Boulet a les pieds dans la même botte

"Si vous n'êtes pas contents, achetez-les, les ponts"...


La ministre des Transports, Julie Boulet, n'avait pas vingt ans lorsque Lise Payette a fait adopter le «no fault» dans sa loi sur la Régie de l'assurance automobile du Québec (RAAQ), à l'hiver 1978, au cours du premier mandat de René Lévesque, devenue plus tard la SAAQ. Elle suivait alors sans doute d'une seule oreille les débats sur ce nouveau régime d'assurance collective. Je ne lui en tiens pas rigueur. J'ai eu vingt ans et malheureusement pas en même temps qu'elle.
Cela ne l'autorise toutefois pas à adapter l'histoire à ses besoins actuels. Son parti, le Parti libéral du Québec, a alors mené une farouche bataille de plusieurs mois, au nom du Barreau du Québec et des assureurs privés, qui s'opposaient à la formule du «no fault» parce qu'ils allaient perdre d'importants revenus. Mme Boulet ne peut certainement pas dire, comme elle l'a fait cette semaine à l'Assemblée nationale, que le «no fault» est un fruit précieux d'un consensus social, auquel il ne faudrait pas toucher.
D'ailleurs, son chef Jean Charest avait attiré comme candidat en 2003 l'avocat de nombreuses victimes insatisfaites de la SAAQ et de la CSST, Me Marc Bellemare, en lui promettant qu'il pourrait piloter des modifications à la loi lorsqu'il serait au gouvernement. On connaît la suite : Jean Charest n'a pas tenu parole et Me Bellemare a démissionné en avril 2004. La ministre Julie Boulet doit au moins se souvenir de cet épisode : elle avait cette fois 45 ans et elle était ministre déléguée aux... Transports.
Les victimes de l'effondrement du viaduc de la Concorde et leurs proches ont été indemnisées minimalement, comme de simples victimes d'un banal accident de la route. Qu'une personne ait perdu un conjoint, un père; qu'une autre garde des séquelles physiques toute sa vie; ou qu'un individu ne puisse retrouver son gagne-pain, aucun autre recours ne lui est permis, maintient la ministre.
Le député de l'ADQ, Janvier Grondin, a eu une formule lapidaire, crucifiante, pour illustrer le ridicule de cette disposition et du raisonnement de la ministre: «le no-fault a été établi pour protéger les automobilistes qui frappent des ponts, pas pour les ponts qui frappent les automobilistes.»
Un tel cas inédit fait certainement partie des exceptions au «no fault» ( l'indemnisation sans égard à la faute lors d'un accident) qui devraient être introduites. Un pont qui s'écroule n'est de toute évidence pas un accident de la route ordinaire et l'esprit du législateur, lors de la création du régime, n'était pas de priver les citoyens d'un droit ni de protéger le gouvernement à la suite de son incurie dans l'entretien de ses infrastructures. La réponse fournie par la ministre Boulet jeudi relevait de la bêtise; elle était démagogique sur le pseudo consensus social autour du «no-fault» absolu et étroitement juridico-administrative. La loi protège le gouvernement, dit-elle en somme, que les citoyens qui s'en sentent capables prennent un ticket pour la Cour suprême et nous vous aurons à l'usure et par l'appauvrissement.
Cette attitude rappelle celle adoptée pendant des décennies face aux «orphelins de Duplessis» qui ont été indemnisés quarante ans après les sévices subis, ou ces cas de victimes d'erreurs judiciaires reconnues qui, plusieurs années après leur libération du pénitencier, doivent toujours se battre contre la machine gouvernementale pour obtenir une juste compensation pour une vie brisée.
Dans le cas de l'effondrement du viaduc de la Concorde, au-delà de toute considération humaine, au-delà des conclusions de la Commission Johnson sur les manquements des gouvernements quant à l'entretien de ses structures, une ministre verbomotrice est prête à nier jusqu'à l'absurde toute responsabilité de l'État. J'espère qu'il se trouvera un Don Quichotte membre du Barreau, si ce n'est pas Me Bellemarre que ce soit un autre (ce serait un beau chant du cygne pour Me Guy Bertrand) pour ramener à la raison le gouvernement, mais surtout faire prévaloir les droits des citoyens. Le «no fault» a assuré une indemnisation aux victimes d'accidents de la route indépendamment de la responsabilité et du niveau de solvabilité du fautif. On en a par contre fait un autre dogme inaltérable, une vache sacrée, comme c'est trop souvent le cas au Québec.
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