoir en Espagne dans les mois à venir, il est fort à parier que cette dernière ne se montrera ni faible, ni molle, lorsqu'il s'agira de régler le problème catalan. Parce qu'en Espagnol, le nationalisme espagnol n'est ni de droite, ni de gauche, il est transversal. Néanmoins, si ce sont les socialistes qui sont aux affaires, on peut imaginer qu'ils essaieront de gérer cette affaire d'une manière plus «douce» que les conservateurs.


RT France: Madrid a-t-elle réellement des raisons de s'inquiéter, les Catalans peuvent prendre leur indépendance ?


Jorge Cagiao y Conde:  Malgré un soutien très important du peuple Catalan, les nationalistes ne sont en fait pas très riches en moyens. Lorsqu'il s'agira de passer à l'acte, ils vont avoir quelques difficultés. Que peuvent-ils faire concrètement ? Eh bien, déjà déclarer leur indépendance et voir ce qu'il se produira. Si le gouvernement espagnol enclenche l'article 155 de la Constitution -afin de rendre cette indépendance inconstitutionnelle- ou la nouvelle loi sur la sécurité nationale, on peut imaginer qu'il y ait de fortes crispations, qu'il y ait un climat électrique voire des faits de violence. On peut imaginer tout cela, mais que restera-t-il au lendemain ? En Espagne, certains donnent un ton dramatique à ce qu'il est en train de se passer avec la Catalogne. Alors qu'au point de vue du droit, tout est parfaitement maîtrisé par l'Etat. L'Etat a tous les leviers juridiques à sa disposition pour empêcher une indépendance réelle de la Catalogne. Par ailleurs, Madrid a aussi le soutien de la majorité des autres Etats. Les puissances internationales regardent avec méfiance ce qui se joue en Catalogne car c'est l'intégrité territoriale d'un état démocratique qui est en jeu. Aujourd'hui, c'est l'Espagne, mais demain, ce sera peut-être la France, les Etats-Unis ou la Belgique. Le seul moyen de ne pas en arriver là, c'est la négociation.




RT France: Mais négocier sur quoi selon vous ?


Jorge Cagiao y Conde:  Comme je l'ai déjà dit, le gouvernement espagnol demeure très crispé sur cette question catalane. Mais si Madrid accepte effectivement de venir à la table des négociations pour céder quelque chose, comme un statut fiscal différent pour la Catalogne ou une réforme constitutionnelle allant dans le sens d'une meilleure prise en compte des revendications catalanes,  je pense qu'il y aurait des chances de satisfaire les nationalistes catalans pour un certain temps.


RT France: Comment analysez-vous alors, la radicalisation du mouvement indépendantiste ?


Jorge Cagiao y Conde: Tout a démarré en 2005-2006 avec la réforme statutaire de la Catalogne proposée par ses représentants (sur la reconnaissance symbolique de la Catalogne, sur la notion de nation et sur plus d'autonomie). Ce texte aurait justement contenté le nationalisme catalan pour les vingt prochaines années. Mais après avoir été largement «brossé», amendé, par les parlementaires espagnols de Madrid, il a fini par être carrément retoqué par le Tribunal Constitutionnel en 2010. Cet arrêt a en fait douché les espoirs des nationalistes catalans et les a radicalisés.


RT France: Que se passerait-il pour la Catalogne si elle finissait par obtenir ce statut d'indépendance, notamment vis à-vis de l'Union européenne ?


Jorge Cagiao y Conde: Soyons prudents, c'est ici de la politique-fiction. Mais il existe deux scénarios possibles. Le premier, et le moins probable au vu de l'attitude du gouvernement expagnol, est celui de l'indépendance négociée avec l'Espagne. Dans ce cas de figure, on peut penser que la Catalogne intègrerait l'UE au mieux tout de suite, et au pire au bout de 3 ou 4 ans. L'Europe n'a pas intérêt à perdre un bout de territoire, qui plus est aussi riche comme la Catalogne. Mais dans le cas d'une indépendance déclarée unilatéralement par la Catalogne, on peut être à peu près certain que l'Espagne posera son véto à une intégration de la région à l'Union. Aussi, une sécession non-négociée de la Catalogne signifierait probablement une sortie de l'UE avec ensuite un gros point d'interrogation. En ce moment, c'est surtout difficile pour la Catalogne, l'Espagne, elle, peut dormir sur ses deux oreilles. Car la Catalogne a un vrai Himalaya à franchir !



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