«J'ai peur pour le tissu social (...). Là, ça se traite de petits fermiers, d'exploiteurs qui sont multimillionnaires.»
Sylvain Bourque nous reçoit dans son bureau attenant à son étable, à Saint-Théophile, en Beauce. Le mur est couvert de récompenses gagnées par ses vaches lors de concours agricoles.
Producteur laitier et deuxième vice-président régional de l'Union des producteurs agricoles (UPA), M. Bourque craint pour le lendemain des élections.
Pas «fair play»
Il reproche au député sortant de Beauce, Maxime Bernier, d'avoir jeté de l'huile sur le feu avec un discours «pernicieux», des «demi-vérités» et des faux chiffres.
Chef du controversé Parti populaire du Canada (PPC), M. Bernier veut abolir le système de gestion de l'offre - un système qui régit la production et la tarification des produits laitiers au Canada. Il dit que chaque famille économisera ainsi 400 $ par an en lait, volaille et oeufs.
«C'est pas "fair play", on ne peut pas dire n'importe quoi, a dit M. Bourque, en entrevue avec La Presse canadienne jeudi. (...) Il se fait du capital politique sur notre dos. Qu'est-ce que les gens diraient si c'était les médecins ou les infirmières?»
Un riche agriculteur? M. Bourque et sa conjointe sont partis de rien en 2011 en achetant petit à petit des quotas. Il a aujourd'hui 120 têtes, deux vieux tracteurs, des installations modestes, mais va bientôt agrandir sa ferme.
«Moi, je gagne ma vie honnêtement. Quelqu'un qui travaille 80 heures par semaine va finir par avoir de l'argent.»
Mobilisation «moins organisée»
Les producteurs laitiers avaient fait barrage à Maxime Bernier en 2017 quand il a brigué la direction du Parti conservateur (PCC), remportée de justesse par Andrew Scheer.
Cette fois, la mobilisation agricole contre M. Bernier est «moins organisée» qu'en 2017 sur le terrain, dans la circonscription, mais elle est néanmoins active, témoigne une source de l'UPA.
À l'inverse, beaucoup d'agriculteurs ont un penchant favorable pour l'adversaire de M. Bernier, le candidat conservateur Richard Lehoux, ancien producteur agricole, ancien maire et préfet, et ex-président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM).
Dans Beauce-Appalaches, il y a 5541 membres de l'UPA, environ la moitié vivent dans la circonscription de Beauce. C'est une force de frappe qui peut faire pencher la balance.
Richard Lehoux et son parti s'engagent d'ailleurs à ne pas toucher à la gestion de l'offre - «le cartel de l'UPA», comme dit M. Bernier.
Vendredi, Andrew Scheer vient d'ailleurs en renfort dans la circonscription de Beauce. Les conservateurs craignent-ils de perdre?
«Ce que je sens sur le terrain, c'est que ça va très bien, a assuré M. Lehoux, en mêlée de presse jeudi matin. C'était une visite déjà prévue. Si le chef du Parti populaire reste en Beauce dans la dernière semaine, c'est peut-être parce qu'il sent la soupe un peu plus chaude.»
En compagnie du député sortant de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, M. Lehoux visitait une entreprise dans un parc industriel de Saint-Martin jeudi matin. Les poignées de main étaient franches, certains lui disaient dans la «shop» qu'ils allaient voter conservateur. Le patron ne voulait pas d'images toutefois, pour ne pas être associé à un parti ou à un autre.
M. Bernier visitait aussi des entreprises jeudi, mais les porte-parole du parti ont affirmé à La Presse canadienne qu'aucune ne souhaitait que des médias le suivent dans ses visites.
«Résultat imprévisible»
Dans cette région reconnue pour son esprit entrepreneurial et la vivacité de ses PME, les gens d'affaires sont très prudents, comme en témoigne le président de la Chambre de commerce de Saint-Georges, Olivier Morin.
Au cours d'une entrevue, il a prédit une «course serrée» et un résultat «très imprévisible» lundi soir.
«Il y a de très bons candidats locaux, et puis de bons chefs de parti, a-t-il commenté. Ça va être une élection assez mémorable.»
M. Morin regrette que certains enjeux n'aient pas été abordés dans la campagne. Entre autres, ses membres affirment contribuer massivement en impôts et taxes à financer des infrastructures dans des régions métropolitaines, hôpitaux, routes, universités, sans que la Beauce ait sa part du gâteau.
«C'est sûr que ça va être serré», entre M. Bernier et M. Lehoux, conclut aussi M. Bourque.
«Je m'aperçois que j'ai le "momentum"», a fait pour sa part valoir Maxime Bernier, dans son bilan de campagne, jeudi matin.
La possibilité d'un gouvernement minoritaire le favorise, estime-t-il. Ce scénario pourrait conférer aux tiers partis comme le sien un rapport de force, une balance du pouvoir, des concessions ou des gains à marchander en Chambre, dans des votes serrés.
Coureur aguerri, M. Bernier a comparé cette fin de campagne à un marathon. Il affirme avoir tenté d'augmenter la cadence dans la deuxième moitié de la course, comme dans un marathon, pour ensuite finir dans un sprint.
«Et je pense bien qu'on va arriver au fil d'arrivée en premier», a-t-il conclu, en conférence de presse jeudi matin, en dressant le bilan de sa campagne.